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Supérieur de tous les secrets du roi, directeur du palais et prêtre du dieu Thot, patron des scribes et des savants, Hénat avait des cheveux très noirs et un regard inquisiteur. Le chef des services secrets possédait le don de mettre mal à l'aise ses interlocuteurs qui, face à lui, se sentaient aussitôt suspects.
Ce séjour forcé à Memphis lui avait permis de recruter deux nouveaux interprètes parlant couramment cinq langues, dont le grec et le persan. Reformer le service anéanti par le scribe Kel exigeait du temps et de la prudence. Aussi Hénat ne prenait-il aucune décision sans l'accord explicite du roi Amasis. Peu à peu, la cheville ouvrière de la diplomatie égyptienne reprenait force et vigueur. Les spécialistes traduisaient les missives en provenance de l'étranger et adressaient aux monarques alliés du pharaon des textes dans leur propre langue, car les hiéroglyphes, incarnations des paroles divines, ne s'exportaient pas.
Certes, le service des interprètes ne fonctionnait pas encore à plein régime. Néanmoins, son activité s'amplifiait jour après jour, et l'Égypte n'était plus sourde et muette. La tentative du scribe Kel, désireux de l'isoler et de la réduire au silence, avait échoué.
Méticuleux et ordonné, Hénat ne laissait pas s'accumuler les dossiers. Sur sa table de travail, un seul document à la fois, étudié en profondeur et intégralement mémorisé. Le moindre 31
LA VENGEANCE DES DIEUX
détail pouvait avoir son importance, et le service de l'État exigeait une rigueur absolue.
En se rendant au déjeuner de travail placé sous l'égide du chancelier Oudja, le chef des services secrets croisa Menk, l'organisateur des fêtes.
— Vous paraissez contrarié, cher ami.
— Ignorez-vous le nouveau drame ? La prêtresse Nitis a disparu !
— Disparu... Le terme ne serait-il pas excessif ?
— Je pense même à un enlèvement !
— Des preuves?
— Non, un pressentiment.
— Un peu léger, mon cher Menk.
— J'ai fait part de mes craintes au juge Gem.
— Excellente idée. Il est l'homme de la situation.
— Vous aussi, Hénat !
— Mes compétences ne s'appliquent pas à ce genre de problème.
— Mais vous êtes au courant de tout !
— N'exagérons pas.
— Vous m'aviez confié la tâche d'espionner les dignitaires du temple de Neit, à Saïs, en particulier le grand prêtre et la Supérieure des chanteuses et des tisserandes. Wahibrê est mort, Nitis a été enlevée. Il faut la retrouver.
— Vos rapports ne contiennent aucune charge contre ces personnes qui n'ont pas porté atteinte à la sécurité de l'État.
Laissez donc agir le juge Gem, il dispose d'excellents enquê-
teurs.
Abandonnant un Menk désemparé, Hénat se rendit à la salle de réception où l'attendaient le chancelier Oudja, quelques scribes royaux et le juge Gem.
Un repas frugal leur fut servi. Hénat ne but qu'une coupe de bière légère et mangea peu. On parla de différents dossiers qui requéraient l'intervention du chancelier et du directeur du palais, puis les scribes se retirèrent.
— Nous avons failli arrêter Kel, déclara le magistrat.
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LA DIVINE ADORATRICE
— J'en doute, objecta Hénat.
— Expliquez-vous, demanda Gem.
— Quelqu'un se cachait dans la fabrique abandonnée, j'en conviens, mais s'agissait-il de cet assassin ?
— Lui seul pouvait narguer les forces de l'ordre en laissant sur place un leurre, affirma le juge.
— En ce cas, il a été prévenu de notre intervention.
Un lourd silence succéda à cette déclaration.
— Ne nous voilons pas la face, recommanda Oudja. Si Hénat a raison, le scribe Kel dispose d'alliés et d'informateurs au sein même de la police. Et voilà pourquoi il continue à nous échapper.
— Nous serions donc en présence d'un véritable complot aux ramifications insoupçonnées, estima le juge. Ce Kel vise à détruire l'État et à renverser notre souverain. Il revient au directeur du palais de s'assurer de la fidélité absolue de chacun des gardes chargés de la sécurité du roi.
Hénat eut un demi-sourire.
— Je n'ai pas attendu votre injonction, juge Gem, et j'ai passé chaque dossier au crible. Deux soldats douteux ont déjà été renvoyés. Soyez certain que je ne prendrai aucun risque.
M'estimant personnellement responsable de la sauvegarde du roi en toutes circonstances, je placerai autour de lui des hommes parfaitement sûrs, prêts à donner leur vie pour le défendre.
Le visage fermé, le magistrat vida une coupe de vin rouge des oasis.
— Es-tu au courant de la disparition de la prêtresse Nitis ?
questionna le chancelier.
— L'un de mes informateurs vient de me l'apprendre, révéla le chef des services secrets.
— Menk, je suppose ? avança Gem.
— Permettez-moi de préserver le secret de mes sources.
— Le roi a exigé votre entière et parfaite collaboration !
— Je respecte ses ordres.
— Alors, que savez-vous à propos de cette nouvelle tragédie?
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LA VENGEANCE DES DIEUX
— Absolument rien.
— Impossible, Hénat i
— Je ne suis pas omniscient, juge Gem. S'il s'agit d'un enlèvement, il a été soigneusement préparé, et mes services n'en ont pas été avertis. Bien entendu, je vais déclencher une enquête et vous tiendrai informé des résultats. En revanche...
Hénat hésita.
— Parle, je te prie, exigea le chancelier.
— N'excluons pas la fuite d'une complice du scribe Kel.
Nitis a milité en faveur de son innocence. Peut-être appartient-elle à son réseau.
— Des preuves ou des indices? interrogea le juge.
— Simple présomption, reconnut Hénat.
— Nous sommes en présence d'une affaire encore plus grave que nous ne le supposions, conclut le chancelier. Un ennemi de l'intérieur menace l'intégrité du royaume, et nous devons le combattre avec la dernière énergie. Oublions les querelles de personnes et les rivalités mesquines entre les services de l'État. Éliminer le scribe Kel et ses partisans reste notre priorité .
L'irruption de la reine interrompit le discours d'Oudja.
Tanit semblait bouleversée.
— J'ai besoin de votre intervention immédiate !
— Que se passe-t-il, Majesté?
— Le roi a disparu.