8.

La présence de Bébon ravissait Lèvres-douces. Aux petits soins pour elle, jamais ronchon, toujours prêt à lui faire l'amour et à satisfaire ses moindres désirs, il était presque trop parfait.

Pas question, bien entendu, de songer au mariage, mais la rupture serait douloureuse. Au moins garderait-elle un excellent souvenir d'un amant dévoué et attentif. En attendant ce pénible moment, elle profitait pleinement de ce beau mâle.

Alors qu'ils se prélassaient, nus, sur des coussins, Bébon eut un regard inquiet.

— Je n'ose plus me promener à Memphis, avoua-t-il.

Cette histoire d'enlèvement me terrorise. As-tu récolté des informations?

— Rien de réjouissant, reconnut-elle.

— Ce drame s'est-il réellement produit ?

— D'après une rumeur persistante, aucun doute.

— La police enquête-t-elle ?

— Justement pas. Elle aurait même refusé d'enregistrer les témoignages, sous prétexte qu'ils n'étaient pas sérieux. Officiellement, pas de disparition à signaler.

— Toi, tu en sais davantage !

— à quoi bon se préoccuper de ces horreurs? Désormais, chacun tiendra sa langue, et l'on oubliera cet incident.

— Pas moi ! Demain, l'assassin recommencera, et toi ou moi serons peut-être sa prochaine victime.

35

LA VENGEANCE DES DIEUX

Lèvres-douces fut troublée.

— J'ai un ami dans la police, révéla Bébon. Si je lui parle, il m'écoutera. Mais je dois lui apporter des éléments concrets.

Quelqu'un acceptera-t-il de témoigner?

— Une marchande, dont la boutique se trouve sur les quais, consentira sans doute à te parler. En cas d'échec, n'insiste pas.

— Je te le promets, dit le comédien en l'enlaçant.

*

* * *

Bébon se sentait un peu honteux de profiter d'un tel confort, tandis que son ami devait se contenter de l'écurie. Du moins il était en sécurité, grâce à la vigilance de Vent du Nord.

— J'ai une piste ! annonça Bébon. Rendons-nous au port.

Les propos de Lèvres-douces ne laissaient pas subsister d'ambiguïté : la police obéissait à des ordres supérieurs. Pas d'enlèvement, pas d'enquête. La puissance des comploteurs prenait d'énormes dimensions. Comment deux individus isolés parviendraient-ils à lutter? Préférant ne pas y songer, Bébon suivit l'âne et Kel, très nerveux.

— On jouera les colporteurs, décida-t-il. Reste en retrait et garde ton calme.

— Lèvres-douces t'a-t-elle décrit la marchande ?

— Petite, rouquine, poitrine avantageuse.

— Que vend-elle ?

— De la laitue de Memphis, des oignons et des pots de graisse.

Sur les quais, le marché battait son plein. Il y avait des boutiques et des étals temporaires, autorisés à s'installer lors du débarquement des bateaux livrant des denrées fraîches.

Vent du Nord se figea.

Deux policiers fendaient la foule. L'un d'eux tenait en laisse un babouin, chargé de repérer les voleurs et de les interpeller en leur mordant le mollet.

Le trio changea de direction.

36

LA DIVINE ADORATRICE

— Un babouin policier pourrait nous juger suspects, murmura Bébon. Commençons tout de suite une transaction.

Une vieille dame apostrophait un graveur. Furieuse, elle s'éloigna.

— Puis-je vous aider? demanda Bébon.

— Je veux une inscription sur ce bol d'albâtre, à la mémoire de mon mari. Ce gredin me demande un prix exorbitant !

— Mon collègue sait dessiner à l'encre noire, indiqua le comédien. Fixez vous-même sa rémunération.

— Deux belles paires de sandales, ça ira?

— Parfait.

Kel sortit le matériel nécessaire d'une des sacoches en cuir portées par l'âne et, sous la dictée de la veuve, traça de beaux hiéroglyphes.

— Magnifique ! constata la vieille dame, ravie.

— Le babouin s'est éloigné, murmura Bébon à l'oreille du scribe. Ne traînons pas, il va revenir.

L'atmosphère joyeuse d'un marché égyptien dissipait toutes les tristesses. On babillait, on marchandait pour le plaisir, on se racontait des histoires de famille, on râlait contre les abus des fonctionnaires et l'on recherchait les bonnes affaires...

Assises sur des tabourets à trois pieds, de nombreuses femmes tenaient boutique, à l'abri d'un toit dont les poutrelles s'ornaient de pièces de tissu, de ceintures, de tuniques et de pagnes.

À l'issue d'un heureux achat, on se précipitait à la buvette où de ravissantes jeunes filles, court vêtues, servaient de la bière fraîche.

La petite rouquine à la poitrine avantageuse siégeait en face de l'emplacement de l'Ibis, remplacé par un autre bateau.

— Elle est belle, elle est belle, ma laitue de Memphis ! clamait-elle afin d'attirer les badauds que séduisait cette merveille au goût exquis.

— Votre salade me paraît superbe, susurra Bébon, et vous, vous êtes délicieuse.

Le compliment surprit la commerçante.

— Vous... vous achetez?

37

LA VENGEANCE DES DIEUX

— Bien sûr ! Voici deux paires de sandales neuves. En échange, donnez-moi ce qui vous semble convenable.

Troublée, la rouquine sélectionna plusieurs belles laitues.

— Je suis un ami intime de la boulangère Lèvres-douces, révéla le comédien. Acceptez-vous de m'aider ?

— à quel propos ?

— Il vient de se produire un événement d'une exceptionnelle gravité. Un membre de ma famille, une jolie jeune femme, a disparu. La rumeur prétend qu'elle aurait été enlevée.

La vendeuse de laitues baissa la tête.

— Je ne sais rien.

— Je vous crois, mais comprenez ma détresse : la police refuse d'enquêter, et je meurs d'angoisse ! Cette jeune femme était ma soeur. Nous avons eu une enfance merveilleuse et nous ne nous quittions presque jamais. À cause de la maladie de ma mère, condamnée à une fin prochaine, elle s'était rendue à Memphis, en vue de lui porter secours. Et soudain, elle disparaît ! La vie n'est-elle pas trop dure ?

La rouquine essuya une larme.

— Quelqu'un a tout vu, confessa-t-elle.

— L'un de vos proches ?

— Non, mon fournisseur de pots de graisse.

— Ne se vante-t-il pas ?

— Il boit beaucoup et, la nuit, il arpente les quais en cuvant sa bière. Même ivre, il ne manque pas de lucidité. Et ce qu'il m'a raconté était épouvantable. Moi, je préfère l'oublier.

— Je désire retrouver ma pauvre soeur ! Où pourrais-je rencontrer ce marchand ?

— En fin de soirée, il se soûle à l'auberge de la Bonne Chance. Mais votre démarche est inutile : il ne parlera pas.

— Que redoute-t-il?

— Les indicateurs de la police ont délivré un message : silence total. Sinon, les bavards auront de graves ennuis.

Bébon embrassa tendrement la rouquine.

— Merci de votre aide.

La divine adoratrice - Tome 2
titlepage.xhtml
index_split_000.html
index_split_001.html
index_split_002.html
index_split_003.html
index_split_004.html
index_split_005.html
index_split_006.html
index_split_007.html
index_split_008.html
index_split_009.html
index_split_010.html
index_split_011.html
index_split_012.html
index_split_013.html
index_split_014.html
index_split_015.html
index_split_016.html
index_split_017.html
index_split_018.html
index_split_019.html
index_split_020.html
index_split_021.html
index_split_022.html
index_split_023.html
index_split_024.html
index_split_025.html
index_split_026.html
index_split_027.html
index_split_028.html
index_split_029.html
index_split_030.html
index_split_031.html
index_split_032.html
index_split_033.html
index_split_034.html
index_split_035.html
index_split_036.html
index_split_037.html
index_split_038.html
index_split_039.html
index_split_040.html
index_split_041.html
index_split_042.html
index_split_043.html
index_split_044.html
index_split_045.html
index_split_046.html
index_split_047.html
index_split_048.html
index_split_049.html
index_split_050.html
index_split_051.html
index_split_052.html
index_split_053.html
index_split_054.html
index_split_055.html
index_split_056.html
index_split_057.html
index_split_058.html
index_split_059.html
index_split_060.html
index_split_061.html
index_split_062.html
index_split_063.html
index_split_064.html
index_split_065.html
index_split_066.html
index_split_067.html
index_split_068.html
index_split_069.html
index_split_070.html
index_split_071.html
index_split_072.html
index_split_073.html
index_split_074.html
index_split_075.html
index_split_076.html