6.

Depuis de nombreuses années, le chancelier royal Oudja avait oublié la notion même de repos. Médecin-chef de la prestigieuse école de Saïs et désormais chargé de veiller sur la santé du pharaon Amasis, il était également gouverneur de la capitale, inspecteur des scribes du tribunal, chef des administrateurs des prisons et responsable du développement de la marine de guerre, une formidable arme de dissuasion à laquelle tenait beaucoup le monarque.

Large d'épaules, autoritaire et énergique, Oudja imposait sa puissance naturelle et assumait ses responsabilités sans jamais se plaindre. Doté d'une santé de fer, dormant peu, il épuisait ses collaborateurs et ne supportait ni la paresse ni l'incompétence.

Le déplacement de la cour royale à Memphis avait entraîné un surcroît de travail, car le chancelier voulait tout vérifier et remettre au labeur certains fonctionnaires assoupis. À chaque instant, le monarque devait pouvoir s'installer dans n'importe lequel de ses palais, en parfait état de fonctionnement.

En dépit du développement de la capitale dynastique, Saïs, l'antique cité de Memphis, fondée par Djéser, demeurait la clé de la prospérité économique des Deux Terres. Aussi, en compagnie du ministre des Finances Péfy, Oudja se réjouissait-il de ce séjour qui lui permettait de redonner du dynamisme 27

LA VENGEANCE DES DIEUX

à l'ensemble des services publics et de favoriser ainsi le commerce, l'artisanat et l'agriculture.

Soucieux de la sécurité de la personne royale, le chancelier appliquait de strictes consignes : fouille des visiteurs à l'entrée du palais, sévère sélection des gardes relevés toutes les trois heures, vérification de la validité des demandes d'audience, inscription des noms des visiteurs sur un registre de la police et ultime entretien avec l'un des secrétaires d'Amasis avant d'avoir accès au bureau du pharaon. Tant que Kel serait en liberté, il faudrait prendre un maximum de précautions.

— Le juge Gem souhaite vous parler, l'avertit un officier.

— Qu'il vienne.

Oudja se leva pour accueillir le patron de la magistrature.

— De bonnes nouvelles, j'espère ?

— Désolé de vous décevoir.

— Kel aurait-il commis un nouveau crime ?

— Je ne saurais l'affirmer, mais il est peut-être responsable de l'enlèvement de la prêtresse Nitis.

— La disciple du défunt grand prêtre du temple de Saïs?

— Elle-même.

— Fâcheux !

— Vous ignoriez donc ce drame?

— Vous me l'apprenez. En Égypte, on n'enlève pas les gens, et moins encore une ritualiste ! Ce crime est-il avéré?

— Simplement probable, chancelier. L'enquête débute.

— Ah !... Le doute reste permis.

— J'espérais des éclaircissements de votre part.

Oudja se raidit.

— Je ne comprends pas.

— Le roi a souhaité une parfaite collaboration entre Hénat, le chef des services secrets, et la justice. À mon âge, je ne crois plus aux voeux pieux. Jamais Hénat ne me transmettra la totalité des informations dont il dispose et, à la réflexion, je ne le lui reproche pas. Il s'occupe de la sécurité de l'État, moi de l'observance rigoureuse des lois. Dans l'affaire Kel, nos compé-

tences se heurtent. Et si ce scribe dément a bien enlevé Nitis, 28

LA DIVINE ADORATRICE

je dois ajouter ce délit à son dossier et, surtout, réussir à la retrouver. Le chef des services secrets ne disposerait-il pas d'éléments indispensables à ce succès ?

— Je l'ignore.

— Je vous prie de l'interroger.

— Pourquoi ne pas le faire vous-même ?

— Parce qu'il ne me dira pas la vérité.

— Juge Gem, mesurez vos propos !

— Je les mesure, chancelier. Si nous avions coopéré, le scribe Kel serait en prison.

— Accuseriez-vous Hénat d'entraver votre enquête ?

— Certainement pas ! Lui et moi sommes au service de l'État, de l'ordre et de la justice. Néanmoins, nos méthodes divergent, et le manque d'harmonie conduit à l'inefficacité. Le pire des assassins court toujours, et je redoute d'autres crimes.

Aussi votre intervention me paraît-elle indispensable.

— À quoi servirait-elle ?

— À persuader le chef des services secrets de me fournir des renseignements qu'il ne désire pas offrir à un juge. Peu m'importent ses sources, quoique cette démarche heurte ma conscience et mon intégrité de magistrat. Kel est un meurtrier dangereux, très dangereux. Nous ignorons encore le nom de ses éventuels commanditaires et son but véritable. S'il ne s'agit que d'un fou furieux, le trône ne risque rien. En revanche, si ce scribe insaisissable commande un groupe de séditieux, notre souverain se trouve visé. Et je ne saurais croire à l'ignorance de Hénat.

— Vous portez là de graves accusations, juge Gem.

— En aucune façon. Je me soucie simplement de la sécurité du royaume et je vous supplie de m'aider à la préserver.

La solennité de cette déclaration impressionna le chancelier.

— Conformément aux exigences de Sa Majesté, assura Oudja, je demanderai au chef des services secrets sa pleine et entière collaboration.

— J'ai peur, murmura le vieux magistrat. Enlever une 29

LA VENGEANCE DES DIEUX

prêtresse... Jamais un tel crime n'avait été commis. Les dieux ne nous le pardonneront pas.

— Ne soyez pas pessimiste et ne prêtez pas trop de pouvoirs à cet assassin.

— N'a-t-il pas démontré sa capacité de nuisance ?

Le chancelier se rengorgea.

— Je ne la néglige pas. Mais nos institutions sont solides et ont résisté à des assauts beaucoup plus violents. Nous ne baisserons pas la garde et nous mettrons fin aux activités criminelles de ce scribe.

— Les dieux vous entendent, chancelier.

La divine adoratrice - Tome 2
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