38.

— À la fin du jour, annonça le ritualiste en chef à Nitis, votre bateau sera prêt à partir. D'ordinaire, la navigation nocturne est interdite. En raison des fortes chaleurs, j'ai obtenu une dérogation.

— Le capitaine ne nous trahira-t-il pas?

— Il est vénal, mais correct. Le non-respect d'un contrat détruirait sa réputation. Vous pouvez avoir confiance, il vous mènera à bon port.

— La police ?

— Je connais les heures de ronde. Quant au guetteur, il sombrera dans un profond sommeil. Le laboratoire du temple dispose de produits efficaces. Au moment opportun, un marin passera vous chercher à votre demeure de fonction.

— Comment vous remercier ?

— En faisant triompher la vérité, Nitis, et en priant la Divine Adoratrice de conforter son pouvoir. Sinon, Amasis conduira le pays à la ruine. Votre combat dépasse votre personne, celles du scribe Kel et du comédien Bébon. De son issue dépend le sort du pays entier.

La jeune femme retourna à la bibliothèque où Kel continuait à lire des papyrus mathématiques. Hélas ! nulle clé permettant de décrypter le code.

— Nous quittons Hermopolis cette nuit, murmura-t-elle, avant de relater son entretien avec le ritualiste en chef.

164

LA DIVINE ADORATRICE

— Je vais prévenir Bébon.

Quoique renforcé, le service d'ordre se montrait discret. Le grand prêtre refusait de voir son domaine envahi par la police.

Vu son autorité, on respectait ses consignes.

Prudent, Kel fit un grand détour et s'arrêta à plusieurs reprises avant de s'approcher de l'écurie.

Vent du Nord s'y prélassait, Bébon sommeillait.

Le scribe caressa l'âne, paisible et détendu.

— Du nouveau ? s'inquiéta le comédien.

— Nous partons cette nuit pour Thèbes. Un marin nous conduira au bateau.

— Je vous suivrai à bonne distance. En cas de danger, Vent du Nord nous avertira. Auparavant, je retourne flâner sur le quai.

— Rien d'inquiétant ?

— Apparemment non. Reste le guetteur en poste la nuit durant.

— Il sera neutralisé.

— C'est presque trop beau !

— N'accorderais-tu plus ta confiance au ritualiste en chef ?

Bébon hocha la tête.

— Ni menteur ni voleur, un adepte d'une stricte morale...

Je ne le vois pas nous tendre un piège. Et puis nous ne pouvons pas rester longtemps à Hermopolis. La police et l'armée fouilleront le temple, tôt ou tard.

— Nous serons bientôt à Thèbes et nous parlerons à la Divine Adoratrice.

— Bel optimisme !

— Toi, mon ami, douterais-tu ?

Bébon parut gêné.

— Ce n'est pas mon genre ! Et nous n'avons pas le choix.

Alors, jetons-nous à l'eau ! Surtout pas de discours moralisateur à propos des risques que tu me fais courir. Je serais capable de devenir violent.

Kel s'assit à côté de Vent du Nord.

— Comme le destin me semble étrange ! J'aime une 165

LA VENGEANCE DES DIEUX

femme sublime qui m'accorde son amour, j'ai un ami qu'aucun danger ne rebute et, pourtant, l'injustice et le malheur peuvent frapper à tout instant.

— Cesse de te poser des questions inutiles et va de l'avant.

S'interroger sur soi-même ne mène... qu'à soi-même ! Ennui mortel assuré. La vraie vie commence demain.

Vent du Nord dressa les oreilles.

Sans précipitation, Kel s'éloigna.

Un ânier à l'oeil inquisiteur interpella Bébon.

— Que te voulait-il, ce prêtre ?

— Il me demandait pourquoi je n'étais pas au travail. En raison de cette chaleur, on a droit à des heures de repos supplémentaires ! Ce casse-pieds, je l'ai envoyé promener.

— C'était sûrement un policier. En ce moment, ils pullulent !

— À cause de quoi ?

— Tu n'as pas entendu parler du scribe assassin qui a tué des centaines de malheureux ? Un monstre sanguinaire, capable de s'attaquer à une armée entière !

— Il ne se cache sûrement pas au temple d' Hermopolis.

— C'est sûr, mais les policiers le cherchent partout.

Dis donc, il y a des jarres à livrer au port. Tu pourrais t'en occuper ?

Bébon se releva lentement.

Excellente occasion d'examiner les lieux une nouvelle fois.

— C'est bien pour t'arranger.

— À charge de revanche, l'ami.

Le comédien et Vent du Nord passèrent prendre les jarres à la brasserie et se dirigèrent vers le quai.

Un bateau partait, un autre arrivait. Les dockers s'apprê-

taient à le décharger, des soldats patrouillaient.

À l'entrepôt, pas de surveillance renforcée.

Le gardien nota le nombre de jarres de bière.

— Ici, dit Bébon, on se sent en sécurité.

— On a même eu droit à la visite du juge Gem, le grand 166

LA DIVINE ADORATRICE

patron de la magistrature, accompagné d'une cohorte de policiers ! Il recherchait des assassins, paraît-il.

— Les a-t-il trouvés ?

— Non, il est reparti bredouille. D'après la rumeur, le grand prêtre ne l'aurait pas autorisé à troubler la quiétude du temple. Malgré son âge, il ne craint personne ! Alors, retour à la routine. Les patrouilles tentent de repérer les petits malins qui cherchent à dérober des marchandises. Quand on les pince, ils ont droit à un bon nombre de coups de bâton et perdent l'envie de recommencer ! Quelle chaleur... Une gorgée de bière ?

— Volontiers.

Désaltéré, Bébon marcha d'un pas très lent et scruta les alentours.

Rien d'anormal.

La divine adoratrice - Tome 2
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