24.

Le livreur d'eau et de galettes frappa plusieurs coups à la porte de la galerie saïte. Surpris de ne pas obtenir de réponse, il la poussa.

Elle s'ouvrit en grinçant.

Une fumée âcre lui agressa les yeux et les narines.

— Vous êtes là ? s'inquiéta-t-il.

Anxieux, il avança et buta contre le corps d'un mercenaire inanimé. Les deux autres gisaient un peu plus loin.

Affolé, le livreur abandonna Jarres et paniers, et courut alerter le commandant du camp. En compagnie de deux soldats, celui-ci se rendit immédiatement sur place.

L'un des blessés venait de reprendre connaissance.

— Que s'est-il passé ?

— Une attaque-surprise.

— Combien d'agresseurs ?

— Je l'ignore... La fumée nous a empêchés de voir et de nous défendre. Tout s'est déroulé très vite.

Le commandant explora la galerie. Le trésor semblait intact, mais la fille avait disparu. Il ignorait son identité et ne voulait surtout pas la connaître, tant cette mission secrète lui déplaisait.

L'officier se contentait d'exécuter les ordres à la lettre, sans rechercher leur origine ni leur finalité. Chez les mercenaires, on ne discutait pas.

102

LA DIVINE ADORATRICE

Les trois blessés seraient soignés et mutés dans une garnison lointaine où ils oublieraient cet incident en prenant soin de garder leur langue. Quant au commandant, il s'empresserait de rédiger un rapport circonstancié et de l'adresser aux autorités.

Le reste ne le concernait pas.

* * *

Lorsque le chef des conjurés apprit la libération de Nitis, il ne put s'empêcher d'éprouver une certaine admiration pour le scribe Kel il n'était vraiment pas un homme ordinaire et faisait preuve d'un amour fou, capable de déplacer les montagnes.

D'après son dossier, cependant, il aurait dû se comporter comme un parfait petit fonctionnaire, frileux, incapable de prendre une décision, et former une proie facile. L'adversité le changeait en fauve, à la fois aux aguets et conquérant. Échapper aux forces de l'ordre et remonter la filière afin de libérer la prêtresse étaient deux authentiques exploits. Au service des conjurés, ce brillant sujet aurait accompli des merveilles.

Trop tard. Vu les circonstances, il fallait éliminer Kel et Nitis d'une manière ou d'une autre. L'un des prédateurs lancés à leur recherche finirait par réussir.

Des complices... L'évidence s'imposait. En premier, l'ex-grand prêtre de Neit, heureusement disparu, qui avait forcément procuré plusieurs contacts à sa disciple Nitis. Les temples serviraient donc de relais aux fuyards et devraient être surveillés de manière étroite.

Thèbes et la Divine Adoratrice : des buts inaccessibles ! Le chef des conjurés détestait cette ville couverte de sanctuaires et cette vieille prêtresse, presque l'égale du pharaon, consacrée au service des dieux. Stupide, le peuple continuait à la vénérer, croyant à ses pouvoirs magiques et à sa capacité de le protéger du malheur ! Tant de superstitions devenaient insupportables, et l'action engagée les balaierait.

L'Égypte méritait mieux. En dépit de son courage et de sa 103

LA VENGEANCE DES DIEUX

chance, le scribe Kel ne parviendrait pas à interrompre le processus.

***

« Bon Voyage », le port principal de Memphis, ressemblait à une fourmilière. On chargeait, on déchargeait, on accostait, on partait, on cherchait la meilleure place, on vérifiait le bon état des bateaux, on vendait des marchandises, on protestait contre les mesures de sécurité excessives, on discutait les prix des voyages. Toujours plus nombreux, les Grecs se révélaient de redoutables commerçants.

Bébon se fondait dans la foule des badauds et repérait les policiers en patrouille, accompagnés de babouins chargés d'ar-rêter les voleurs en leur mordant les mollets. Les délinquants étaient emmenés à la prison centrale et sévèrement condamnés.

Mal rasé, à la manière d'un homme en deuil, vêtu d'une médiocre tunique syrienne, chaussé de sandales à bas prix, Bébon ressemblait au Memphite moyen, ni riche ni pauvre, à la recherche d'une bonne affaire.

Depuis l'imposante descente de police organisée par le juge Gem, les malfrats se faisaient discrets, redoutant contrôles et interpellations. Boutiquiers et marchands ambulants s'en félicitaient, voyant leurs affaires prospérer.

Au pied de la passerelle d'un imposant bateau de commerce, cinq soldats et un officier. Bébon s'approcha lentement, tête basse.

— J'aimerais parler à un responsable, dit-il au gradé.

— Responsable de quoi ?

— De la sécurité de l'État.

— Va-t'en, l'ami. Nous avons du travail.

— C'est très sérieux. Écoutez-moi, vous ne le regretterez pas. L'officier soupira.

— Ta femme t'a quitté ? Tu as perdu ton travail ? Ne désespère pas, ça s'arrangera.

104

LA DIVINE ADORATRICE

— Je possède un renseignement qui intéressera le pharaon en personne.

Le gradé sourit.

— Tu me parais fatigué, bonhomme, et c'est bientôt l'heure de la sieste.

— Kel, l'assassin, ça vous intéresse ?

Le sourire s'estompa.

— Je déteste les mauvaises plaisanteries !

— Je veux connaître le montant de la récompense.

— Ne bouge pas d'ici, je reviens.

Comme l'ensemble de ses collègues, l'officier avait reçu l'ordre de collecter toutes les informations, même d'apparence fantaisiste.

Il ne tarda pas à réapparaître, en compagnie d'un supérieur au menton fendu.

— Mon gars, autant te prévenir : je hais les affabulateurs.

— La prime ?

— Une villa, deux domestiques, cinq ânes et une belle quantité de denrées alimentaires, sans oublier la reconnaissance des autorités.

— Vous pourriez rajouter des terres cultivables.

— On en reparlera, si tu es sérieux !

— Sérieux, moi ? À l'heure de faire fortune, on ne plaisante pas.

— Tu as bien prononcé le nom du scribe Kel ?

— Il s'apprête à quitter Memphis pour gagner la ville de Thèbes, et je sais comment.

Menton fendu retint son souffle.

— J'exige des garanties, reprit Bébon. L'État promet beaucoup et tient rarement.

— Que désires-tu ?

— Un sac de pierres précieuses.

— N'exagère pas, bonhomme !

— Un simple acompte, précisa Bébon. Ensuite, le reste de la prime. Je ne patienterai pas longtemps. D'autres policiers seront sûrement plus intéressés.

105

LA VENGEANCE DES DIEUX

— Assieds-toi et patiente. On va te donner à boire.

Menton fendu revint avec un sac de pierres précieuses.

— Ça te convient?

Le comédien examina longuement le contenu.

— Ça peut aller.

— Alors, cette information ?

— Le scribe Kel s'est laissé pousser une petite moustache et porte une perruque à l'ancienne. Il embarquera après-demain matin à bord d'un bateau de commerce, le Solide, à destination de Thèbes. Le bâtiment transporte des tissus, des jarres de vin et des vases d'albâtre destinés à la Divine Adoratrice. J'ignore le nom et le nombre des membres d'équipage qu'il a achetés, mais il se fera passer pour un scribe public capable de rédiger des dossiers administratifs et paiera ainsi le prix de son voyage.

Menton fendu tenta de contenir son exaltation.

— Bien entendu, l'ami, tu restes auprès de nous.

— Si je ne reviens pas, Kel ne prendra pas ce bateau. II croit que je vérifie les derniers détails, et je dois lui rendre compte de la situation. N'essayez surtout pas de me suivre : des guetteurs vous repéreraient et l'alerteraient. Demain, après son arrestation, je viendrai chercher le reste de ma prime.

La divine adoratrice - Tome 2
titlepage.xhtml
index_split_000.html
index_split_001.html
index_split_002.html
index_split_003.html
index_split_004.html
index_split_005.html
index_split_006.html
index_split_007.html
index_split_008.html
index_split_009.html
index_split_010.html
index_split_011.html
index_split_012.html
index_split_013.html
index_split_014.html
index_split_015.html
index_split_016.html
index_split_017.html
index_split_018.html
index_split_019.html
index_split_020.html
index_split_021.html
index_split_022.html
index_split_023.html
index_split_024.html
index_split_025.html
index_split_026.html
index_split_027.html
index_split_028.html
index_split_029.html
index_split_030.html
index_split_031.html
index_split_032.html
index_split_033.html
index_split_034.html
index_split_035.html
index_split_036.html
index_split_037.html
index_split_038.html
index_split_039.html
index_split_040.html
index_split_041.html
index_split_042.html
index_split_043.html
index_split_044.html
index_split_045.html
index_split_046.html
index_split_047.html
index_split_048.html
index_split_049.html
index_split_050.html
index_split_051.html
index_split_052.html
index_split_053.html
index_split_054.html
index_split_055.html
index_split_056.html
index_split_057.html
index_split_058.html
index_split_059.html
index_split_060.html
index_split_061.html
index_split_062.html
index_split_063.html
index_split_064.html
index_split_065.html
index_split_066.html
index_split_067.html
index_split_068.html
index_split_069.html
index_split_070.html
index_split_071.html
index_split_072.html
index_split_073.html
index_split_074.html
index_split_075.html
index_split_076.html