65.

Protégeant sa tête de ses mains, Bébon tentait en vain d'éviter les coups de balai.

— Arrêtez, je vous en prie ! s'écria Nitis.

Surpris par l'intervention de la jeune femme, le portier interrompit la bastonnade.

— Seriez-vous sa nouvelle maîtresse ?

— Simplement son amie.

— Ça m'étonnerait ! Ses amies, ce débauché les met dans son lit.

— J'ai échappé à ce triste sort.

— Si vous dites vrai, remerciez les dieux et prenez la fuite

— Pourquoi frappez-vous Bébon?

— Parce qu'il a séduit et abandonné ma petite Aurore, une pure et innocente jeune fille.

— N'exagère pas, rectifia le comédien. D'abord, je n'étais pas son premier amant; ensuite, je ne l'ai pas forcée.

Le portier brandit à nouveau son balai.

— Et tu ne l'as pas honteusement quittée, peut-être !

Bébon protesta.

— Je l'avais prévenue : on s'amuserait quelque temps, et je repartirais. Elle n'est pas morte de chagrin, je suppose ?

Le balai s'abaissa.

— Non, pas tout à fait. Le temple lui a donné un poste d'apicultrice, à la lisière du désert.

289

LA VENGEANCE DES DIEUX

— En tant que médecin, précisa Nitis, j'utilise beaucoup de miel. J'aimerais rencontrer votre fille et parler avec elle de ses techniques.

Favorablement impressionné, le portier s'apaisa et donna à la thérapeute les indications nécessaires pour atteindre les ruches.

Reprenant un ton rugueux, il se tourna vers Bébon.

— Ce service, de quoi s'agit-il ?

— J'aimerais aider un ami, un jardinier à la recherche d'un travail. Acceptes-tu de le voir?

— Un débauché, lui aussi?

— Vraiment pas ! s'exclama Bébon. Plutôt le genre sérieux.

— Amène-le-moi.

Le comédien alla chercher Kel. Le portier l'examina des pieds à la tête.

— Présentable, jugea-t-il. Tu as de l'expérience, mon garçon ?

— J'ai travaillé dur chez mes parents.

— Mon ami le chef jardinier de Karnak recherche des temporaires. Rends-toi à la porte du nord, au coucher du soleil, et présente-toi de ma part.

***

Le juge Gem remit les rapports à son secrétaire.

— Classe-les.

— Des éléments intéressants ?

— Du bavardage administratif dépourvu d'intérêt.

Au cours de la journée, deux témoignages avaient attiré l'attention du magistrat. Un boulanger aurait vu le scribe Kel dans une petite maison du faubourg nord, en compagnie de dix hommes armés. Et un agriculteur était certain de l'avoir repéré au coeur d'une palmeraie, en train de sortir des armes d'un grand sac.

Les soldats revenaient enfin rendre compte.

— Résultats? demanda le juge à l'officier responsable.

290

LA DIVINE ADORATRICE

— De pures inventions. Ces gens se sont moqués de nous.

— Injure à la justice ! Ils seront sanctionnés.

— Sauf votre respect, mieux vaudrait oublier l'incident.

Sinon, personne n'osera plus parler.

— La loi est la loi.

Furibond, Gem claqua la porte de son bureau.

***

A la porte nord de Karnak, baignée de la lumière du couchant, plusieurs postulants attendaient le chef jardinier.

— Il paraît que c'est un bonhomme odieux, avança un rouquin.

— Et prétentieux, ajouta un adolescent. On ne peut jamais se plaindre !

— Moi, rétorqua un maigrichon, je ne me laisserai pas faire !

— Et moi non plus ! surenchérit son camarade.

Sortant de la file, un trapu à la tête carrée parla d'une voix forte.

— Vous quatre, décampez !

Le rouquin s'insurgea.

— Dis donc, toi ! Pourquoi t'obéirait-on ?

— Je suis le chef jardinier, et vos propos me déplaisent.

Les fautifs se dispersèrent. Les rescapés subirent le regard inquisiteur de leur éventuel patron.

— Vous deux, disparaissez. Votre tête ne me revient pas.

Seuls restaient Kel et un échalas à l'air fatigué.

— Ça vous plairait de porter des palanches qui blessent le cou, de travailler toute la nuit, d'arroser les légumes à l'aube, d'irriguer les vergers et de récolter les herbes médicinales au crépuscule?

— Et on dort quand ? demanda l'échalas.

— Quand je le décide.

— Trop dur pour moi ! Je vais tenter ma chance ailleurs.

291

LA VENGEANCE DES DIEUX

— Moi, dit Kel, j'accepte vos conditions. Le portier du scribe du Trésor m'avait prévenu.

— Un vieil ami à la bonne mentalité ! Je t'engage mon garçon. Pourtant, tu n'as pas des mains de jardinier.

— Le labeur ne m'effraie pas.

— Alors, porte ces poteries remplies d'eau et suis-moi

— À l'intérieur du temple ?

— Pas ce soir. Nous devons nous occuper des jardin situés à l'extérieur de l'enceinte, avec la première équipe de nuit.

Tâche de ne pas me décevoir.

Surmontant sa propre déception, Kel s'arma de courage et de patience.

**

La Divine Adoratrice contemplait le symbole d'Abydos, une longue hampe recouverte d'un cache. Il voilait la tête d'Osiris ressuscité dont la vision n'était offerte qu'aux initiés aux grands mystères.

Elle reconnut le pas lourd du grand intendant.

— De bonnes nouvelles, j'espère ?

— Malheureusement non, Majesté. Entre le juge Gem et moi, la rupture est consommée. Il me déteste, et je ne parviendrai pas à modifier son attitude. En revanche, son comportement à mon égard déclenchera l'hostilité des Thébains qui refuseront d'aider la police.

— A-t-il quadrillé la province ?

— En effet, Majesté. Pis encore, il empêche tout accès à Karnak et me fait passer pour son allié. Autrement dit, Kel Nitis et Bébon me considèrent comme un collaborateur et n'oserons pas me contacter. J'ignore où ils se cachent, et même s'ils sont vivants.

— Ils le sont, Chéchonq. Je ressens leur présence.

— Rendons-nous à l'évidence, Majesté : ils ne parviendront pas jusqu'à nous.

— Les dieux ne les protègent-ils pas, grand intendant ?

La divine adoratrice - Tome 2
titlepage.xhtml
index_split_000.html
index_split_001.html
index_split_002.html
index_split_003.html
index_split_004.html
index_split_005.html
index_split_006.html
index_split_007.html
index_split_008.html
index_split_009.html
index_split_010.html
index_split_011.html
index_split_012.html
index_split_013.html
index_split_014.html
index_split_015.html
index_split_016.html
index_split_017.html
index_split_018.html
index_split_019.html
index_split_020.html
index_split_021.html
index_split_022.html
index_split_023.html
index_split_024.html
index_split_025.html
index_split_026.html
index_split_027.html
index_split_028.html
index_split_029.html
index_split_030.html
index_split_031.html
index_split_032.html
index_split_033.html
index_split_034.html
index_split_035.html
index_split_036.html
index_split_037.html
index_split_038.html
index_split_039.html
index_split_040.html
index_split_041.html
index_split_042.html
index_split_043.html
index_split_044.html
index_split_045.html
index_split_046.html
index_split_047.html
index_split_048.html
index_split_049.html
index_split_050.html
index_split_051.html
index_split_052.html
index_split_053.html
index_split_054.html
index_split_055.html
index_split_056.html
index_split_057.html
index_split_058.html
index_split_059.html
index_split_060.html
index_split_061.html
index_split_062.html
index_split_063.html
index_split_064.html
index_split_065.html
index_split_066.html
index_split_067.html
index_split_068.html
index_split_069.html
index_split_070.html
index_split_071.html
index_split_072.html
index_split_073.html
index_split_074.html
index_split_075.html
index_split_076.html