32.
Après avoir traversé plusieurs villages où l'accueil des amis de Bébon avait été excellent, le comédien, Nitis, Kel et Vent du Nord s'approchaient d'un gros bourg nommé Les Trois Palmiers.
Encore deux jours de marche soutenue, et ils atteindraient Hermopolis, inaccessible par le Nil, tant les contrôles de la police fluviale se multipliaient.
Ils croisèrent un jeune paysan qui conduisait deux ânes transportant des paniers remplis de gousses d'ail.
Soudain, il se retourna.
— Bébon ! C'est toi, c'est bien toi ?
Le comédien dévisagea le grand garçon au sourire niais.
— Tête-en-l'air ! Je ne t'avais pas reconnu... Tu es devenu un homme, on dirait !
L'interpellé parut gêné.
— Pas tout à fait, mais j'ai bon espoir. La fille du boulanger me plait bien, et je lui plais aussi.
— Fabuleuse nouvelle !
— Tu viens voir ton ami, le fabricant de sandales rituelles ?
— En effet.
— Le pauvre... Les policiers l'ont interrogé pendant des heures avant de l'emmener. II y en a partout et ils ont l'air méchant ! On était tranquilles, aux Trois Palmiers. Et dans les villages proches d' Hermopolis, c'est pareil. Ils questionnent les gens et fouillent les maisons.
— Et toi, ils t'ont embêté ?
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LA VENGEANCE DES DIEUX
— Moi, j'ai obéi à mon oncle et j'ai dit que je ne te connaissais pas. Alors, ils m'ont laissé en paix. Et puis je leur vends mon ail à bon prix !
— Nous ne nous sommes jamais rencontrés, entendu ?
Tête-en-l'air approuva d'un clin d'oeil, le quatuor rebroussa chemin.
— Séparons-nous, précisa Bébon. Nitis jouera les paysannes, en compagnie de Vent du Nord, et empruntera le sentier en lisière du désert, loin des villageois. Kel et moi utiliserons le fleuve... en nageant. Et nous nous rejoindrons au nord d' Hermopolis, à l'orée du canal menant à la vallée des tamaris.
— Je ne quitterai pas Nitis, décida le scribe.
— Il le faut, jugea-t-elle. Ensemble, nous serons arrêtés. L'arc et les flèches de Neit me protégeront. Toi, ne perds pas l'amulette.
— Nitis...
Elle l'embrassa si tendrement qu'il fut obligé de céder.
— Viens, ordonna Bébon. C'est notre seule chance de réussir.
Déchiré, Kel regarda Nitis s'éloigner.
— Vent du Nord prendra le chemin le plus court et le plus sûr, affirma le comédien. Au travail, le champion de l'endu-rance ! Rassure-toi, il n'y a pas de crocodiles dans les parages.
Ils n'aiment pas être dérangés, et les bateaux sont nombreux à proximité d' Hermopolis.
— Les courants?
— Je les connais par coeur, grâce à une gentille jeune personne qui se baignait avec moi. On longera les berges, sauf à un endroit où il faudra s'en écarter.
L'eau était délicieuse, nager apaisa l'angoisse du scribe.
Il suivit Bébon, déterminé et très à l'aise. Les deux hommes alternaient périodes de crawl' et de repos, utilisant les mouvements du fleuve pour progresser à bonne allure.
1. Contrairement à une idée reçue, cette technique n'est pas une invention récente. Un hiéroglyphe des Textes des Pyramides prouve qu'elle était déjà pratiquée par les Égyptiens dès l'Ancien Empire.
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LA DIVINE ADORATRICE
Kel ne cessait de songer à Nitis. Séparé d'elle, il constatait à quel point sa lumière lui était indispensable. Au-delà de l'amour humain et du désir physique, il existait entre eux une harmonie d'un autre monde.
Bébon se dirigea vers le milieu du fleuve. Le courant favo-risait les nageurs, une énorme perche les frôla. Sous l'eau, ils augmentaient leur vitesse.
En remontant à la surface afin de reprendre de l'air, Kel vit un bateau de la police. À la proue, un archer prêt à tirer.
La fin du voyage, loin d'elle, si loin d'elle...
Il sourit et agita la main, en signe de sympathie.
L'archer lui répondit de la même manière, et le bateau poursuivit sa course.
Bébon jaillit à côté du scribe.
— Par les dieux, on a eu chaud !
— Pas trop fatigué ?
— Tu plaisantes !
Le comédien reprit le crawl.
*
* * *
À l'horizon, la vallée des tamaris. Au sommet de leur épanouissement, les arbres roses créaient un paysage magique au coeur duquel se dressait l'immense temple de Thot'. Vent du Nord s'immobilisa et goûta l'air parfumé inondant ce site enchanteur. Nitis voyait Kel nager et surmonter les périls du fleuve. Bientôt, ils seraient réunis.
Une dizaine de policiers surgirent de la forêt.
— Où vas-tu, jeune femme ? interrogea le sergent-chef.
Nitis le regarda droit dans les yeux.
— Je livre des légumes frais aux temples.
— Ton mari ne t'accompagne pas ?
— Je gère moi-même mon exploitation.
1. Parfois comparé à Karnak, il fut entièrement détruit par les fellahs qui brûlèrent ses pierres, le résidu étant utilisé comme engrais.
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LA VENGEANCE DES DIEUX
— Une femme libre...
— Cela ne vous importune pas, j'espère ?
— Je respecte la loi. Ton nom?
— Néféret.
— Je vais examiner le chargement de ton âne.
— Méfiez-vous, il a un caractère ombrageux.
— Si cette bête m'agresse, tu en seras responsable !
— En ce cas, j'ouvre moi-même les paniers.
Les policiers se rapprochèrent de Nitis, comme s'ils redoutaient qu'elle exhibât une arme terrifiante.
— Poireaux, salades et oignons... Satisfait?
— Ce sac, attaché au flanc de ton âne, que contient-il?
Une simple paysanne, propriétaire d'un arc... Le sergent-chef arrêterait Nitis et l'emmènerait au poste de police.
— Affaires personnelles.
— J'ai l'ordre de tout examiner. Montre ou bien nous abattons ton âne.
La tête et les oreilles basses, Vent du Nord prenait soin de ne manifester aucun signe d'hostilité. En prison, la prêtresse tenterait de se défendre. Kel et Bébon poursuivraient la quête de la vérité.
Lentement, elle sortit l'arc du sac en toile de lin.
Les yeux fixés sur l'étrange objet, les policiers devinrent hagards. Pigés, les bras ballants, ils semblaient incapables d'intervenir.
Du bois d'acacia émanait une clarté aussi intense que celle du soleil. Seule Nitis ne fut pas victime d'un éblouissement.
— Passe, ordonna le sergent-chef.