68.
— Ton avis ? demanda le roi Amasis au général Phanès d'Halicarnasse. Et sois sincère !
— Votre fils Psammétique se comporte comme un excellent soldat, Majesté. J'ai rarement vu un jeune homme inexpérimenté accomplir autant de progrès en si peu de temps.
Il se montre courageux, presque téméraire, ignore la fatigue et recommence l'exercice jusqu'à la perfection. Sa réputation grandit déjà parmi les hommes de troupe, et il sera un chef respecté.
— Poursuis sa formation, Phanès. Et demeure intransigeant.
— Comptez sur moi, Majesté.
Amasis rejoignit son épouse, chargée d'organiser un grand banquet auquel étaient conviés les principaux officiers supérieurs. Un dîner assommant que le pharaon jugeait indispensable.
— Excellentes nouvelles, ma chère ! Notre fils deviendra un véritable chef d'armée et saura défendre les Deux Terres.
Nous pouvons être fiers de lui.
Tanit eut un triste sourire.
— Lui apprendrez-vous à gérer sainement le pays?
— Je m'en occuperai en son temps, promit le souverain.
Ce soir, nous féliciterons des braves et les encouragerons à rester vigilants.
301
LA VENGEANCE DES DIEUX
— Psammétique sera-t-il présent?
— Bien entendu. Je raccourcis ma dernière réunion de travail de la matinée, et nous nous offrons une promenade en barque avant le déjeuner.
Amasis regagna son bureau où l'attendaient le chancelier Oudja et Hénat. Ils avaient la mine des mauvais jours.
— Soyez brefs, exigea le monarque. Le temps est délicieux, et j'ai envie de goûter les charmes de la campagne.
— Le juge Gem a déployé de nombreuses forces de sécurité à Thèbes, indiqua le chancelier. Selon lui, le scribe Kel s'y dissimulerait.
— Cette affaire ne m'intéresse plus. Le traître Péfy éliminé, les comploteurs sont réduits au silence. Leur seul exploit consista à détruire mon casque. Laissons cependant le juge agir : en quadrillant Thèbes, il jugule toute velléité d'opposition. Et la prochaine Divine Adoratrice ne nous causera aucun ennui.
Le voyage de notre ami Crésus se prépare-t-il ?
— Il retarde sa venue, déclara le chef des services secrets.
Amasis parut contrarié.
— Connaît-on ses raisons ?
— D'après le message d'un de nos agents parvenu au service des interprètes, il se rendrait d'abord à Samos pour y rencontrer le tyran Polycrate. De mon point de vue, ce dernier n'est pas un allié très sûr.
— Tu te trompes, Hénat ! Comme l'ensemble des Grecs, Polycrate admire l'Égypte et me soutient sans réserve. Il est trop heureux de nous fournir des mercenaires et de recevoir en échange des cargaisons de richesses ! Envoyons-lui une lettre chaleureuse et confions à Crésus notre désir de le revoir bientôt.
Pressé de retrouver la reine et de passer en sa compagnie des heures exquises au fil de l'eau, Amasis abandonna ses conseillers.
*
* * *
302
LA DIVINE ADORATRICE
La ville dormait, paisible.
Contemplant la nuit, le chef des conjurés voyait son plan se dérouler de manière implacable. La phase finale approchait.
Il pouvait encore changer le cours du destin et se satisfaire de la situation présente.
Mais la réussite était trop proche, et personne ne l'empê-
cherait de jouir de son triomphe. La surprise serait totale, les réactions dérisoires. Et si certains inconscients s'obstinaient à résister, ils le paieraient de leur vie.
Un dernier obstacle... Au chef des conjurés de se montrer convaincant et d'utiliser les bons arguments afin de rallier à sa cause l'ultime récalcitrant.
Et s'il échouait, le plan continuerait quand même à s'appliquer.
***
De fort méchante humeur, le juge Gem se rendit au palais du grand intendant. Son dernier entretien avec le responsable du réseau thébain de Hénat ne lui avait procuré aucun élément sérieux. Cet incapable se contentait de vivoter en touchant un bon salaire et n'exigeait pas de ses subordonnés un quelconque effort. Inutile de compter sur lui pour retrouver la piste du scribe assassin et de ses complices.
Le majordome du grand intendant accueillit le magistrat.
— Va chercher ton patron.
— Il se repose et...
— Réveille-le.
Le domestique ne discuta pas.
Gem fit les cent pas dans une antichambre à colonnes, décorée de fresques représentant une multitude d'oiseaux s'ébattant au-dessus des ombelles de papyrus.
Vêtu d'une tunique d'intérieur, décoiffé, Chéchonq apparut.
— Je suis extrêmement mécontent, assena le juge.
303
LA VENGEANCE DES DIEUX
— Moi aussi, rétorqua sèchement le grand intendant.
Pourquoi autant de policiers surveillent-ils ma demeure ?
— Ils assurent votre protection.
— Renvoyez-les !
— Vous n'avez rien compris, grand intendant. Je donne les ordres au nom du roi, et vous obéissez.
— M'interdiriez-vous d'aller et de venir?
— Cacheriez-vous des assassins ?
— Fouillez la villa et ses dépendances !
— J'en avais précisément l'intention.
— Ensuite, vous me présenterez vos excuses !
— Une enquête criminelle s'accompagne de multiples investigations, la plupart infructueuses.
— Eh bien, ne vous gênez pas !
— Vu votre position, vous n'avez pas commis la folie d'abriter des comploteurs passibles de la peine de mort. Mais je préfère connaître l'identité de toutes les personnes qui entrent chez vous et en sortent. Ainsi, vous éviterez les tentations malsaines et Thèbes un éventuel scandale.
— Vous perdez la raison, juge Gem !
— Je vous soupçonne d'être à l'origine des faux renseignements parvenant en nombre à la police. Les vérifier exige beaucoup d'efforts inutiles.
— Les Thébains ne cherchent qu'à vous aider.
— Non, à m'égarer ! Et je ne suis pas dupe. Cessez ce petit jeu stupide, ou vous vous en repentirez.
— Indignes d'un juge, vos menaces ne m'impressionnent pas.
— Vous avez tort, car je ne plaisante pas. Il s'agit d'une affaire d'État, et quiconque s'opposera à la loi sera broyé.
— Me voici rassuré, puisque je n'ai nullement l'intention de m'y opposer.
— Détenez-vous des informations concernant le scribe Kel, la prêtresse Nitis et le comédien Bébon ?
— Pas la moindre.
304
LA DIVINE ADORATRICE
— Si vous apprenez quelque chose, faites-m'en part immédiatement.
— Était-il besoin de le préciser ?
Excédé, le juge Gem se retira.
Thèbes se liguait contre lui et les forces de police. Impossible de fouiller chaque maison et de surveiller en permanence chaque pouce de terrain. Il fallait attendre une faute de la part des fuyards.