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Avait-il trouvé quelque chose ?


J’ai dormi jusqu’à 10 heures du matin. C’est le texto de Mona qui m’a réveillé.

Flics passés à la Sirène.

Te cherchent. Rien dit.

Te veulent vivant je crois. Ouf !

Prends soin de toi.

Bonnie

Je suis resté de longues secondes immobile. Je savourais. Les rayons du soleil suspendu au-dessus de la valleuse de Vaucottes traversaient les vitres pour dorer les draps de lin. J’ai collé l’énorme édredon de plume sous mon dos et j’ai tapé une réponse :

M’auront pas !

Mystère no 123 : Christian Le Medef, dit Atarax,

témoin no 2 du suicide de Magali Verron, disparu

depuis hier soir.

Un piège !

Sois prudente.

Clyde

J’ai attendu plusieurs minutes la réponse de Mona. Sans qu’elle arrive.

Se lever. Se laver. S’habiller. Déjeuner. Se rassurer.

Mona devait volontairement limiter nos échanges. Elle avait raison. Les flics l’avaient rencontrée, ils pouvaient la soupçonner. La surveiller.

 

Vers 11 heures, après avoir vidé une boîte de spéculoos Lotus trempés dans du café, je suis descendu à la cave, seul lieu de la maison de Martin Denain que je n’avais pas encore visité.

La suite de mon plan de bataille restait assez floue dans ma tête. Me cacher dans cette villa toute la journée, d’abord, et utiliser les outils de communication à ma disposition pour espérer trouver une piste. Internet. Téléphone. Comme ce type dans le film d’Hitchcock, qui résout une enquête sans sortir de chez lui, avec une jambe dans le plâtre.

 

A la vue de l’épaisse couche de poussière, personne n’avait dû mettre les pieds dans la cave du professeur d’université depuis des mois. Mes traces de pas asymétriques s’imprimèrent sur le béton gris, plus identifiables que si j’avais marché dans la neige. Lorsque l’ampoule nue pendue au bout de son fil électrique s’alluma, une odeur d’insecte grillé se diffusa dans la pièce.

Un bric-à-brac d’objets encombrants à usage réservé aux week-ends ensoleillés était entassé. Vélos, parasol, chaises longues, barbecue, salon de jardin, filet de badminton, ballons, raquettes.

Des cartons étaient empilés contre les murs.

J’avais une journée entière devant moi, je n’ai pas résisté à la tentation, j’ai arraché le scotch marron du premier de la pile. Il contenait une dizaine d’albums photo.

Je les ai feuilletés, prenant mon temps, comme si chaque volume correspondait à un épisode d’une sitcom.

Les Denain, saison 1.

Le professeur d’université posait devant l’aiguille d’Etretat, dans les années 80 à en juger par la Renault 5 orange garée derrière eux, main dans la main avec sa femme, une jolie blonde élancée à la crinière décoiffée, souriante. Sa vie défila au fil des photos, filmée sous cellophane. Martin à la plage. Martin bricole. Martin pêcheur.

Un autre album. Denain moins jeune posait devant l’aiguille d’Etretat, dans les années 2000 à en juger par l’Audi A4 garée derrière eux, main dans la main avec sa femme, une blonde un peu forte, cheveux courts, l’air sévère. Martin surfe. Martin golfe. Martin joue au tennis avec son fils, un garçon brun qui devait avoir mon âge et que l’on voyait grandir au fil des pages et au gré de ses séjours dans la résidence secondaire familiale.

J’ai continué à en piocher d’autres, au hasard, jusqu’à trouver ce que je cherchais : une photo de Mona. Il y en avait deux sur les centaines de clichés.

Sur la première, Martin Denain ramassait des galets avec Mona. Sur la seconde, le chercheur posait avec Mona devant l’aiguille d’Etretat. Leurs mains ne se touchaient pas mais Mona était plus jolie que jamais.

Le professeur Denain était un veinard.

Comme par télépathie, mon téléphone sonna au même moment. La réponse de Bonnie !

Pas de chance pour Le Medef, mon grand.

Mise tout sur ton témoin no 3. La vieille Denise.

Sinon, camisole direct !

J’ai souri, puis j’ai tâté la double page du Courrier cauchois déchirée dans ma poche. Mona avait raison. Le Medef hors jeu, seule Denise pouvait témoigner que le visage de Magali Verron était identique à celui de Morgane Avril. Seule Denise pouvait prouver que je n’étais pas complètement cinglé… sauf que je ne connaissais d’elle que son prénom et son âge.

Denise. Soixante-dix ans.

Un spécimen aussi rare qu’une Nathalie de cinquante ou qu’une Stéphanie de trente.

Je n’allais pas appeler toutes les Denise du canton figurant dans l’annuaire. Ni demander son adresse à Piroz…

J’ai tapé nerveusement une brève réponse. Deux simples mots en forme de SOS.

Denise qui ?

Comme si Mona pouvait le savoir. Le Medef m’avait indiqué qu’il n’avait pas revu Denise à Yport. Elle pouvait fort bien habiter un village alentour.

J’ai poursuivi mes explorations dans la cave.

Sur l’une des étagères les plus hautes, j’ai découvert une petite boîte rouge. Je suis parvenu à déchiffrer les lettres à moitié effacées :

Winchester AM Munition.

Une boîte de cartouches !

Pas de munitions sans armes… D’évidence, le professeur Denain devait dissimuler un revolver quelque part dans sa cave, sans doute à l’abri des enfants.

J’ai fouillé un bon quart d’heure avant de trouver ce que je cherchais, en ouvrant l’un des derniers tiroirs d’une commode dont l’accès était presque interdit par un escabeau et une table de ping-pong. J’ai d’abord soulevé des piles d’habits entassés. Des fringues de marque, jetées là comme des chiffons. Passées de mode ? Trop petites ? Oubliées ? Des gants Vuitton élimés. Un polo Eden Park rose. Un tee-shirt d’ado Armani. Une cravate vichy en coton, signée Burberry.

J’ai laissé glisser le morceau de tissu entre mes mains en me forçant à penser que tous les types disposant d’un peu de fric devaient posséder ce genre d’accessoires vestimentaires dans leur garde-robe. Je n’allais tout de même pas imaginer que, par le miracle d’une nouvelle coïncidence, je me retrouvais à fouiller dans la cave du tueur à l’écharpe rouge… alias Martin Denain, professeur de chimie moléculaire.

Le revolver était caché sous les habits.

Un King Cobra, d’après le nom inscrit en blanc sur le métal noir. Neuf. Du moins je le présumais, c’était la première fois que je tenais la crosse d’une arme à feu dans ma main.

Le message résonna dans la cave alors que mon doigt testait la sensibilité de la détente.

Demande au chien !

J’ai mis quelques secondes avant de comprendre le message de Mona.

Le chien ? Quel chien ?

J’ai d’abord imaginé un message à double sens, puis je me suis souvenu d’Arnold, le shih tzu de Denise.

Le quatrième témoin ?

Mona se foutait de moi !

Je réfléchissais à une réponse spirituelle, genre « Si tu as le temps sur la plage, demande aussi aux mouettes », lorsque mon pouce s’immobilisa au-dessus du clavier de mon téléphone.

La solution explosa dans ma tête comme une évidence.

Mona ne se moquait pas de moi !

Son conseil était on ne peut plus explicite. Demande au chien ! Avec un peu de culot et beaucoup de chance, cela pouvait fonctionner.

 

Je suis remonté de la cave quatre à quatre, sans même prendre le temps de ranger le désordre derrière moi. Il devait forcément y avoir un annuaire dans cette maison, j’ai marché dans la salle à sa recherche, ouvrant les tiroirs de chaque meuble.

Le crissement de pneus dans le jardin de la villa figea mon dernier geste, comme si une main de fer avait griffé mes pensées sous mon crâne.

Les flics !

Par réflexe, j’ai plongé sous la fenêtre.

J’ai distinctement entendu un bruit de portière qu’on ouvre. Des pas qui marchent dans le gravier… Je n’allais pas me laisser cueillir là, stupidement. Je me suis relevé avec précaution et j’ai glissé un œil par le carreau.

La voiture était garée devant la porte du manoir. Le type s’avançait, l’air sûr de lui.

Même si cela paraissait tout bonnement impossible, même les flics n’y étaient pas parvenus :

Lui m’avait retrouvé.

Il prit le temps d’allumer une cigarette, puis n’hésita pas une seconde.

Le facteur avança jusqu’à la boîte aux lettres, y glissa une grande enveloppe marron puis remonta dans sa Kangoo jaune poursuivre sa tournée.