Encore une coïncidence ?
Le silence aurait pu durer une éternité entre Mona et moi. Le riff de La Grange, de ZZ TOP, explosa avant que la chercheuse ne s’éloigne.
La sonnerie de mon portable ! J’avais reçu un message. D’un geste énervé, j’ai attrapé le téléphone au fond de ma poche.
— Une admiratrice ? me demanda Mona avec curiosité.
Elle semblait ravie qu’un élément extérieur vienne déchirer la toile d’araignée dans laquelle nous nous débattions. J’ai lu le message et j’ai choisi l’apaisement.
— Tu ne crois pas si bien dire…
— Jeune et jolie ?
— Jolie, oui. Mais très jeune.
— Quel âge ?
— Quinze ans…
Mona se hissa de quelques centimètres sur la pointe de ses pieds et me roula des yeux étonnés.
— Elle se prénomme Ophélie. C’est une ado de l’Institut Saint-Antoine. Elle a été violée par son père. Cadeau d’anniversaire pour ses huit ans. Elle en a gardé quelques séquelles. Violence. Comportement caractériel. Troubles sexuels…. Aucun adulte, éduc, psy ou prof n’arrive à en venir à bout. Mais moi, je m’entends plutôt bien avec elle.
— Et elle t’appelle pendant les vacances ?
— Ouais. Ils me font chier avec ça à l’Institut. Soi-disant que je suis trop proche d’elle, que je perturbe le processus thérapeutique…
— Ils ont raison, fit Mona. Chacun son job, non ? Qu’est-ce qu’elle te veut, la gamine ?
J’ai tendu le portable à Mona pour lui montrer la photo envoyée par Ophélie. Elle posait collée à un grand black dont le piercing recouvrait la moitié de la narine. Un court message illustrait la photo. Deux mots.
Quelle note ?
— Ça veut dire quoi, « quelle note ? » ?
J’ai repris le téléphone.
— C’est un jeu entre nous. Le week-end ou en vacances, quand Ophélie se lève un mec, elle m’envoie une photo de lui et je l’évalue… Je corrige sa copie, si tu veux. Je donne une note et une appréciation. Du genre « Peux mieux faire ». « En progrès ». « Hors sujet ». En retour, moi aussi, parfois, je lui envoie des photos de mes copines…
Mona, rassurée, laissa enfin filer un éclat de rire.
— Tu m’étonnes que les éducs de ton Institut te tombent dessus !
J’ai pianoté rapidement ma réponse.
5 sur 20. Manque d’imagination. Evite le copié-collé.
Alors que je cliquais pour envoyer le message, Mona ouvrit soudain sa combinaison, défiant le vent qui s’engouffrait entre la digue et les cabines de plage. Ses deux seins se démoulèrent délicatement du néoprène.
— Et moi ? Quelle note ?
Cette fille était folle !
— Tu veux l’avis de ma copine, c’est bien ça ?
J’ai réglé le viseur de mon iPhone pour zoomer sur le visage de Mona.
— C’est parti. Méfie-toi, Ophélie est une teigne. Jusqu’à présent, elle n’a donné la moyenne à aucune de mes copines.
Je me suis avancé vers Mona.
— Rhabille-toi avant d’attraper la mort. Je te laisse, je dois retourner chez les flics.
J’ai moi-même tiré sur la fermeture éclair pour que le décolleté de Mona se mue en sage col roulé.
J’avais le temps de repasser à l’hôtel pour me changer, d’attraper ensuite un sandwich avant de prendre le car pour Fécamp, direction la gendarmerie.
Au moment où je suis entré dans le hall de la Sirène, André rangeait des dépliants sur le palais Bénédictine. Ce type passait son temps à apparaître et disparaître de derrière son comptoir, à croire qu’il disposait d’une entrée secrète, d’une trappe sous son bar ou d’un truc dans le genre.
Visiblement il n’avait pas reçu de nouveau courrier pour moi… Je me suis planté devant lui.
— Parmi tes clientes, André, tu n’aurais pas eu une visiteuse médicale ? Magali Verron. Elle couvrait le secteur des médecins de la région du Havre. Elle devait dormir de temps en temps à l’hôtel. Avant-hier soir par exemple…
— C’est la fille qui s’est suicidée ?
Il continuait de ranger avec indifférence les autres prospectus. Vélo-rail d’Etretat. Musée des Terre-Neuvas. Mon premier réflexe fut de me demander comment il avait pu faire le rapprochement aussi vite.
— Ouais…
— Ça me dit rien. Tu sais, y a une bonne dizaine d’hôtels dans le canton, sans compter ceux sur Etretat et les chambres d’hôtes que tous les paysans du coin ont ouvertes. T’as pas une photo ?
— Non…
J’ai tenté de décrire du mieux que je pouvais Magali Verron. Je ne lui ai rien caché de sa beauté fascinante et du pouvoir d’attraction de son regard désespéré.
La réponse d’André claqua comme une évidence.
— Une fille aussi jolie que ça, je l’aurais remarquée…
Bien entendu.
Alors que je grimpais l’escalier de bois, mon téléphone vibra.
Nouveau message !
La réponse d’Ophélie à la photo de Mona…
J’ai lu le texto, persuadé que ma petite protégée allait assassiner ma musaraigne rousse d’une critique jalouse et cinglante. Le message me laissa sans voix.
21 sur 20. La lâche pas celle-là, c’est la femme de ta vie.
Lorsque j’ai ouvert la porte de ma chambre, le courant d’air glacé m’a saisi. La fenêtre était restée ouverte.
La femme de ménage. Pour aérer.
Le lit était fait, impeccable. Les serviettes neuves. J’ai fugitivement repensé au désordre de la chambre après ma nuit passée avec Mona.
Je me suis soudain figé.
Une enveloppe marron était posée sur mon bureau, juste à côté de l’ordinateur portable. Une enveloppe neuve, intacte. Aucun timbre cette fois. Aucune adresse. Juste mon nom.
Jamal Salaoui.
Même écriture féminine que sur les plis précédents.
Avant de saisir l’enveloppe, je me suis penché par la fenêtre ouverte. Le souffle du vent gelait mon corps en fusion. Il n’était pas très difficile d’atteindre ma chambre par l’extérieur, les toits plats du restaurant de la Sirène et de son appentis formaient une sorte d’escalier pour géant. Mais qui aurait pu prendre le risque d’une telle escalade ? En plein front de mer, presque à la vue de tous ? Pour poser une enveloppe sur mon bureau.
J’ai hésité un instant à redescendre, à demander à André si, à part la femme de ménage, quelqu’un était entré dans ma chambre. J’ai renoncé.
Plus tard…
J’ai refermé la fenêtre. Il fallait que je me calme. La sueur, celle que mon WindWall était censé absorber, coulait en rigoles tièdes sur ma peau. Je me suis déshabillé sur le lit puis j’ai dévissé ma prothèse de carbone. Les mains moites. Elles laissèrent des traces brunes sur l’enveloppe que je déchirais. Elle était plus fine que les précédentes. Juste trois feuilles agrafées.
J’ai immédiatement reconnu le bandeau tricolore de la police nationale.
SRPJ de Caen. Affaire Myrtille Camus.
Procès-verbal du 28 août 2004.
Pièce no 027. Témoignage d’Alina Masson
Nu sur le lit à l’exception de mon shorty, j’ai laissé mon unique jambe pendre jusqu’au plancher tout en m’efforçant de contrôler le tremblement nerveux qui l’agitait.
*
* *
Affaire Myrtille Camus – Samedi 28 août 2004
— J’étais la meilleure amie de Myrtille.
— Nous savons, répondit Bastinet.
Le commandant du SRPJ de Caen et la psychocriminologue Ellen Nilsson étaient assis devant les quatre témoins. Louise et Charles, les parents de Myrtille Camus. Frédéric Saint-Michel, son fiancé. Alina Masson, sa meilleure amie, celle qui venait de s’exprimer.
Celle dont le témoignage pouvait s’avérer décisif…
Le commandant Bastinet n’eut pas besoin de consulter ses notes, il connaissait le dossier par cœur. Depuis la découverte du corps de la jeune fille, violée et étranglée dans un bois près d’Isigny, il avait dormi moins de cinq heures, par tranches d’une demi-heure, comme un navigateur qui mène une course. C’était un peu cela.
Une course.
Contre la montre.
En solitaire…
Pour coincer ce salopard qui avait déjà frappé deux fois en trois mois. Morgane Avril à Yport, en juin, puis Myrtille Camus, maintenant.
A vrai dire, il ne comptait guère sur les services de cette Ellen Nilsson, la fille que le ministère lui avait collée dans les pattes. Non pas qu’il ait quelque chose contre les psychocriminologues, au contraire, ce n’était pas sa partie mais il avait souvent fait appel à des spécialistes du cerveau pour mieux comprendre les détraqués qu’il avait eu à fréquenter. Mais il se demandait comment cette blonde filiforme, qui s’était pointée avec son étui à stylo Dupont pour seule arme, son bloc Mont-Blanc pour seule armure et son yaourt Activia pour seul repas, pourrait lui être utile.
— Mademoiselle Masson, vous dirigiez le camp d’adolescents où Myrtille Camus a trouvé la mort ?
Alina confirma.
Une gamine ! pensa Bastinet.
Alina Masson avait tout juste vingt et un ans, à peine quelques mois de plus que Myrtille Camus. Dans le camp d’Isigny-sur-Mer organisé par l’association du Drap d’Or d’Elbeuf, il n’existait aucune hiérarchie entre les deux filles. Juste une longue complicité.
Bastinet décida d’aller droit au but.
— Myrtille se sentait menacée ? Menacée par un homme, à plusieurs reprises ? C’est bien cela, mademoiselle Masson ?
— Pas exactement, commandant.
Bastinet tiqua. Ellen Nilsson, tout en contemplant ses ongles émeraude, reformula la question.
— Prenez votre temps, mademoiselle Masson. Racontez-nous les faits. Seulement les faits. Qui était cet homme ?
— La première fois que je l’ai vu, expliqua Alina, c’était à l’étang de la base de loisirs d’Isigny. Il se tenait à une centaine de mètres de nous. Il… il fixait Myrtille.
— Quelle a été votre réaction ? demanda Bastinet.
— Aucune. A ce moment-là, je n’y ai pas vraiment fait attention. C’était, comment dire, fréquent.
— Fréquent ? répéta le commandant.
Alina jeta un regard gêné à Frédéric Saint-Michel. Le fiancé de Myrtille indiqua d’un signe de la main qu’elle pouvait continuer. Ellen griffonna quelques notes sur son bloc Mont-Blanc pendant que le commandant Bastinet pressait le témoin de poursuivre.
— Myrtille avait pris l’habitude, tous les matins, de proposer une séance d’aquagym aux ados, pendant une demi-heure, au bord de l’étang. On mettait la musique à fond, Myrtille dansait et tous les gamins faisaient les mêmes gestes. Après quelques jours, l’aquagym de Myrtille était devenue un rendez-vous quotidien pour tout le camping. Familles, touristes, ados…
— Elle était au centre de tous les regards, suggéra Ellen.
— C’est ça…
Alina hésita, interrogea Louise Camus des yeux, puis continua, un tremblement dans la voix.
— Myrtille était une très jolie fille. Elle dansait avec une grâce et une énergie qui ne laissaient personne indifférent.
Des larmes perlaient au coin de l’œil de Louise. L’ancienne professeur de danse serrait la main ridée de son mari.
— Pouvez-vous nous décrire cet homme qui fixait Myrtille ? enchaîna Bastinet. Cet homme qui la fixait plus que les autres…
— Je ne l’ai vu que de loin, commandant. Taille normale. Plutôt jeune. Notre âge, a priori. Il portait une casquette, blanche et bleue, avec les trois bandes Adidas. Des lunettes de soleil aussi. Il m’a semblé plutôt bronzé.
Bastinet pesta. La description pouvait correspondre à celle de l’inconnu à l’écharpe rouge croisé par trois témoins à Yport, le suspect no 1 du meurtre de Morgane Avril, celui que le capitaine Grima avait vainement recherché. Mais elle pouvait aussi correspondre à des milliers d’autres hommes…
— Quand avez-vous revu ce type ?
— Il traînait dans le camping, du moins j’ai reconnu sa casquette plusieurs fois. A mon avis, il devait être du coin. Ou bien il était animateur dans un des autres groupes de la base. Il y avait au moins dix camps qui cohabitaient à Isigny…
— Sept exactement, mademoiselle, précisa Bastinet. Cent treize adolescents et vingt-huit adultes pour les encadrer.
Ellen Nilsson leva les yeux au ciel, comme lassée par la rigueur pointilleuse du commandant.
— Pour être exacte, reprit Alina, la seconde fois que je l’ai vraiment remarqué, c’était au large de Saint-Marcouf.
Bastinet consulta ses notes rapidement. Les îles Saint-Marcouf, à sept kilomètres des côtes normandes, étaient les deux seules îles de la côte française de Calais jusqu’au nord du Cotentin. Deux cailloux posés dans la mer, sur lesquels Napoléon avait construit un fort contre les Anglais. Propriété de l’Etat, y dormir était interdit, mais le mouillage autorisé. Les îles Saint-Marcouf constituaient une destination incontournable pour la plaisance locale. Comme il se doit, le camp du Drap d’Or avait organisé une sortie voile jusqu’aux îles, cinq jours avant l’assassinat de Myrtille.
— Myrtille et son groupe de cinq ados avaient passé la journée sur l’archipel, continua Alina. Je suis venue les rejoindre avec un autre groupe, en 3.20, vers midi. J’ai… j’ai reconnu le type. Même casquette, mêmes lunettes. Il était à bord d’un Zodiac, un petit modèle, genre bateau de location… et il naviguait autour des îles.
— Depuis combien de temps ? demanda Ellen.
— Je ne sais pas… Il était déjà là quand on s’est approchés de Saint-Marcouf. Il a fait encore quelques tours. Il fixait Myrtille, c’est très clair. Puis il a mis les gaz. Cela n’a pas dû durer plus de cinq minutes en tout, mais…
— Mais cette fois, coupa Bastinet, cela vous a inquiétée.
Ellen soupira ostensiblement.
— Pas exactement, commandant, précisa Alina. Je me suis plutôt dit quelque chose comme : Il commence à nous faire chier celui-là à nous tourner autour.
— Je comprends. Un réflexe de directrice vigilante. Quand avez-vous croisé cet homme pour la dernière fois ?
— Deux jours plus tard. Myrtille était en congé, elle avait poussé à pied jusqu’à la plage de Grandcamp-Maisy et on avait convenu que je la récupère en allant faire les courses avec le neuf-places. A l’heure prévue, je l’ai cherchée sur la plage. Elle dormait, en maillot, couchée sur le dos, un foulard sur les yeux. Je l’ai réveillée. C’est seulement ensuite que j’ai remarqué qu’il était là, sur une serviette, à une trentaine de mètres d’elle. Myrtille m’a avoué sur le chemin du retour qu’elle avait dormi comme une masse sur le sable, plus de deux heures… (Ses doigts tremblants recherchèrent un mouchoir dans sa poche. Elle ne le trouva pas, renonça et continua :) Cela signifie que ce type avait pu la mater pendant tout ce temps, qu’il avait pu imaginer ce qu’il voulait, se faire son film, la…
Alina se tut brusquement et fondit en larmes. Frédéric Saint-Michel, les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil, n’eut pas un geste envers elle. Il semblait se murer dans sa haine contre l’assassin de sa fiancée, comme s’il vivait chaque seconde où la névrose du voyeur s’était peut-être transformée en pulsion meurtrière.
Alors qu’Ellen tendait à Alina un kleenex dans un délicat emballage vichy bleu, Bastinet insista.
— Vous pourriez nous le décrire ?
Alina était une fille forte. Elle renifla, toussa pour s’éclaircir la voix, et continua.
— Pas vraiment. Il était allongé sur le ventre. Toujours sa casquette sur la tête et ses lunettes de soleil. Il était plutôt fin, assez musclé, des muscles longs, comme ceux d’un sportif. Mais je serais incapable de le reconnaître.
Les policiers lui montrèrent par la suite le portrait-robot de l’inconnu d’Yport, remplacèrent sur Photoshop l’écharpe rouge par une casquette Adidas, ajoutèrent des lunettes de soleil.
Cela pouvait être lui.
Ou pas.
Le commandant Bastinet se fendit d’un sourire compréhensif.
— OK, mademoiselle Masson. Une dernière précision, qui ne s’adresse pas qu’à vous d’ailleurs. Vous me confirmez que Myrtille tenait un journal intime ?
— Pas tout à fait, commandant. Pas vraiment un journal.
Parents, fiancé et amie se relayèrent pour décrire le carnet Bloc-notes Moleskine bleu ciel que Myrtille annotait depuis son adolescence et qu’elle conservait toujours sur elle ou dans son sac à main.
Disparus, tous les deux, sans doute entre les mains de son violeur.
Myrtille confiait ses pensées les plus secrètes à ce carnet. Quelques phrases brèves, parfois drôles, parfois mélancoliques. Myrtille aimait beaucoup écrire.
Bastinet allait remercier les quatre témoins lorsque Ellen leva la main. La psychocriminologue avait longtemps hésité à poser sa dernière question devant le fiancé de Myrtille Camus. Elle ressentait une gêne face à Frédéric Saint-Michel. L’écart d’âge avec sa future femme, sans doute, même si à trente-sept ans il affichait un charme intact d’éducateur charismatique, dont le regard doux de moine bouddhiste se doublait d’une carrure de judoka.
Ellen prit le timbre de voix le plus suave qu’elle put, puis s’adressa directement à Alina.
— Mademoiselle Masson, selon vous, le jour du meurtre, pourquoi Myrtille Camus était-elle habillée de façon aussi élégante ?
Alina se figea. Surprise.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Ellen pointa un doigt émeraude, bague et ongle coordonnés, pour signifier à Bastinet de ne pas intervenir et précisa.
— Myrtille était animatrice en camp d’adolescents. Sous votre direction. Je suppose qu’on porte des habits pratiques pour travailler avec des jeunes garçons, un short, un tee-shirt, des tennis… Pas des dessous mauves et une robe aussi courte…
— C’était… c’était son jour de congé, bredouilla Alina, étonnée que la psychocriminologue ne s’en soit pas souvenue.
Le commandant Bastinet fusilla des yeux sa collègue. Frédéric Saint-Michel crispa à nouveau ses mains sur sa chaise pour contenir sa rage, contrastant avec le calme de Louise et Charles, qui se levèrent dans un silence de fantômes.
Le commandant observa Frédéric Saint-Michel avant qu’il ne quitte la pièce. Grand. Droit. Fier encore. Ses longs cheveux étaient noués par un catogan noir.
Bastinet fut convaincu que le deuil allait faire exploser en quelques mois cette jeunesse insolente. Que l’on trouve ou non l’assassin de sa future femme n’y changerait rien, Saint-Michel se ratatinerait plus vite qu’un autre, blanchirait, pourrirait aussi sûrement qu’un appétissant fruit trop mûr.
D’après le dossier, tout le monde l’appelait Chichin.
Les histoires d’amour finissent mal, pensa stupidement Bastinet. En général…
Les jours qui suivirent, la question d’Ellen Nilsson fit son chemin dans l’esprit d’Alina Masson, comme un petit éclat dans le miroir de ses souvenirs qui progressivement s’étira en une longue fissure.
Elle repensa des centaines de fois à cette robe courte, à ces dessous mauves.
Alina hésita à revenir en parler à Ellen Nilsson. Plusieurs fois, elle attrapa son téléphone portable, mais jamais elle ne composa le numéro de la carte que lui avait donnée la psychocriminologue. Elle n’arrivait pas à faire pleinement confiance à cette psy au visage lisse.
Même si cette femme avait peut-être vu juste.
Elle seule.
Alina préféra se taire. Elle le regretta, davantage chaque jour qui passait, mais exprimer ses doutes, c’était rompre le secret de Myrtille. Sa meilleure, sa seule amie.
Les jours qui suivirent, Charles et Louise Camus se rapprochèrent plus encore de Carmen Avril.
Même si tout les opposait, ils unirent leurs forces.
Charles et Louise recherchaient la paix, Carmen recherchait la guerre.
Charles et Louise étaient animés d’un sentiment de justice, Carmen par un sentiment de haine.
Mais au fond, leur objectif était le même.
Connaître la vérité.
Découvrir l’identité du meurtrier de Morgane Avril et Myrtille Camus.
Les jours qui suivirent, le commandant Bastinet demanda à ses hommes de se concentrer sur la recherche du suspect no 1.
L’homme à la casquette Adidas.
Les avis de recherche permirent de confirmer la déposition d’Alina Masson, plusieurs autres témoins avaient croisé ce garçon, dans le camping d’Isigny-sur-Mer, sur la plage de Grandcamp-Maisy, autour du club de voile…
L’avaient croisé… mais personne ne put l’identifier. Il ne travaillait pas dans les environs, les policiers vérifièrent auprès de tous les employeurs potentiels.
Un prédateur solitaire se fondant parmi la foule des estivants ?
Le fait même qu’il ne se présente pas spontanément à la police pour témoigner renforça encore dans l’esprit du commandant Bastinet la conviction qu’il était bien le violeur-assassin. Le même homme que celui qui portait cette écharpe rouge, à Yport.
Plus les jours passèrent, plus le commandant désespéra de retrouver sa piste. Le type s’était faufilé à travers les mailles du filet. On ne saurait jamais qui il était, à moins d’un énorme coup de chance auquel Bastinet, par expérience, ne croyait pas.
Il avait tort.
Le sort bascula en faveur des enquêteurs deux mois plus tard, très exactement le 3 novembre 2004. Le jour où les policiers découvrirent l’identité du garçon à la casquette Adidas.
A ce moment-là, il était déjà trop tard.
L’affaire Camus-Avril était endeuillée par deux autres morts.