Rosny-sous-Bois, le 22 juillet 2014

Unité Gendarmerie d’Identification des Victimes de Catastrophes (UGIVC), Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN)

De M. Gérard Calmette, directeur de l’UGIVC,
A destination de M. le lieutenant Bertrand Donnadieu, Gendarmerie Nationale, Brigade Territoriale de Proximité d’Etretat, Seine-Maritime

Monsieur,

suite à votre courrier du 13 juillet 2014 mentionnant la découverte de trois squelettes sur la plage d’Yport, Seine-Maritime, le 12 juillet 2014, notre service s’est consacré avec la plus grande diligence à cette troublante affaire.

Même si à ce jour, aucun de ces trois individus n’a été identifié, les premières expertises confirment plusieurs faits irréfutables.

Tout d’abord, nous pouvons affirmer avec certitude que les os appartiennent à trois hommes, majeurs, âgés d’entre vingt et trente ans au moment de leur décès.

Ensuite, les examens n’ont révélé aucune trace de coups sur les trois crânes, ni même sur d’autres parties des squelettes, ce qui semble exclure l’hypothèse d’une mort provoquée par un choc extérieur, par exemple l’effondrement d’une des parois rocheuses de la cavité dans laquelle les hommes auraient évolué. L’hypothèse d’une mort violente, ou non naturelle, reste cependant la piste principale que nous suivons, compte tenu des circonstances de la découverte de ces corps. Des examens chimiques complémentaires permettront notamment de tester l’éventualité d’un empoisonnement.

 

La mesure de la date du décès des trois individus est l’un des points les plus déconcertants de cette enquête. Comme il est de coutume lors d’une procédure d’identification, nous avons attribué à chacun des trois squelettes un identifiant temporaire qui ne servira que le temps de l’enquête. En l’occurrence trois prénoms, dont l’ordre alphabétique correspond à la chronologie de leur mort.

En effet, et nous touchons là à un point particulièrement difficile à expliquer, les trois individus sont décédés à trois dates différentes, ce qui exclut toute mort que l’on pourrait qualifier de « collective » ou de « simultanée », qu’il s’agisse de l’accident d’un groupe de spéléologues, d’un triple assassinat, voire d’un suicide collectif.

Plus précisément, le premier de ces squelettes, que nous avons prénommé Albert, est décédé au plus tard en été 2004.

Le second, Bernard, est décédé plusieurs mois après Albert, vraisemblablement entre l’automne 2004 et l’hiver 2005.

Le troisième, Clovis, est décédé en 2014, entre février et mars, il y a donc environ cinq mois. Compte tenu de l’acidité des cavités de calcaire à silex dans lequel les cadavres ont séjourné, la rapidité de la décomposition de ce dernier corps n’apparaît guère étonnante.

 

Pour finir, monsieur le lieutenant, et comme vous-même le mentionniez dans votre premier courrier, il apparaît difficile de dissocier la procédure d’identification de ces trois squelettes de l’affaire dite « du tueur à l’écharpe rouge », dont l’une des victimes, Morgane Avril, a été retrouvée assassinée en juin 2004, non loin du lieu où ces trois squelettes furent eux-mêmes découverts.

 

Cependant, et avant le résultat d’examens complémentaires, dont l’analyse génétique pratiquée sur les os, nous sommes dans l’incapacité de définir quel lien direct pourrait relier, d’une part, la mort de ces trois hommes dont nous ignorons tout et, d’autre part, le meurtre de ces jeunes filles.

 

Soyez persuadé, monsieur le lieutenant, que nous mettons en œuvre tout ce qui est possible pour faire progresser dans les meilleurs délais cette enquête. Je ne peux néanmoins vous cacher que compte tenu de nos réductions d’effectifs, au regard d’un surcroît d’activité, nos services doivent faire face à d’autres urgences. Les décès d’Albert et de Bernard étant désormais couverts par les délais de prescription légale de dix ans, ils ne sont plus considérés, d’un strict point de vue réglementaire, comme une priorité pour nos services.

 

Veuillez agréer, monsieur le lieutenant, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Gérard Calmette, directeur de l’UGIVC