SCÈNE III
LES PRÉCÉDENTS, LES NOUVEAUX VENUS,
entassés dans le coin, à droite
UN SOLDAT. – C’est Koweski ?
UN AUTRE. – Oui, et son frère Pétrowitch… (S’asseyant accablé.) Ils ne souffrent plus maintenant !
UN AUTRE, criant. – Ce chemin sera notre mort à tous !…
D’AUTRES. – On meurt de faim… on gèle… on glisse !…
LE COLONEL, du haut de son cheval. – Taisez-vous… Ce soir nous serons dans la vallée, à Illanz…
UN SOLDAT, avec audace. – Dans la vallée !… oui… comme ceux-là… Regardez… regardez… (Montrant la queue de la colonne, qui se déroule à perte de vue sur les crêtes.) Voyez-vous la voiture qui roule ?… et là-bas ces autres qui glissent… les voyez-vous ?… ils s’accrochent… mais les voilà dans le bleu !… C’est comme cela, camarades, que nous arriverons dans la vallée.
(En parlant, il prend son fusil par le canon, le casse sur la pièce et en jette les morceaux dans l’abîme. Le colonel tire un pistolet et l’ajuste.)
CRIS TERRIBLES DES SOLDATS. – Tombons sur le colonel !…
LE COLONEL, remettant son pistolet dans sa ceinture. – Êtes-vous des lâches !
UN SOLDAT. – On nous a trahis… Nous devions arriver le lendemain… et depuis trois jours nous sommes en route… Ça n’en finit plus.
UN AUTRE, criant. – Pas un de nous ne reverra le pays !
LE COLONEL, aux guides, avec fureur. – Vous entendez, malheureux !… c’est vous qui nous avez trahis… Il existe d’autres chemins.
FRISAT. – Oui, colonel, il en existe un autre par le Plattenberg ; mais deux fois plus long et pas meilleur. Votre général n’a pas voulu le prendre ; nous n’avions rien à dire.
(On entend en ce moment quelques détonations profondes, qui se répandent dans les vallées comme un roulement de tonnerre.)
LE COLONEL. – Écoutez !…
SEPTIMER. – C’est une avalanche, colonel.
FRISAT. – Non !… c’est autre chose… Regardez là-haut sur la montagne en face, cette fumée qui monte… Voyez-vous les républicains !… Ils n’ont pas besoin de chemin, eux, pour grimper… Les voyez-vous ? Tenez… voilà une de leurs balles !… Ah ! maintenant ça va devenir plus terrible !
(Au moment où il parle, un soldat tombe et roule ; il disparait dans le gouffre. Des cris s’élèvent et se prolongent au loin jusqu’au bout de la vallée.)
LE COLONEL, avec animation. – Ils veulent nous tourner.
FRISAT. – Oui… ils essayent d’arriver au col de Pignu, et s’ils arrivent là, tous ceux qui restent encore en arrière seront perdus !
LE COLONEL, sortant au galop, par la droite. – Place !… Il faut prévenir le feld-maréchal.