SCÈNE X
LES PRÉCÉDENTS, SOUWOROW,
au milieu de son état-major, sur le front de bataille.
SOUWOROW, d’une voix éclatante. – Soldats de la sainte Russie ! le tzar Paul, notre père, nous avait envoyés en Occident, pour délivrer l’Italie du joug des athées républicains et rétablir l’ordre légitime. Les républicains sont vaincus, l’Italie est libre, les princes remontent sur leurs trônes ! En quatre mois nous avons livré six combats, pris huit places fortes et gagné trois grandes batailles. Ces terribles républicains, qui faisaient trembler la vieille Europe, qui avaient battu tant de fois les armées autrichiennes, qui parlaient de détrôner Dieu lui-même ! nous les avons écrasés à Cassano, nous les avons écrasés à la Trebia, nous les avons écrasés à Novi ! – Autant de victoires que de rencontres ! – Le monde a vu les athées fuir comme des lièvres… Où sont-ils maintenant ? Ceux qui ont échappé au dernier désastre se cachent dans les Apennins ; ils n’osent plus affronter nos baïonnettes !
TOUS LES SOLDATS. – Vive Souworow !… Vive le père Souworow !
(Acclamations de la foule qui n’en finissent plus. La figure de Souworow, jusqu’alors impassible, s’anime tout à coup, ses joues tremblent, ses yeux brillent.)
LE CAPITAINE AUTRICHIEN, à ses camarades. – Eh bien, vous l’entendez… J’en étais sûr… Il a tout fait… tout écrasé… L’armée autrichienne…
VOIX NOMBREUSES DANS LA FOULE. – Silence… silence… Chut !… Écoutez !
(Le silence se rétablit.)
SOUWOROW, d’une voix vibrante. – Soldats ! le tzar est content de vous ! – Ce que nous avons si bien commencé, il nous ordonne de le finir : Il nous ordonne d’aller rejoindre Korsakow en Suisse, d’écraser la dernière armée républicaine, comme nous avons écrasé les autres, de marcher sur Paris et de rétablir le roi Louis XVIII sur son trône. Préparez-vous donc à de nouveaux combats, et purifiez vos âmes par la prière. Nous avons des montagnes à gravir, des torrents et des lacs à traverser, des marches forcées à faire, des batailles à livrer au milieu des neiges ; mais nous triompherons de tous les obstacles, parce que Dieu est avec nous : C’est sa cause que nous défendons, c’est la cause des rois, de la vérité et de la justice !… Heureux celui qui combat pour la justice, heureux celui qui verse son sang pour le tzar, heureux celui qui tombe pour le Seigneur : Tous ses péchés lui seront remis… il jouira de la vie éternelle !… (Tirant son sabre, et poussant son cheval d’un geste fébrile.) Frères ! la dernière heure des républicains est venue… En avant… Et hourra ! pour la sainte Russie !…
TOUS LES SOLDATS, levant leurs bonnets au bout des baïonnettes. – Hourra ! pour la sainte Russie !… Hourra ! En avant !… À Paris ! à Paris !…
(Les officiers brandissent leurs épées. Un coup de canon retentit. Le défilé commence au milieu des acclamations de la foule et des cris des soldats : « À Paris ! à Paris ! » Cavalerie, artillerie, infanterie, tout s’ébranle. Les couronnes pleuvent des fenêtres, les mouchoirs s’agitent. – Marche guerrière.)