SCÈNE XIV
LES PRÉCÉDENTS, L’OFFICIER D’ÉTAT-MAJOR, L’ESTAFETTE
L’OFFICIER D’ÉTAT-MAJOR. – Feld-maréchal, une estafette de Linken.
SOUWOROW, se retournant vivement. – Une estafette de Linken ! (Il regarde.) Cet homme est blessé ?
L’OFFICIER. – Oui, feld-maréchal, d’un coup de feu.
SOUWOROW, vivement. – Qu’on le descende… qu’on le fouille… Il doit avoir une dépêche, un mot…
(Des soldats entourent l’Autrichien et l’étendent à terre, contre le rocher ; l’officier russe descend et le fouille.)
SOUWOROW, avec impatience. – Eh bien ?
L’OFFICIER. – Il n’a rien, feld-maréchal.
SOUWOROW. – Alors qu’il parle… qu’il parle !…
HATTOUINE, s’approchant avec son gobelet rempli de schnaps. – Il va parler, mon fils Basilowitche, ne te fâche pas… Il va parler…
(Elle s’agenouille et donne à boire au blessé, qui se ranime et regarde, hagard.)
L’ESTAFETTE, d’une voix faible. – Le feld-maréchal Souworow ?…
SOUWOROW. – Me voilà !… Vous me reconnaissez ?
L’ESTAFETTE. – Oui, feld-maréchal.
SOUWOROW. – Pourquoi n’avez-vous pas de commission écrite ? L’ennemi vous l’a enlevée ?
L’ESTAFETTE. – Non, feld-maréchal, nous sommes partis à huit de Glaris… nous pouvions être interceptés… nous n’avions rien d’écrit…
SOUWOROW. – Interceptés d’ici Glaris !… Les républicains s’étendent donc sur ma droite ?
L’ESTAFETTE. – Oui, ils sont en marche pour vous tourner.
Souworow, d’une voix indignée. – Pour me tourner ! Et Hotze… Linken… Jellachich ?…
(L’officier fait un effort pour répondre et tombe évanoui.)
SOUWOROW, se baissant et le secouant. – Hotze !… Linken !… Jellachich !… Répondez !…
(Silence. – La foule se presse et se penche autour d’eux. On remarque toujours Ogiski au premier rang. Sa figure exprime malgré lui une satisfaction terrible.)
SOUWOROW, se redressant et criant d’une voix irritée. – Qu’est-ce que vous voulez ? Retirez-vous ! Sentinelles, écartez ces gens-là ! Qu’on donne de l’air à cet homme… qu’il parle. Un chirurgien ! qu’on cherche un chirurgien !… (Puis voyant la foule toujours pressée.) Portez-le là… là… près du rocher !…
(En même temps il se précipite vers le rocher, prend une carte, la déroule sur la table et se penche avidement. Quatre soldats prennent le blessé et le portent sous la roche en demi-voûte. Les officiers les suivent. Des sentinelles écartent les autres. Hattouine, Ivanowitche et Ivanowna restent isolés auprès de la charrette. La foule compacte est tenue à distance, à gauche ; elle forme muraille ; les sentinelles se promènent devant. Ogiski est toujours là, le plus rapproché de la roche ; il écoute, et transmet à voix basse aux soldats les mots qui lui arrivent.)