SCÈNE III

 

LES PRÉCÉDENTS, moins LA CANTINIÈRE

 

LE SERGENT, se retournant et regardant Rabot tout déconfit. – Quant à toi, Rabot, vu la débâcle de Korsakow, de Jellachich, de Linken et de tous nos fournisseurs ordinaires, tu vas rester au bataillon avec ta vieille culotte, ton vieux morceau de chemise et tes paquets de ficelles aux jambes, comme un monument de la glorieuse campagne d’Helvétie de l’an VII. Tu reposeras sur tes lauriers, ça doit te consoler.

RABOT. – J’aimerais mieux des chemises et des souliers.

LE SERGENT. – Sans doute ! mais quand on repose sur ses lauriers, la récolte des chemises est finie, et les souliers autrichiens et russes s’en vont à marches forcées. Je te plains, mais je me console. Il faut attendre la campagne de l’an VIII.

(En ce moment passent deux officiers d’’état-major, arrivant au galop de la maison du fond, où l’on voit l’agitation d’un quartier général.)

UN SOLDAT, regardant les officiers. – Ils ont l’air bien pressés.

UN AUTRE. – C’est pour distribuer les billets de logement.

LE SERGENT. – Oui, nous allons prendre nos quartiers d’hiver, et ce n’est pas trop tôt.

UN AUTRE. – Depuis la campagne des Grisons, les cuisses m’entrent dans les côtes.

LE SERGENT. – Le fait est qu’on trouverait des promenades plus agréables.

(On entend battre le tambour, à droite du village.)

UN SOLDAT, écoutant. – Qu’est-ce que c’est ?

LE SERGENT. – Ça m’a l’air d’être du nouveau.

(Tous écoutent. Le tambour bat de tous les côtés.)

UN SOLDAT. – On bat la générale.

LE SERGENT. – Oui.

MARIE-ANNE, sortant de la cantine. – Hé ! Gauché ?

LE SERGENT. – Payse ?

MARIE-ANNE. – Qu’est-ce qui se passe ?

LE SERGENT. – Je crois que ces gueux d’Autrichiens reviennent se frotter à nos baïonnettes !… (Se tournant vers Rabot.) Ça doit te flatter, toi, tu ris dans ta barbe ?

RABOT, riant. – Je ne vous cache pas, sergent, que ça me flatte… C’est une bonne occasion de me rattraper !

(Passent deux nouveaux officiers d’état-major.)

LE SERGENT, regardant. – Encore ! (Se tournant vers les soldats.) Ah ! ça, camarades, il paraît décidément que les kaiserlicks n’en ont pas assez !… Tant mieux… Je me faisais à part moi la réflexion qu’il me manque encore de la cire à moustaches.

(Tous rient. Le bruit de tambour continue.)