SCÈNE XV

 

LES PRÉCÉDENTS, moins LE SOUS-OFFICIER DE HUSSARDS, DAUMAS

 

DAUMAS, accourant. – Me voici, général !

LECOURBE, vivement. – Tous mes doutes sont confirmés. Le général Auffemberg est sur nos derrières, avec un corps de deux mille hommes. Il attaque Amsteig en ce moment… Nous n’avons que quatre compagnies au pont d’Amsteig… j’espère qu’elles tiendront jusqu’à mon arrivée… (Regardant sa montre.) Il est huit heures… À dix heures au plus tard, je serai là !… Je vous laisse la 38e, deux pièces et les munitions nécessaires… Vous ferez sauter le pont… Vous empêcherez l’ennemi d’en jeter un autre… Votre ligne de retraite est la mienne, par la route de Wâsen… Vous me retrouverez à Amsteig… Défendez aussi et faites sauter le pont du Diable… Il s’agit de retarder le plus possible la marche des Russes… de laisser à Masséna le temps de battre et de détruire Korsakow… Ce résultat obtenu, nous prendrons l’offensive à notre tour, et nous tâcherons d’enfermer Souworow dans les montagnes. (Remontant la scène, pour observer la position de l’ennemi.) La troisième colonne d’attaque se forme. (Descendant ; à un officier d’état-major.) Le deuxième bataillon de la 76e est en colonne ?

L’OFFICIER. – Oui, général.

LECOURBE. – Je l’emmène à Amsteig… Dites au commandant Rogeard de se mettre en marche tout de suite, avec les deux pièces en amont… Le capitaine Meunier fera tête de colonne…

(L’officier sort au galop. La fusillade recommence et se prolonge bientôt sur toute la ligne. On voit revenir les pièces, qui se mettent en route par la gauche, en longeant les maisons ; le 2e bataillon de la 76e les suit le fusil sur l’épaule. Lecourbe, au milieu de la fumée qui remplit de nouveau la scène, monte à cheval et donne la main à Daumas.)

LECOURBE, apercevant Ogiski debout sur le perron de l’auberge. – Ogiski, vous voulez donc vous faire tuer ?

OGISKI. – Non, général, je veux voir !…

(Lecourbe part au galop. Daumas se porte vers les pièces du fond. On le voit donner rapidement des ordres aux chefs de pièce. Les canons reculent. Un artilleur se glisse sous le pont. Les détonations se succèdent, les maisons s’écroulent, le feu éclate dans l’auberge du Cheval-Blanc.

Enfin, quand la scène s’est vidée, et que le bataillon de la 38e seul reste en face du pont, à gauche, on voit paraître les Russes, on entend leurs tambours battre la charge, et leurs cris innombrables :Hourrah ! hourrah !)

DAUMAS, d’une voix calme. – Attention !… Laissez venir !…

(La tête de colonne russe s’engage sur le pont.)

LES RUSSES, se bousculant pour arriver plus vite ; leurs officiers, l’épée en l’air : Hourrah !… hourrah !… hourrah !…

DAUMAS. – Feu !…

(Les deux pièces tirent à mitraille. Le pont saute.)