SCÈNE XIII

 

LES PRÉCÉDENTS, LOFFICIER DÉTAT-MAJOR

 

L’OFFICIER DÉTAT-MAJOR, à Lecourbe. – Général, le capitaine Meunier, qui commande l’arrière-garde, vous fait dire qu’il entend le canon sur nos derrières.

LECOURBE, vivement. – Dans quelle direction ? À quelle distance ?…

L’OFFICIER. – Du côté de Wâsen, à deux ou trois lieues.

LECOURBE, criant. – Lieutenant Ganier, prenez un piquet de hussards, et courez sur la route de Wâsen. On se bat de ce côté… Je veux savoir le plus tôt possible ce qui se passe… Vite… vite… (L’officier sort au galop. Lecourbe à l’officier d’état-major :) Dites au capitaine Meunier de se tenir prêt à marcher.

L’OFFICIER. – Oui, général. (Il sort.)

LECOURBE, à Daumas. – Eh bien, Daumas, voilà du nouveau !

DAUMAS. – Sans doute une démonstration, général. L’affaire sérieuse est ici.

(Un boulet passe dans les rangs et jette six hommes à terre.)

LE COMMANDANT, d’une voix calme. – Serrez…

(Il étend les bras, pousse un cri et laisse tomber son sabre. Un officier se jette à la tête du cheval. Des soldats se précipitent, et reçoivent le commandant dans leurs bras. Le feu des pièces continue pendant toute cette scène.)

UN SOLDAT. – C’est un coup de mitraille.

(Lecourbe et Daumas s’approchent vivement.)

L’OFFICIER, appelant. – Commandant !… Commandant !

UN SOLDAT. – Il est mort !…

LECOURBE. – Qu’on le porte à l’ambulance ! Capitaine Victor, prenez le commandement du bataillon.

(Des soldats emportent le commandant. Le capitaine sort des rangs.)

LE CAPITAINE, sur le devant du bataillon. – Serrez les rangs !…

LECOURBE, regardant les soldats emporter le commandant. – Encore un vieux de l’armée du Rhin…

DAUMAS. – Pauvre Humbert !

LECOURBE. – Nous y passerons tous !

(Grande rumeur à droite ; la fusillade recommence.)

DAUMAS. – La seconde attaque…

LECOURBE, se rapprochant de la rive, pour voir les colonnes ennemies. – Oui, le corps d’armée va donner. (Courant vers les grenadiers, et criant à Daumas :) – Général, surveillez le service des pièces… Je conduis la charge !…

(Le feu des fenêtres recommence, et se confond dans un roulement terrible avec celui des Russes. Le canon tonne des deux côtés. La scène se remplit de fumée. Au milieu de ce bruit, on entend tout à coup battre la charge, et l’on voit la mêlée sur le pont. Cette mêlée dure quelques instants, puis la fusillade se tait, la fumée se dissipe, et l’on voit Lecourbe, à cheval au milieu de sa colonne, sur l’autre rive. Les Russes sont en retraite, leur canon seul gronde encore. Quelques grenadiers veulent poursuivre l’ennemi. Lecourbe les arrête.)

Lecourbe. – Halte !… Serrez les rangs !… Par file à droite !…

(Ils repassent le pont et reprennent leur position, à côté des pièces. Tout cela s’exécute avec ordre. Le pont est couvert de morts et de blessés. Dans les rangs, quelques soldats, l’arme au pied, se bandent l’un la tête, l’autre le bras ; leurs camarades les aident. Quelques-uns se retirent, en s’appuyant sur leur fusil.Le feu des Russes, pendant cette scène, continue ; les maisons à moitié démolies tombent en décombres ; les tirailleurs qui les occupent en sortent à la file.)

LECOURBE, à ses officiers. – Ralliez les tirailleurs de la 76e. Formez-en deux colonnes, et qu’ils soient prêts à repousser la troisième attaque. Que la 38e passe en seconde ligne. (Passant au galop devant le front de bataille.) – Tout va bien !… Notre position est bonne… Souworow ne passera pas !… Vive la République !…

CRIS DANS LES RANGS. – Vive la République !… vive Lecourbe !…

(Un sous-officier de hussards entre au galop.)