SCÈNE II
LES PRÉCÉDENTS, LA CANTINIÈRE MARIE-ANNE
LA CANTINIÈRE. – Qu’est-ce que vous avez donc à rire, vous autres ?
LE SERGENT, criant. – Hé ! payse, arrive un peu contempler les trophées de la victoire !
MARIE-ANNE, arrivant. – Qu’est-ce que c’est ?
LE SERGENT. – Tiens… regarde, citoyenne ; qu’est-ce que tu penses de ça ?
MARIE-ANNE. – Du savon… des bouffettes… un peigne… Oh ! Gauché, tu vas me faire un don patriotique. J’ai perdu mon peigne, j’ai usé mon savon depuis thermidor.
LE SERGENT. – Hé ! hé ! comme tu y vas, payse !… Les bouffettes, oui… c’est un ornement du beau sexe… mais le savon… le peigne… motus.
MARIE-ANNE. – Oh ! le beau linge ! Qu’est-ce que tu demandes de ces chemises ?
LE SERGENT. – Elles sont en réquisition pour le service du sergent Gauché, citoyenne.
MARIE-ANNE. – Si tu me les consacres, Gauché, je suis capable de te sauter au cou.
LE SERGENT. – Ça me flatterait, payse, oui !… Mais vu l’état du fourniment et l’arriéré de la solde, je suis forcé de les rempaqueter pour le fils de maman… Ça me saigne le cœur !
MARIE-ANNE. – Au moins, donne-moi le savon ?…
LE SERGENT. – Et qu’est-ce qui fera la barbe du sergent Gauché ? (Se levant d’un air solennel.) Marie-Anne, vous êtes ambitieuse : l’ambition perd les États. Mais, nonobstant l’observation, je vous consacre mon savon, à cette fin que vous versiez un petit verre aux hommes du poste, après la garde. Ça va-t-il ?
MARIE-ANNE. – Ça va ! (Ils se donnent la main. Elle reçoit le savon, qu’elle fourre dans sa poche. Le sergent ferme son sac. Marie-Anne regarde les autres.) Vous voilà tous renippés.
UN SOLDAT. – Oui, citoyenne, nous avons tous de bons souliers autrichiens.
UN AUTRE. – Ah ! si l’on pouvait mettre les capotes et les culottes des kaiserlicks (Il montre une capote autrichienne), nous serions des mirliflores !
MARIE-ANNE, riant. – Hé ! ils ont tous des chemises et des souliers… Ah ! les gueux, les voilà remplumés pour longtemps.
LE SERGENT. – Et ça ne coûte rien à la République une et indivisible ; c’est le citoyen François II qui se charge des fournitures.
MARIE-ANNE. – Ah ! oui, mais il était temps… il était temps !
UN OFFICIER, sur le seuil du hangar, appelant. – Marie-Anne ?
MARIE-ANNE. – Voici, lieutenant, voici.
(Elle rentre.)