SCÈNE VI

 

LES PRÉCÉDENTS, SOUWOROW ET SON ÉTAT-MAJOR,
puis UN AIDE DE CAMP

 

SOUWOROW, entrant au galop, à la tête de son état-major.D’une voix irritée. – Pourquoi les canons ne passent-ils pas ?… J’ai donné des ordres… (Apercevant le colonel :) Colonel !…

LE COLONEL, troublé. – Feld-maréchal, la rue est remplie de blessés russes…

SOUWOROW, au docteur. – Pourquoi ne les a-t-on pas relevés ?…

LE DOCTEUR. – Nous avons fait notre possible, feld-maréchal… Nous ne savions pas que la retraite…

SOUWOROW, interrompant. – Y a-t-il un autre chemin ?

LE COLONEL. – Non, feld-maréchal, les autres rues sont trop étroites, et d’ailleurs remplies de décombres !

SOUWOROW, avec une fureur concentrée. – Je ne veux pas laisser de canons à l’ennemi !… (Au docteur.) Combien faut-il de temps pour relever ces blessés ?…

LE DOCTEUR. – Une bonne heure, feld-maréchal, en y mettant beaucoup de monde.

SOUWOROW, à un de ses officiers. – Faites avancer deux compagnies… Qu’on s’y mette tout de suite.

(Un aide de camp entre au galop.)

L’AIDE DE CAMP, s’arrêtant près de Souworow, le chapeau à la main. – Feld-maréchal, une colonne ennemie est en route pour nous couper la retraite.

SOUWOROW, d’un ton furieux. – Qui vous envoie ?…

L’AIDE DE CAMP. – Le général Bagration… Voici ma dépêche !…

(Il lui remet une dépêche. Le docteur lève la torche ; Souworow lit.)

UN BLESSÉ, se soulevant. – Vive Souworow !

(Il retombe.)

SOUWOROW, froissant la dépêche. – Oh ! ce Molitor !…

(Il jette un regard terrible autour de lui puis il enfonce ses éperons dans le ventre de son cheval, et part en criant :) – Sauvez les canons !…

(Son état-major le suit. Les conducteurs d’artillerie fouettent leurs chevaux ; les pièces défilent au grand galop, et s’engouffrent dans la rue, à droite, où s’élèvent les cris épouvantables des blessés qu’elles écrasent. Hattouine et Ivanowna se couvrent la tête pour ne pas entendre ; le docteur lève les mains au ciel.)