SCÈNE X

 

IVANOWNA seule, puis IVANOWITCHE

 

IVANOWNA, seule. – Il a promis de revenir.

(Elle écoute.)

TOUT AU LOIN, de poste en poste. – Sentinelles… garde à vous !… Sentinelles… garde à vous !…

(Nouveau silence.)

IVANOWNA. – Comme il tarde !

(Elle jette du bois dans le feu, qui se ranime.)

UNE SENTINELLE, à droite. – Qui vive !

VOIX D’IVANOWITCHE, répondant. – Rymnik !

IVANOWNA. – C’est lui !…

(Elle se lève.)

IVANOWITCHE, accourant. – Me voici !…

IVANOWNA. – Comme tu es resté longtemps !

IVANOWITCHE. – J’ai été obligé de surveiller la distribution du fourrage. (Il lui prend les mains.) Mais je pensais bien que tu m’attendrais.

(Il rit.)

IVANOWNA. – Chut ! pas si haut… la matouchka dort.

IVANOWITCHE, regardant. – Ah ! oui… comme elle dort bien… la pauvre vieille matouchka.

IVANOWNA. – Tiens… assieds-toi là… j’ai quelque chose de bon à t’apprendre.

IVANOWITCHE, s’asseyant à côté d’Ivanowna. – Quoi ?

IVANOWNA. – Le feld-maréchal s’est arrêté près de notre feu en passant… Il a goûté la soupe.

IVANOWITCHE, étonné. – Il a goûté la soupe ?

IVANOWNA. – Oui !… et la matouchka lui a parlé.

IVANOWITCHE. – Qu’est-ce qu’elle lui a dit ?

IVANOWNA. – Quelque chose de très bon… oh ! de très bon.

IVANOWITCHE. – Elle est maligne… et Souworow l’aime bien.

IVANOWNA, à voix basse, en se penchant à l’oreille d’Ivanowitche. – Elle lui a dit qu’elle nous marierait ensemble, quand tu serais capitaine !

IVANOWITCHE, stupéfait. – Elle lui a dit cela ?

IVANOWNA. – Oui ! Et elle a bien dit : – Ivanowitche, le fils de Rymnik, celui qui a porté les ordres à Korsakow.

IVANOWITCHE, la main sur son cœur, et regardant Hattouine. – Oh ! la bonne matouchka… la brave matouchka… (À Ivanowna.) Et qu’est-ce que Souworow a répondu, Ivanowna ?

IVANOWNA. – Il a dit : « Ivanowitche… Ah ! je le connais… c’est un brave… que j’entende parler de lui, il sera bientôt capitaine !… »

IVANOWITCHE. – Souworow a dit : « Que j’entende parler de lui ! » Tu en es sûre, Ivanowna ?

IVANOWNA. – Oh ! oui, bien sûre !

IVANOWITCHE, se levant. – Alors, je serai capitaine demain. (Se promenant.) Ah ! Souworow veut entendre parler de moi… Eh bien, il n’attendra pas longtemps.

IVANOWNA, inquiète. – Qu’est-ce que tu veux faire ?

IVANOWITCHE, s’arrêtant et frappant sur son sabre. – Je veux te gagner avec ça !… Il me faut un drapeau ou un canon ! (S’exaltant.) Malheur à ceux qui seront devant le sabre d’Ivanowitche !

IVANOWNA, vivement. – Oui… mais prends garde… ils se défendent bien, les autres… Mon Dieu… s’ils allaient te tuer !…

IVANOWITCHE, riant. – Ne crains rien, va !… Demain soir, je serai capitaine. Nous nous marierons… nous resterons toujours ensemble… (Avec entraînement.) Oh ! Ivanowna, pour la bonne nouvelle, il faut que je t’embrasse !

(Il s’approche de la jeune fille, les bras étendus.)

IVANOWNA, le repoussant avec douceur. – Pas maintenant, Ivanowitche.

IVANOWITCHE, étonné. – Pourquoi ?

IVANOWNA, montrant Hattouine. – La matouchka dort…

IVANOWITCHE, savançant. – Qu’est-ce que cela fait ?

IVANOWNA, reculant. – Non !… Quand la matouchka dort… ce n’est pas bien…

IVANOWITCHE, regardant Hattouine. – Ah ! si elle pouvait seulement s’éveiller un peu !

HATTOUINE. – Je n’ai pas besoin de m’éveiller, puisque tu m’empêches de dormir, avec tes cris.

IVANOWITCHE, riant, les bras étendus vers Ivanowna. – Eh bien ! Ivanowna ?

(Ivanowna se jette dans ses bras ; ils s’embrassent.)

IVANOWITCHE, attendri. – Maintenant tout est bien… je suis content !… (Se retournant vers Hattouine.) Et vous, vieille matouchka, il faut que je vous embrasse aussi.

(Il se baisse et embrasse Hattouine.)

HATTOUINE. – Oui, je sais bien que tu es un brave garçon. Prends garde seulement, demain, avec tes canons et tes drapeaux, de te faire casser les côtes.

IVANOWITCHE. – Vous avez des idées drôles, mère Hattouine.

HATTOUINE. – Pas si drôles que tu penses. Tu ne serais pas le premier. Les républicains ont aussi des sabres et des baïonnettes… Rappelle-toi le grand pont, où la moitié d’un bataillon a sauté… Rappelle-toi que ces sans-culottes se défendent comme le diable.

(À ce moment, on entend au loin un bruit de trot, et le « qui-vive ! » de plusieurs sentinelles.)

IVANOWITCHE, se retournant. – Qu’est-ce que c’est ?

HATTOUINE, se levant. – Ça veut dire que je ne dormirai pas cette nuit.

(Plusieurs soldats se réveillent, et regardent s’approcher un fort piquet de cosaques, au milieu duquel se trouve un paysan suisse.)

OGISKI, à part, regardant. – Voici du nouveau !