SCÈNE XV

 

LES PRÉCÉDENTS, LE HETTMANN

 

LE HETTMANN, fendant la presse. – Feld-maréchal, ce n’est rien… l’ennemi tire à poudre.

OGISKI, à part. – Ils tirent pour la victoire de Masséna !…

SOUWOROW, penché sur sa carte. – Ils s’étendent sur ma droite ! (Suivant du doigt.) Schwytz… Glaris… Wésen…

MANDRIKINE. – L’estafette se ranime…

SOUWOROW, accourant. – Voyons, qu’on lui relève le corps… la tête… (Se penchant.) Linken était à Glaris quand vous êtes parti ?

L’ESTAFETTE, d’une voix faible. – Il commençait sa retraite.

SOUWOROW. – Sa retraite ?…

L’ESTAFETTE. – Oui… sur les Grisons…

SOUWOROW. – Et Hotze ?

L’ESTAFETTE. – Il est mort !

SOUWOROW. – Mort ! On a donc livré bataille ?… On a donc attaqué avant le jour convenu ?… On a voulu gagner sans moi !… (S’emportant.) Oh ! les misérables !… les misérables !…

(L’officier fait des efforts pour répondre.Silence.)

OGISKI, aux soldats, en étouffant sa voix. – Linken se sauve… Hotze est tué !

L’ESTAFETTE, d’une voix entrecoupée, une main appuyée sur sa blessure. – Non, feld-maréchal… Les républicains nous ont prévenus… Ils ont commencé leur attaque, dans la nuit… du 24 au 25… Vingt mille hommes se sont portés… sur la Linth… par Wésen… Ils ont écrasé le régiment de Bender… et un bataillon de Hongrois… Le général Hotze est accouru… avec son état-major… Il a été tué… et son corps d’armée mis en déroute… (Il s’arrête, épuisé.Faisant un effort suprême.) Tout ce que le général Linken a pu faire… c’était de vous prévenir… du désastre…

(Il pousse un cri de douleur et s’évanouit.)

SOUWOROW, se penchant,d’une voix déchirante. – Et Korsakow ?… Korsakow ?… (Silence, – se relevant, la face contractée.) Allons… il faudra périr ici, sans rien apprendre de plus… Hotze… Linken… Jellachich… Tout est perdu… tout est en déroute… tout !…

OGISKI, aux soldats, bas. – Le feld-maréchal dit que tout est perdu… en déroute…

(Les soldats se regardent stupéfaits. En ce moment, l’horizon à gauche s’éclaire sur toute l’étendue du lac.)

OGISKI, étendant le bras. – Regardez !… Les républicains illuminent !…

(La foule se retourne et pousse un long murmure de stupeur. Souworow regarde. Entre le chirurgien Sthâl.)