SCÈNE VIII
LES PRÉCÉDENTS, moins IVANOWITCHE et OGISKI
JONAS, à Zampieri. – Un gaillard qui m’a l’air heureux !
ZAMPIERI. – Je crois bien, il a de bonnes raisons !
JONAS, voyant les grenadiers défiler. – Voilà que tout se remet en marche, la rue des Foins est débouchée.
HATTOUINE. – Hue ! hue ! passe-moi la trique, Ivanowna ; cette vieille bique ne va plus.
IVANOWNA. – Oh ! non, nous ne sommes pas si pressées.
(La charrette sort. La foule augmente sur la place.)
JONAS, montrant les grenadiers. – De beaux hommes ! ces grenadiers russes, maître Zampieri.
ZAMPIERI. – Oui, mais quand on pense que dans un mois ou deux, la moitié, peut-être les trois quarts seront exterminés…
JONAS. – Que voulez-vous ? Chacun sa partie.
(Les cloches de la cathédrale s’ébranlent. Des cavaliers russes paraissent à droite, conduisant par la bride des chevaux richement caparaçonnés. Grande rumeur, cris : « Faites place !… Faites place !… » Des troupes entrent et se rangent en bataille à droite et à gauche, en faisant refluer le monde dans les rues voisines.)
ZAMPIERI. – Voici la fin du Te Deum.
JONAS. – Oui, il est temps que je m’en aille. On va cerner la place, pour le passage de Souworow. Ainsi, c’est entendu, maître Zampieri, j’apporterai les habits chez vous ?
ZAMPIERI. – Après le départ des Russes. Quant aux pompons et aux épaulettes, vous pouvez les garder, ça ne vaut pas une bonne prise de tabac.
(Il présente sa tabatière à Jonas ; tous deux prennent une prise en riant.)
JONAS. – Allons, bonjour, mademoiselle Marietta, bonjour Zampieri.
MARIETTA. – Bonjour, signor Jonas !
(Il sort par la droite. Zampieri se rapproche de sa boutique. Au même instant, les portes de la cathédrale s’ouvrent tout au large, les chants de l’église débordent sur la place. Les fenêtres, les balcons se garnissent de curieux. Des milliers de cris : « Vive Souworow ! » s’élèvent. La foule se tasse. Des officiers autrichiens en petite tenue sortent du café à droite, et se rangent devant les fenêtres ; d’autres paraissent au balcon. La porte de la maison attenante à celle de Zampieri s’ouvre ; des voisins et des voisines en sortent. Ogiski paraît au fond, son paquet de brochures sous le bras.)