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– Voilà, c'est fini, fit la maquilleuse en
s'écartant.
Beaver se leva et se regarda dans la glace. Il
était méconnaissable, dans son beau costume gris perle. Un homme
élégant, impeccablement coiffé et maquillé, le regardait droit dans
les yeux. « Moi ! » s'étonna-t-il. Ses yeux
s'embuèrent.
– Venez, on est prêts pour le direct.
Les télévisions se l'arrachaient. Un tel scoop le
jour de Noël était du pain béni pour les grandes chaînes. La presse
ne parlait que de lui. « Le père Noël sauve deux jeunes femmes
enlevées par un psychopathe. » Un père Noël dont la vie en
forme de roman noir se terminait comme un conte de fées. Beaver
avait déjà tous les éditeurs à ses pieds pour lui faire publier son
autobiographie, mais aussi ses contes illustrés pour enfants.
Il avait passé la nuit en observation à l'hôpital,
le temps que son taux d'alcoolémie redescende. L'assistante de
Larry King, envoyée sur place, l'attendait pour un duplex en direct
sur CNN. Sa première interview. On le conduisit devant le grand
sapin illuminé dans la cour de l'hôpital et on lui cala une
oreillette.
Il se sentait fébrile. Il espérait être à la
hauteur.
Tous les malades suffisamment valides étaient à
leur fenêtre ou dans le hall d'accueil à le regarder béatement.
C'était une si belle histoire !
– Articulez bien, et souriez, lui rappela
l'assistante, qui se tenait près du caméraman.
Sur le moniteur de contrôle, elle vit que Larry
King avait commencé son intervention, assis à son bureau dans les
locaux de CNN. Quand il se tourna vers l'écran placé derrière lui,
elle pointa le doigt sur Beaver, lui faisant comprendre que c'était
à lui.
– Tout d'abord, cher père Noël, laissez-moi vous
remercier pour votre cadeau, fit Larry King en tirant sur ses
bretelles.
Beaver eut un sourire crispé. Il était tétanisé
par le stress.
– Alors, comment vous sentez-vous ? Quel
effet ça fait d'être le héros de toute une nation ?
– Je ne sais pas. Je veux juste dire à mon fils
que je l'aime, et qu'il me tarde de le revoir…
À l'autre bout de la ville, Jonathan était
collé devant son poste de télévision.
– C'est papa, c'est papa ! hurlait-il avec
tout l'enthousiasme de son jeune âge.
Stella, qui avait passé la nuit à pleurer,
repartit de plus belle, sous le regard navré de son nouveau
mari.
À Seattle, Stanley Warren avait tenté de
résister, mais ça avait été plus fort que lui. Il était allé sur
internet et avait visionné, comme des millions d'Américains,
l'arrestation rocambolesque d'Ethan Spinner par le père Noël. Même
si la résolution des caméras intégrées au téléphone potable n'était
pas très bonne, c'était regardable et parfaitement cocasse.
– Hé, tu m'écoutes ? fit la jolie brune
assise en face de lui dans l'un des plus beaux restaurants de
Seattle.
– Oui, excuse-moi, c'est que nous n'avons pas
beaucoup dormi, dit-il avec un air malicieux.
La brune retrouva le sourire et se remit à parler.
Si seulement il pouvait oublier River Falls et sa nuit d'amour avec
Hurley… La veille, il avait reçu un texto de la belle profileuse.
Il avait perdu la partie. Or perdre n'était pas dans ses habitudes.
Mais qui savait de quoi demain serait fait ?
– Je ne m'en remettrai jamais, dit
Margareth.
Il était midi et elle refusait de se lever.
Callwin était sur le point de partir. Aussi paradoxal que ce fût,
elle sentait bien que les membres de la communauté ne lui étaient
pas reconnaissants d'avoir sauvé Margareth, mais la considéraient
comme responsable de l'arrestation d'Ethan.
– Ne crois pas ça. D'autres ont vécu des choses
aussi terribles que toi et s'en sont sortis. Jésus n'a-t-il pas
subi toutes les humiliations ?
Margareth la regarda et eut un petit sourire. Le
premier depuis que Callwin l'avait retrouvée.
– Plus jamais je n'aimerai un autre homme,
dit-elle en pensant à Gerald.
C'était l'homme de sa vie et il était mort de
l'avoir aimée.
– On en reparlera une autre fois. Maintenant il
faut que tu dormes. Tu as besoin de beaucoup de repos.
Le médecin était passé et lui avait prescrit des
calmants. Il avait envisagé de la mettre sous antidépresseur si son
état ne s'améliorait pas sous peu.
– Vous ne reviendrez jamais. Je le sais, dit
Margareth d'une voix atone.
– Alors là, tu te trompes complètement, ma grande.
Non seulement je vais revenir, mais encore, c'est toi qui vas venir
à Seattle dès que tu t'en sentiras capable.
Tel était le plan de Callwin et de Miss
Richardson.
Contrairement aux autres membres de la communauté,
la vieille dame ne lui tenait pas rigueur du rôle qu'elle avait
joué dans ce drame. « Les voies du Seigneur sont
impénétrables », avait-elle rappelé. Les deux femmes avaient
longuement discuté et étaient tombées d'accord sur le fait que
Margareth devait quitter la communauté au plus vite. Les parents
d'Ethan ne lui pardonneraient jamais d'avoir « trompé »
leur fils. D'autre part, il fallait que quelqu'un vive à
l'extérieur pour accueillir Nathaniel quand il serait en âge de
quitter la communauté. Miss Richardson ne voulait plus de drames.
Certes, elle n'accepterait jamais l'homosexualité du garçon, mais
l'idée qu'il souffre de sa différence lui était
insupportable.
– Vous me le promettez ? demanda Margareth
avec un regard implorant.
– Tu as ma parole. Que je meure à l'instant si je
mens.
Elle se pencha vers elle et l'embrassa sur le
front.
Logan ouvrit un œil et s'étonna de l'heure
affichée sur l'écran de son réveil : 12 h 10. Il
tâta le lit à la place de Hurley. Vide. Il s'étira et se leva d'un
bond. De gros flocons tombaient sur les jardins, les toits et les
voitures. Tout était recouvert d'une épaisse couche
moelleuse.
Une parfaite journée pour rester au chaud entre
amoureux.
Après s'être douché, il descendit en peignoir dans
la cuisine. Hurley lui avait préparé un petit déjeuner.
– Tu dormais si bien. Je n'ai pas eu le cœur de te
réveiller.
– Merci, j'en avais grand besoin.
Il prit une longue gorgée de café et eut une
pensée pour le lieutenant Heldfield, qui était de permanence. Il
passerait le voir dans l'après-midi. Pour l'heure, il avait besoin
de câlins. Il s'approcha de Hurley et lui déposa sur les lèvres un
baiser parfumé au café.
– Joyeux Noël, ma belle.
– Joyeux Noël, mon amour, dit-elle en lui tendant
une enveloppe décorée de stickers brillants en forme de
cœurs.
Il devina tout de suite de quoi il s'agissait.
Depuis le temps qu'ils parlaient de faire un voyage en
Europe ! Venise, Rome, Paris, Barcelone ?
– Attends, je vais chercher le tien, qu'on ouvre
ensemble.
Il lui avait acheté une parure, collier et boucles
d'oreilles en pierres semi-précieuses.
– Non, ouvre d'abord, dit Hurley. J'espère que tu
vas aimer.
Logan remarqua qu'elle trépignait. Il secoua la
tête, amusé, et décacheta l'enveloppe. Il en sortit la photo. Il
n'en croyait pas ses yeux.
– C'est ce que je pense ? fit-il, sous le
choc, comprenant enfin les sautes d'humeur de sa compagne.
– Oui, tu es content ? demanda Hurley, qui
n'arrivait pas à déchiffrer son expression.
Surprise, déception, abattement ou grande
joie ?
– Si je suis heureux ? demanda-t-il,
abasourdi.
Il s'approcha de Hurley et la serra très fort dans
ses bras.
– Je suis l'homme le plus heureux du
monde !
Ils s'embrassèrent avec une passion renouvelée et,
sans lâcher Hurley, Logan posa sur le coin de la table
l'échographie du nouveau membre de leur famille.