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Callwin ralentit l'allure et quitta la route pour le chemin de terre qui s'enfonçait dans la forêt. À en croire son GPS, le manoir se trouvait à moins d'un kilomètre. C'est dans ce genre de moment qu'elle pensait aux personnes qui sillonnaient en camionnette tous les coins des États-Unis pour en cartographier les moindres routes.
– Allez, ma grande, ne te déconcentre pas. Tu peux le faire. Tu dois le faire, se dit-elle à voix haute en éteignant la radio.
Elle avait quitté Seattle l'esprit conquérant, enivrée par quelques verres de vin. Maintenant, sachant l'arrivée toute proche, elle était de plus en plus fébrile. Si seulement elle avait lu la Bible, ne serait-ce qu'une fois ! Elle ne croyait plus en Dieu depuis des années et méprisait ces gourous adulés par des gens trop crédules, qu'ils utilisaient et manipulaient à leur guise.
À travers une percée dans le paysage sylvestre, elle vit se profiler le manoir et la tension monta encore d'un cran.
– Notre père qui es aux cieux, aie pitié d'une pauvre fille qui ne demande qu'à faire son boulot !
Jamais cette vieille folle n'accepterait sa proposition.
Le manoir apparut soudain en bout de chemin. Callwin essaya de se calmer et de faire le vide dans sa tête. Elle devait paraître naturelle et sincère.
Elle se gara à côté d'une vieille Buick, devant le bâtiment en bois. À peine avait-elle posé un pied à terre que la porte du manoir s'ouvrit, laissant le passage à un bigot caricatural venu à sa rencontre. Vêtements d'un autre âge. Chapeau ridicule. Grande barbe de patriarche. Gardant ses réflexions pour elle, Callwin réussit à sourire.
– Bonjour, monsieur. C'est ici que résident les Enfants de Marie ? l'interrogea-t-elle d'une voix avenante.
L'homme descendit les quelques marches du perron et se posta face à la journaliste, qu'il dévisagea longuement.
– Vous êtes journaliste ?
Callwin sentit son sourire s'effriter.
– Je souhaiterais m'entretenir avec Mme Richardson. Vous pouvez la prévenir qu'une journaliste du News of Washington aimerait la rencontrer.
L'homme se lissa la barbe, puis tourna les talons et remonta vers le manoir. Callwin avait tellement peur de commettre un impair qu'elle resta là sans bouger, comme tétanisée. Quand il fut en haut des marches, l'homme se retourna vers elle.
– Restez pas plantée là. Vous allez attraper froid.
Il la mena dans un salon du premier étage. Une vieille dame assise sur un fauteuil à bascule observait la forêt à travers de hautes fenêtres. Il se dégageait de la pièce une odeur semblable à celle de la naphtaline.
Si Hollywood voulait tourner la suite de La Petite Maison dans la prairie, Callwin savait où venir.
– Peter, tu peux nous laisser, dit la vieille dame en se levant de son fauteuil.
Callwin tomba immédiatement sous le charme. Rien à voir avec ce à quoi elle s'attendait. À soixante et onze ans, ce n'était pas une vieille peau décrépie, mais une femme encore belle, au visage lisse et au regard magnétique, qui avait dû être magnifique dans sa jeunesse. Sa voix bien posée, au timbre clair, était empreinte d'une incroyable autorité naturelle.
– Madame, la salua Callwin en retrouvant son sourire.
– Vous êtes journaliste ?
– Oui, dit-elle, sachant que le moindre faux pas se paierait cash.
– Ne me regardez donc pas comme ça. Je n'ai aucun pouvoir de divination, se moqua Miss Richardson. C'est seulement que vous êtes la dixième en trois jours.
Callwin ne put masquer sa déception. C'était foutu. Jamais plus Randall ne lui confierait de mission.
– Je comprends, mais je ne venais pas pour vous parler de Nathaniel. Je voulais juste vous proposer, enfin, si vous le permettez, de rester dans votre communauté jusqu'au Nouvel An.
– Expliquez-vous.
Callwin sentait ses jambes trembler. « Reprends-toi, tu as peut-être une chance. »
– En fait, je travaille pour le News of Washington. J'ai proposé à mon directeur de faire des billets quotidiens sur la façon dont vous vivez votre foi, ce qui permettrait aux gens de mieux vous comprendre, de vous…
– Arrêtez, la coupa-t-elle d'un ton sec. Vous n'avez rien proposé du tout. Comment osez-vous venir chez nous alors que vos intentions sont des plus malhonnêtes ?
Callwin se figea, bouche bée. Pire qu'une gifle. Le ton était glacial, la voix impérieuse.
– Une fille de votre journal est venue hier. Elle m'a fait la même proposition. Alors soit vous êtes la journaliste la plus idiote des États-Unis, soit votre direction a oublié de vous en parler.
– Je n'en savais rien, je vous le jure.
– On ne jure pas dans cette maison. Allez-vous-en maintenant. Dites à votre journal de ne plus m'importuner. Nous souffrons assez comme cela.
Miss Richardson lui tourna le dos et retourna s'asseoir près de la fenêtre.
– Venez, fit l'homme qui l'avait accueillie.
Callwin n'insista pas. Elle se sentait humiliée et honteuse. Pourquoi cet abruti de Randall ne lui avait-il rien dit ?
« Parce que j'aurais refusé. »
Elle avait tant espéré de cet entretien ! Elle avait tant besoin de reconnaissance !
L'homme l'abandonna sur le perron. Elle retourna vers sa voiture, mit le contact, fit demi-tour et repartit sur le chemin de terre.
Quand elle fut certaine que personne ne pourrait la voir, elle s'arrêta et laissa couler ses larmes.
Un noël à River Falls
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