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– Allez on rentre, il se fait tard, fit Garth en posant une main sur l'épaule de sa sœur.
Bettany jeta un dernier regard sur la tombe de Lewis et se détourna, les yeux pleins de larmes. Jamais elle n'oublierait cette terrible soirée…



Cela faisait quelque temps que Lewis était distant. Les rares fois où il lui faisait encore l'amour, il avait l'air complètement ailleurs, et ses baisers manquaient de chaleur. Bettany avait essayé de discuter avec lui. Mais il la rassurait toujours en lui affirmant que tout allait bien. Elle avait mis cela sur le compte de son caractère macho. Elle aimait son côté mauvais garçon, alors que c'était un fils de bonne famille. À seize ans, Bettany était certaine d'avoir trouvé le père idéal pour ses futurs enfants. Quand il avait commencé à lui dire qu'il ne pourrait plus la voir tous les dimanches comme auparavant, sous prétexte qu'il avait besoin de se retrouver avec ses copains, pour des « soirées de beuverie entre mecs », elle avait trouvé cela bizarre. Lewis ne buvait pratiquement pas d'alcool, et surtout, pouvait-on préférer ça à des soirées avec une fille canon, très ouverte côté sexe ? Elle avait longuement hésité puis avait décidé d'en parler à son grand frère, Garth. En souriant, il avait tout de suite accepté la mission d'espionnage qu'elle lui avait confiée.
Garth avait expliqué à ses parents qu'ils iraient au cinéma le dimanche soir, et qu'il emmènerait sa sœur au lycée, le lendemain. Dès 19 heures, ils étaient en planque sur Golden Hill, non loin de la villa des Stark. Ils durent attendre jusqu'à 22 heures avant que le portail s'ouvre sur la voiture de Lewis.
Alors que jusque-là ils plaisantaient sur sa paranoïa de gamine jalouse, Garth et Bettany reprirent leur sérieux et commencèrent à le suivre. Au pied de la colline où se trouvait le quartier résidentiel, contrairement à leur attente, Lewis prit la rocade qui ceinturait la ville et partit vers l'est.
Bettany ne parlait plus. Garth était sur le qui-vive. Il aimait beaucoup Lewis. Un dur au cœur tendre. Le simple fait que les démocrates aient tenté de le salir parce qu'il avait mis sa raclée à une pédale, deux années plus tôt, jouait en sa faveur.
Lewis bifurqua et emprunta un chemin de terre qui s'enfonçait dans la forêt.
Garth ralentit et regarda sa sœur.
– Je ne sais pas où il va, mais ça ne me dit rien de bon.
Bettany acquiesça. Il n'allait certainement pas rejoindre des « copains de beuverie ».
– S'il te plaît, on continue, je veux savoir.
Garth lui sourit. Lui aussi avait envie de connaître le fin mot de l'histoire.
– OK, on y va.
Ils s'enfoncèrent dans le sous-bois. Au loin, les phares de Lewis étaient encore visibles. Garth attendit de ne plus les voir pour reprendre la route. Il savait qu'à tout moment, Lewis pouvait se rendre compte de leur présence. Néanmoins, ce dernier n'avait aucune raison de penser qu'il était suivi, ce qui devait le rendre moins vigilant.
Au bout d'une quinzaine de minutes à rouler au ralenti, à la seule lumière des feux de croisement, Garth comprit que la voiture de Lewis s'était arrêtée quand, à près de cinq cents mètres en aval, les phares de sa voiture s'éteignirent. Garth coupa le moteur et les phares. Soit il les avait repérés, soit il était arrivé à destination.
– Tu restes là. Je vais voir ce qu'il fabrique. D'accord ?
– Non, je viens avec toi, répliqua Bettany, qui n'avait pas la patience d'attendre un compte rendu.
– C'est hors de question. Ton mec est bien gentil, mais là, c'est franchement louche. Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.
Il passa la main sous son siège et sortit le pistolet qu'il y cachait. Les armes, c'était sa passion.
– Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta Bettany.
Il lui sourit à nouveau.
– On ne sait jamais. Allez, surtout tu ne bouges pas.
– J'ai peur. Imagine qu'il y ait un rôdeur et qu'il me kidnappe pendant que tu n'es pas là ?
Garth n'avait pas pensé à cette éventualité. Un frisson le saisit. Les anciennes scieries devaient se trouver à moins de cinq kilomètres et les manoirs appartenant à la secte dirigée par la vieille folle ne devaient pas être bien loin non plus.
– D'accord, mais tu restes tout le temps derrière moi. Si je te dis qu'il faut partir en courant, tu me prends la main et tu ne t'arrêtes que lorsqu'on sera dans la voiture.
– Oui, papa !
Cette fois, Garth ne sourit pas. Il commençait à se demander s'il ne serait pas plus judicieux de rentrer et d'avoir une discussion franche avec Lewis le lendemain.
Il ouvrit cependant la portière et sentit le froid le tétaniser. Il enleva la sécurité de son arme et avança sur le chemin à la faible lueur d'une lune à demi pleine qui passait entre les branches des arbres. Enfin, de la lumière. Une cabane de chasseur.
Si Lewis avait eu rendez-vous avec une femme, Garth était certain que cela aurait eu lieu dans un des motels au sortir de la ville. Trafic de drogue ?
« Merde, tu déconnes Lewis ! »
Il serra fermement le poing sur son arme et reprit son avancée, en prenant garde que Bettany restât toujours proche de lui. Quand ils furent près de la cabane, ils quittèrent la route et traversèrent les fourrés pour avoir une vue de côté. Il n'y avait qu'une seule voiture. Celle de Lewis.
– Je crois qu'on devrait rentrer, dit Garth.
Les trafiquants n'allaient certainement pas tarder. S'ils découvraient sa voiture, ils étaient faits comme des rats.
– Je t'en supplie. On jette juste un œil et on repart. Il n'y a pas l'air d'y avoir grand-monde.
Contrairement à son frère, pas l'ombre d'une seconde elle n'avait pensé à un trafic de drogue. Pour elle, c'était ici que Lewis la trompait avec une autre fille, ce qui expliquait son manque d'appétit sexuel, chose dont elle s'était bien gardé de parler à Garth. Elle voulait juste voir la tête de la salope qui lui avait pris son mec. Et en même temps, elle espérait se tromper. Il s'agissait peut-être autre chose : des copains de beuverie ou une initiation sectaire ?
– D'accord, mais dès que je dis qu'on part, on part ! rappela Garth.
– Oui, promis.
Ils sortirent des fourrés et, à moitié accroupis, avancèrent vers l'espace dégagé qui entourait la cabane. La lumière d'une lampe à pétrole éclairait l'intérieur. On percevait des voix. Celle de Lewis et d'un autre garçon. Un immense soulagement envahit Bettany. Pas de fille à l'horizon. Elle en aurait pleuré de joie. Garth fut soulagé par le timbre juvénile. Un petit dealer qui venait vendre sa cargaison à Lewis. Une arme devrait suffire à les impressionner et à les ramener à la raison.
Avec d'infinies précautions, ils firent le tour de la cabane en rasant les murs, pour se retrouver sous l'unique fenêtre. Ignorant sa sœur, Garth se redressa lentement et regarda à travers. Un puissant courant de haine et de dégoût lui broya les entrailles. C'était mille fois pire que ce qu'il avait imaginé.
Lewis et un jeune garçon, enlacés, s'embrassaient à pleine bouche.
C'était immonde, répugnant, abject ! Et sa sœur qui sortait avec ce dégénéré ! Il serra très fort son arme. Il leur aurait bien mis une balle dans la tête, mais il restait figé, incapable du moindre geste.
Soudain, la porte de la cabane s'ouvrit. Il vit sa sœur entrer et pousser un hurlement affreux.
Tout se passa en quelques secondes. Bettany bondit sur les deux garçons. Nathaniel tomba à la renverse et se cogna l'arrière du crâne contre une table. Lewis vit rouge et donna une gifle terrible à Bettany. Alors qu'il levait de nouveau la main sur elle, une balle lui traversa le corps.
Le bruit de la détonation sortit Garth de sa stupeur. C'était lui qui venait de tirer !
Il venait de tuer un homme.
Bettany hurla, sortit de la cabane et alla se réfugier dans les bras de son frère. Ils restèrent prostrés de longues secondes, avant que Garth ne prenne les choses en main. Il rentra dans la cabane et se pencha au-dessus de Lewis. Mort. L'autre garçon était toujours inconscient. Il prit un mouchoir qu'il avait dans son blouson, essuya ses empreintes sur l'arme et la posa dans la main de Nathaniel.
– Non, ça ne marchera pas, dit Bettany.
Alors qu'elle se sentait au bord de la crise d'hystérie, par elle ne savait quel miracle, elle arrivait à conserver un peu de sang-froid. Toutes les soirées passées à regarder des séries policières l'empêchèrent de commettre une erreur grossière.
– Toute arme a un numéro de série. À moins qu'elle ait été volée, ils auront vite fait de remonter jusqu'à toi. Il faut s'en débarrasser.
Garth en convint et remercia sa petite sœur pour ce trait de génie. Il reprit son arme, la leva et en donna un coup à Nathaniel, sur la tempe. Bettany poussa un cri. Garth lui expliqua qu'il ne fallait pas que le garçon reprenne conscience trop tôt et puisse les identifier. Il trouva dans une vieille boîte à outils rangée sur une étagère une espèce de grosse lime dont il se servit pour effacer tant bien que mal le numéro de série.
Ils sortirent de la cabane et retournèrent à la voiture. Il mit ses gants, prit le cric et une lampe de poche, ainsi que des revues pornographiques qu'il avait toujours dans son coffre. Bondage et SM. Il n'aurait jamais pensé qu'elles lui sauveraient un jour la peau.
Sa sœur ne posa aucune question.
Ils retournèrent dans la cabane dans le silence de la nuit. Il cacha les revues sous le matelas et expliqua à Bettany :
– Il est possible qu'en se réveillant, ce garçon ne se souvienne de rien. Dans ce cas, toi et moi sommes à l'abri. Mais si jamais il se rappelle t'avoir vue, tu n'auras qu'à dire que Lewis venait souvent ici avec toi, et que le garçon vous a surpris. Avec ces revues, jamais personne ne soupçonnera que ton mec était une tarlouze.
Bettany secoua la tête. Elle était incapable de se projeter dans l'avenir. Pouvaient-ils réellement s'en sortir ?
– Fais-moi confiance.
Elle acquiesça et suivit son frère à l'extérieur.
Ils marchèrent dans les fourrés avant de trouver le bon endroit. Garth creusa la terre gelée avec son cric. Quand il eut fait un trou de plus de quinze centimètres de profondeur, il y enfouit l'arme et le reboucha. Il éparpilla de la terre et des feuilles et tout reprit un aspect naturel. Rien ne témoignait de leur présence.
Il retourna dans la cabane. Après un rapide coup d'œil, il revint auprès de sa sœur.
Il était temps de partir.
Au petit matin, quand les informations avaient annoncé que Nathaniel Morrison affirmait avoir été agressé par un prédateur sexuel, Bettany crut que toute cette histoire allait être enterrée à jamais.
Et puis, Nathaniel était revenu une première fois sur sa déposition…



– Je suis désolée, dit Bettany en se dirigeant vers la sortie par la travée centrale du cimetière.
En liberté conditionnelle jusqu'à son procès, Garth n'en voulait pas à sa petite sœur. Elle devait vivre sans avoir sur la conscience le fait d'avoir envoyé à la potence un innocent, aussi pervers soit-il.
– Ne t'en fais pas pour moi. En plaidant l'accident, aussi bien, je ne ferai même pas un seul jour de prison, la rassura-t-il, sans éprouver le moindre remords pour le meurtre qu'il avait commis.
À la lumière des lampadaires, ils s'en retournèrent à leur voiture, alors que des flocons de neige commençaient à tomber.
Un noël à River Falls
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