11
Simon Beaver passa une jambe, puis l'autre, par-dessus la rambarde de sécurité et s'arrêta sur le bord de la route. En cette heure avancée, peu de voitures circulaient. Tout le monde était rentré chez soi pour fêter le réveillon de Noël : la journée la plus fantastique de l'année. Celle où l'on oubliait un instant les querelles pour se retrouver entre gens aimés. Un moment de pur bonheur pour les enfants émerveillés par les sapins, les décorations, les guirlandes lumineuses qui scintillaient dans toutes les maisons. Sans oublier les cadeaux…
Emmitouflé dans sa tenue de père Noël, Simon Beaver tremblait autant de froid que d'émotion ; de très vieux souvenirs revenaient à sa conscience. La vie avait vraiment été une chienne avec lui…



– Tu es certain qu'ils ne vont pas nous entendre ? demanda Jonathan.
Un sourire espiègle éclairant son visage, Simon s'approcha du lit de son petit frère.
– Je te dis que oui. Ils dorment, répondit-il d'une voix rassurante. Allez, viens.
C'était la veille de Noël. Simon, âgé de six ans et demi, comptait bien avoir la preuve que le père Noël n'existait pas, contrairement à ce que disaient ses parents.
– Vas-y tout seul et tu me diras à qui il ressemble.
À cinq ans, Jonathan avait une sainte frousse que le père Noël les surprenne. En plus, papa et maman leur avaient fait promettre de ne pas sortir de la chambre avant le petit matin.
– D'accord, mais si je le vois, je lui dis que tu ne veux pas de cadeaux, répondit Simon.
Il avait beau douter de l'existence du père Noël, il préférait ne pas descendre tout seul au salon, au cas où ce dernier existerait bel et bien.
– C'est pas gentil. C'est mes cadeaux.
– M'en fous !
Jonathan fit sa mauvaise tête puis, s'armant de courage (et surtout, craignant pour ses cadeaux), se décida enfin à suivre son aîné.
– Ne fais pas de bruit. D'accord ? le prévint Simon, une main sur la poignée de la porte, l'autre tenant une petite lampe de poche.
Jonathan hocha la tête. La peur lui nouait le ventre.
Avec un très léger grincement, la porte s'ouvrit. L'obscurité du couloir leur fit face.
Simon non plus n'en menait pas large, même s'il était à peu près certain que ses cadeaux avaient été déposés au pied du sapin par ses parents, pendant qu'ils faisaient semblant de dormir. Si tel n'était pas le cas, il attendrait caché derrière le canapé la venue du père Noël pour s'en vanter après les vacances scolaires.
Le faisceau lumineux de la lampe éclaira leur chemin jusqu'à l'escalier conduisant au rez-de-chaussée. Simon passa devant et prit la main de son frère. Il était hors de question qu'il lui fasse faux bond. Ils longèrent le couloir et se retrouvèrent devant l'escalier d'où leur parvenait une vague lumière intermittente. Leurs parents avaient laissé la guirlande allumée, comprit Simon.
Ils descendirent les marches avec d'infinies précautions, craignant le moindre craquement qui réveillerait leurs parents. Mais tout se passa sans encombre.
Arrivé en bas sans s'être fait remarquer, Simon se détendit légèrement et, tenant toujours son petit frère par la main, ils entrèrent dans le salon pour découvrir leur fabuleux sapin de Noël entouré de nombreux cadeaux.
Simon était tout heureux de sa découverte.
– Le père Noël n'existe pas ! déclara-t-il, fier de lui.
– C'est pas vrai, rétorqua Jonathan.
– Mais si, regarde, c'est papa et maman qui ont mis les cadeaux.
– C'est pas vrai, je vais leur dire.
Aussitôt dit, Jonathan sortit en courant du salon. Malgré la très faible clarté, il trouva son chemin jusqu'à l'escalier et, oubliant toute peur et toute prudence, il gravit les marches aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient, certain que son frère était juste derrière lui.
Pourtant, Simon n'avait pas bougé. Il savait qu'il était trop tard pour arrêter Jonathan et que la raclée serait mémorable. Il s'approcha d'un des cadeaux, le soupesa, espérant seulement qu'il aurait le droit de les ouvrir une fois que son père lui aurait donné sa correction.
Jonathan vit la lumière s'allumer dans le couloir du haut. Il gravit les quelques marches restantes encore plus vite. À peine avait-il atteint la dernière qu'une déflagration déchira le silence. Jonathan n'eut pas le temps de pousser un cri. Une décharge de chevrotines venait de lui traverser la tête.
Le petit corps sans vie bascula dans l'escalier.
– Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ! hurla M. Beaver en laissant tomber son fusil sur la moquette du couloir.
Un noël à River Falls
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