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Simon Beaver passa une jambe, puis l'autre,
par-dessus la rambarde de sécurité et s'arrêta sur le bord de la
route. En cette heure avancée, peu de voitures circulaient. Tout le
monde était rentré chez soi pour fêter le réveillon de Noël :
la journée la plus fantastique de l'année. Celle où l'on oubliait
un instant les querelles pour se retrouver entre gens aimés. Un
moment de pur bonheur pour les enfants émerveillés par les sapins,
les décorations, les guirlandes lumineuses qui scintillaient dans
toutes les maisons. Sans oublier les cadeaux…
Emmitouflé dans sa tenue de père Noël, Simon
Beaver tremblait autant de froid que d'émotion ; de très vieux
souvenirs revenaient à sa conscience. La vie avait vraiment été une
chienne avec lui…
– Tu es certain qu'ils ne
vont pas nous entendre ? demanda Jonathan.
Un sourire espiègle éclairant
son visage, Simon s'approcha du lit de son petit
frère.
– Je te dis que oui. Ils
dorment, répondit-il d'une voix rassurante. Allez,
viens.
C'était la veille de Noël.
Simon, âgé de six ans et demi, comptait bien avoir la preuve que le
père Noël n'existait pas, contrairement à ce que disaient ses
parents.
– Vas-y tout seul et tu me
diras à qui il ressemble.
À cinq ans, Jonathan
avait une sainte frousse que le père Noël les surprenne. En plus,
papa et maman leur avaient fait promettre de ne pas sortir de la
chambre avant le petit matin.
– D'accord, mais si je le
vois, je lui dis que tu ne veux pas de cadeaux, répondit
Simon.
Il avait beau douter de
l'existence du père Noël, il préférait ne pas descendre tout seul
au salon, au cas où ce dernier existerait bel et bien.
– C'est pas gentil. C'est mes
cadeaux.
– M'en
fous !
Jonathan fit sa mauvaise tête
puis, s'armant de courage (et surtout, craignant pour ses cadeaux),
se décida enfin à suivre son aîné.
– Ne fais pas de bruit.
D'accord ? le prévint Simon, une main sur la poignée de la
porte, l'autre tenant une petite lampe de poche.
Jonathan hocha la tête. La
peur lui nouait le ventre.
Avec un très léger
grincement, la porte s'ouvrit. L'obscurité du couloir leur fit
face.
Simon non plus n'en menait
pas large, même s'il était à peu près certain que ses cadeaux
avaient été déposés au pied du sapin par ses parents, pendant
qu'ils faisaient semblant de dormir. Si tel n'était pas le cas, il
attendrait caché derrière le canapé la venue du père Noël pour s'en
vanter après les vacances scolaires.
Le faisceau lumineux de la
lampe éclaira leur chemin jusqu'à l'escalier conduisant au
rez-de-chaussée. Simon passa devant et prit la main de son frère.
Il était hors de question qu'il lui fasse faux bond. Ils longèrent
le couloir et se retrouvèrent devant l'escalier d'où leur parvenait
une vague lumière intermittente. Leurs parents avaient laissé la
guirlande allumée, comprit Simon.
Ils descendirent les marches
avec d'infinies précautions, craignant le moindre craquement qui
réveillerait leurs parents. Mais tout se passa sans
encombre.
Arrivé en bas sans s'être
fait remarquer, Simon se détendit légèrement et, tenant toujours
son petit frère par la main, ils entrèrent dans le salon pour
découvrir leur fabuleux sapin de Noël entouré de nombreux
cadeaux.
Simon était tout heureux de
sa découverte.
– Le père Noël n'existe
pas ! déclara-t-il, fier de lui.
– C'est pas vrai, rétorqua
Jonathan.
– Mais si, regarde, c'est
papa et maman qui ont mis les cadeaux.
– C'est pas vrai, je vais
leur dire.
Aussitôt dit, Jonathan sortit
en courant du salon. Malgré la très faible clarté, il trouva son
chemin jusqu'à l'escalier et, oubliant toute peur et toute
prudence, il gravit les marches aussi vite que ses petites jambes
le lui permettaient, certain que son frère était juste derrière
lui.
Pourtant, Simon n'avait pas
bougé. Il savait qu'il était trop tard pour arrêter Jonathan et que
la raclée serait mémorable. Il s'approcha d'un des cadeaux, le
soupesa, espérant seulement qu'il aurait le droit de les ouvrir une
fois que son père lui aurait donné sa correction.
Jonathan vit la lumière
s'allumer dans le couloir du haut. Il gravit les quelques marches
restantes encore plus vite. À peine avait-il atteint la
dernière qu'une déflagration déchira le silence. Jonathan n'eut pas
le temps de pousser un cri. Une décharge de chevrotines venait de
lui traverser la tête.
Le petit corps sans vie
bascula dans l'escalier.
– Mais qu'est-ce que j'ai
fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ! hurla M. Beaver en
laissant tomber son fusil sur la moquette du couloir.