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Il était près de 9 heures du soir quand Logan
se gara devant chez lui. Il sortit sous un froid glacial et remonta
l'allée d'un pas pressé. Sa maison était la seule à ne pas briller
de mille feux. Certains de ses voisins avaient proposé de s'occuper
de sa décoration, mais Logan avait décliné l'offre, arguant que
cela ne cadrait pas avec son statut de premier homme de loi de la
ville. En vérité, il aurait trouvé trop déprimant de rentrer dans
une maison illuminée de l'extérieur et vide de toute chaleur
humaine à l'intérieur. D'autant plus vide que Hurley l'avait appelé
dans l'après-midi pour lui annoncer d'une voix peinée qu'elle
rentrait à Seattle avec Blake et Freeman.
Il inséra la clé dans la serrure, et fut surpris
de constater qu'elle n'était pas fermée à double tour. Ce n'était
pas le genre de Jessica d'oublier ce genre de chose. Il retint son
souffle et mit la main à son ceinturon. S'avançant dans le couloir
de l'entrée, il crut distinguer une forme humaine dans le
salon.
Il y eut le bruit d'une allumette qu'on craque,
suivi d'une petite flamme.
Logan soupira d'aise et rangea son arme.
La flamme alluma la bougie posée sur la table
basse, qui éclaira d'une façon très douce le corps de Hurley vêtue
d'un déshabillé sexy.
– Je me doutais depuis le début que cette maison
était hantée, fit-il en se débarrassant de son blouson et de son
ceinturon.
– Le fantôme de Lady Hurley, pour vous
servir.
Logan adorait leurs petits jeux amoureux. Rien de
tel pour briser la monotonie de la vie de couple. Il s'avança à la
simple lueur de la bougie.
– Vous m'avez l'air bien réelle pour un
spectre.
– Taisez-vous, vous ne savez rien de moi, continua
Hurley d'une voix envoûtante.
Logan vint s'asseoir tout près d'elle.
– Vous ne me faites pas peur, et je crois bien que
c'est vous qui devriez plutôt me craindre.
– Vous n'oseriez pas ?
– Et comment ! fit Logan, qui se jeta sur sa
compagne.
Maintenant allongés l'un contre l'autre au creux
du lit, ils avaient fait le tour de presque toutes les pièces avant
de finir dans l'endroit le plus approprié pour atteindre le
nirvana.
– C'est celle qui me manque le plus, fit Logan à
la lueur de ce qui restait de la bougie.
– Tu m'as promis.
Hurley détestait que Logan fume une cigarette
après l'amour. La rançon du guerrier, comme si la femme était un
animal que l'on chassait !
– Même pas une fois de temps en temps ?
– Même pas.
Au moins, il aurait essayé. Il passa un index sur
le front de Hurley et lui essuya les perles de sueur. Vraiment une
beauté. Ils se regardèrent de longues minutes, avant que Hurley ne
vienne poser sa tête sur la poitrine de Logan.
– Parle-moi de cette secte. C'est quoi au juste,
les Enfants de Marie ?
C'était bien la dernière chose dont il avait envie
de parler, mais il le lui devait bien, après la scène qu'il lui
avait faite de bon matin.
– Jenny Richardson. Une illuminée de première. Une
starlette de la chanson dans les années soixante, qui n'a jamais
décroché un single en dehors de son Texas natal.
Il avait été le premier étonné quand il avait
appris, au printemps dernier, que le manoir où Jack Mitchell avait
sévi avait été vendu aux enchères à une secte. Il avait découvert
qu'elle avait acquis deux autres manoirs avec leurs dépendances. Ce
qui représentait un domaine foncier considérable, même si certains
lots étaient dans un état de délabrement partiel. Logan avait fait
des recherches sur le gourou. Une femme de soixante-dix ans qui
avait enregistré quelques singles de country, sans jamais
percer.
Il avait vu des photos d'époque. Une très jolie
fille, qui n'avait pas eu de mal à se trouver un mari fortuné en la
personne de Ronny Richardson, richissime promoteur texan. L'homme
avait été son mécène. Il gaspilla des sommes considérables pour
faire de sa femme une célébrité. Malheureusement, quand un accident
de voiture emporta l'heureux époux, Mme Richardson sombra dans
une profonde dépression. Elle n'en sortit que deux ans plus tard,
quand elle fit la rencontre la plus importante de sa vie.
– Elle a vu la Vierge en personne, indiqua Logan
sur un ton faussement impressionné.
Hurley avait déjà entendu parler de cette secte,
mais jamais elle n'aurait imaginé que le gourou fût une vieille
chanteuse de country sur le retour.
– C'était lors d'une visite dans un cimetière
élisabéthain. En Virginie. Elle lui est apparue et lui a demandé de
prêcher la bonne parole et tout un tas de principes à la con.
Comme vivre à la manière des premiers arrivants
sur le continent. Cependant, à l'inverse des Amish, ils avaient le
droit, en cas de nécessité, de recourir à la modernité. Ce qui
expliquait que certains d'entre eux possédaient des voitures et
même des téléphones portables. S'ils diabolisaient la société de
consommation, ils n'en haïssaient pas leurs membres pour autant. Il
y avait même une de leurs filles à l'université de River
Falls.
– J'ai appris ça tout à l'heure, fit-il en
caressant les cheveux de Hurley. Une pauvre bigote qui est la risée
de tous.
Hurley redressa la tête et le regarda.
– On dirait que ça t'amuse, fit-elle. Moi qui
croyais que tu prenais toujours la défense des faibles.
– Ce ne sont pas des faibles. Jenny Richardson est
assise sur un pactole estimé à deux cents millions de dollars. Loin
des Gates, Buffet et Trump, certes. Mais ça doit laisser voir
venir.
Cette somme laissa Hurley pantoise. À quoi
pouvait-il servir d'avoir autant d'argent ? Une vie entière ne
suffirait pas pour le dépenser.
– Cela a dû attirer beaucoup d'adhérents.
– Pas vraiment. En fait, si j'en crois mes
sources, elle ne recrute que dans sa famille. Elle se serait fait
aider par les Mormons pour retrouver d'anciennes branches des
Richardson et des Cagliani, son nom de jeune fille.
Hurley sourit en imaginant la surprise de ces
cousins éloignés. Combien d'entre eux avaient dû accepter d'entrer
dans la secte dans le seul espoir de toucher un jour le
magot ?
– Ils ne prônent pas la fin du monde,
j'espère ?
– Malheureusement non. Peu de chances qu'il y ait
un suicide collectif, fit-il sur un ton qui se voulait
sérieux.
– Très drôle.
Hurley s'assit en tailleur sur le lit et repensa à
Nathaniel. À quoi ressemblait la vie dans une telle
communauté ? Adoptait-on automatiquement les dogmes enseignés,
ou au contraire se révoltait-on contre cet
endoctrinement ?
– Est-ce que je peux dire quelque chose qui va te
faire bondir ?
Logan se redressa dans le lit et fit une moue peu
avenante.
– Je me prépare.
Hurley sourit et se lança :
– Et si Nathaniel n'était pas coupable ? Et
s'il avouait pour fuir cette secte et être banni ?
Logan ne bondit pas.
– Figure-toi que j'y ai pensé. Mais le hic, c'est
que ce n'est pas l'armée. Tout le monde peut sortir de cette
communauté très facilement. D'ailleurs, d'après mes recherches, de
nombreux membres de la famille l'ont quittée au fil des années. Ils
seraient même restés en bons termes avec la secte. Sans parler de
la petite qui fait ses études à l'université.
L'instinct de Hurley lui disait pourtant que
quelque chose ne cadrait pas.
– Je suppose que tu as raison.
– Tu sais, il va bien falloir qu'un jour tu
comprennes que je ne suis pas shérif pour rien et que mes
collaborateurs ne sont pas de stupides subalternes guidés par le
seul souci de m'être agréable.
Hurley rit d'elle-même et donna une petite tape
amicale sur la cuisse de son homme.
– J'aime bien t'embêter.
– Ouais, j'en ai bien conscience, mais fais
attention à ne pas aller trop loin, la menaça-t-il.
Elle lui sourit, cependant qu'une dernière
question lui effleurait l'esprit :
– Et le frère de Bettany, il est venu
déposer ?
– Oui. Il dormait quand elle est rentrée. Au petit
matin, quand il s'est levé, c'est elle qui dormait. Il ne l'a pas
réveillée et il est parti à son travail. Et avant que tu me le
demandes, sache que j'ai appelé son employeur. Il m'a confirmé
qu'il était bien à son poste toute la matinée ; son
comportement semblait normal.
– Pourquoi n'a-t-il pas appelé la
police ?
Logan la regarda d'un air navré.
– Il a eu peur d'impliquer sa sœur dans cette
histoire, et puisque nous avions notre coupable, il n'a pas cru bon
d'intervenir. J'aurais fait pareil pour toi.
Satisfaite et d'humeur joyeuse, Hurley se
rapprocha de lui et lui pinça la joue.
– Aïe ! cria-t-il exagérément. Je t'ai dit de
ne pas aller trop loin.
– C'est que ça se voudrait méchant, cette
chose-là.
Logan leva les yeux et sans prévenir lui sauta
dessus, dans la ferme intention de la croquer toute crue.