8
Gerald gara sa voiture à côté de celle de Luke. Ils avaient fini les cours à 16 h 30 et s'étaient donné rendez-vous chez Kevin pour une après-midi de jeux vidéo. Le portail automatique se referma derrière eux. C'est sous une petite pluie fine que Gerald rejoignit ses deux amis qui sortaient de la voiture de Luke. La villa se trouvait sur les hauteurs de Golden Hill, le quartier chic de River Falls. Les parents de Luke et de Kevin étant voisins, les deux étudiants utilisaient, une semaine sur deux, la voiture de l'un ou de l'autre pour aller en cours.
– Tu as écouté la radio ? demanda Kevin.
Non, répondit Gerald en s'approchant de l'entrée.
Ils s'étaient acheté en début de semaine le tout nouveau Nickelback. Une vraie tuerie, se dit-il alors que « Gotta be somebody » résonnait encore à ses oreilles.
– Ils ont arrêté le tueur.
– Déjà ?
Ce shérif venu de Seattle était vraiment un bon.
– Ouais, et tu ne connais pas la meilleure, intervint Luke. Il s'est fait buter !
La porte d'entrée s'ouvrit sur la mère de Kevin, qui les accueillit de son chaleureux sourire.
– Entrez vite, vous allez être trempés.
– Bonjour, madame Fisher, dirent en chœur Gerald et Luke.
Les trois garçons s'essuyèrent rapidement les pieds et accrochèrent leur blouson sur le portemanteau.
– Comment ça s'est passé à l'université ? Je suppose que vous avez appris la nouvelle, dit Mme Fisher en posant particulièrement son regard sur Gerald.
Malgré ses vingt et un ans, il se sentait rien moins qu'un adolescent boutonneux devant elle. Mme Fisher était d'une sensualité troublante. Elle aurait pu être sa mère, mais cela ne l'empêchait pas d'avoir de drôles de pensées.
– Luke disait qu'ils avaient arrêté le type, fit-il en sentant rosir ses joues.
Il était sûr qu'elle s'en était aperçue, mais comme chaque fois, elle fit comme si de rien n'était.
– Oui. C'est son avocat qui l'a assassiné, compléta Luke.
Lui aussi aimait bien la mère de Kevin. Il était persuadé qu'il suffirait d'un rien pour qu'il se passe un truc entre eux, un de ces jours.
– Ce n'est pas tout à fait ça. Vous connaissez Harry Miller ?
Trois regards interrogateurs la fixèrent.
– C'est un activiste homosexuel qui prône l'égalité hétéros et homos, hommes et femmes, Blancs et Noirs. Un type vraiment bien, dit-elle sans se départir de son sourire.
Comment pouvait-on avoir des dents aussi bien alignées ? L'appareil dentaire, l'invention du siècle ! s'amusa Gerald, sous le charme.
– Pas si bien que ça a priori, la reprit Luke, qui mima un coup de pistolet avec sa main.
– Ne plaisante pas avec ça.
Gerald adorait quand elle prenait cet air faussement fâché.
Tout comme son mari, elle était une fervente démocrate qui soutenait activement ce parti à River Falls. Elle était consciente qu'ils resteraient minoritaires dans ce bastion républicain, mais elle croyait au débat d'idées et ne manquait jamais une occasion de se faire entendre. Surtout auprès de la jeunesse insouciante, ignorante des enjeux politiques. Une génération de purs consommateurs égocentriques et narcissiques, se plaignait-elle souvent à son fils.
– Maman, c'est bon, tu ne vas pas nous saouler. On s'en fout de cet avocat. Le principal est que ce Brown soit mort, non ?
Et sans attendre de réponse, il se dirigea vers la cuisine.
– Vous aussi, vous vous en moquez ? demanda-t-elle en s'adressant tour à tour à Gerald et à Luke.
– Non, mais c'est juste que la politique, ce n'est pas vraiment notre truc, s'excusa Luke.
Gerald hocha la tête en signe d'assentiment.
– Eh bien, vous avez tort. Si les gens avaient eu un peu plus de conscience politique, jamais Hitler n'aurait été élu !
– Maman ! lança Kevin du bout du couloir.
Elle poussa un profond soupir en levant les yeux au ciel.
– Très bien, mais le jour où vous aurez un dictateur au pouvoir, il ne faudra pas venir vous plaindre.
– On a déjà eu Bush père et fils, et on s'en est sortis, répliqua Luke.
Il aimait bien la taquiner. Il était certain qu'elle adorait qu'on lui résiste. Vivement que le grand jour arrive !
– J'ai voté pour Obama, c'est déjà pas si mal, non ? se défendit Gerald.
C'était un pur mensonge : il n'avait pas pris la peine de se déplacer. Mais ça avait été plus fort que lui, il n'avait pas aimé le regard chargé de reproches qu'elle leur avait lancé.
– Si tu avais su pourquoi, cela aurait été encore mieux, se moqua-t-elle gentiment avant de lui passer un doigt sur la joue. C'est bon, allez rejoindre Kevin ou il va encore me dire que je lui fais honte.
Gerald, tout émoustillé, lui fit son plus beau sourire et remonta le couloir à la suite de son ami.
– Lèche-cul, lui souffla Luke alors qu'ils arrivaient à la cuisine.
– Jaloux, répliqua-t-il, fier de lui.
– Jaloux de quoi ? demanda Kevin, qui était en train de tartiner des pancakes.
Une baie vitrée donnait sur une large terrasse où ils mangeaient midi et soir, quand l'été arrivait. Au fond du jardin, plus bas dans la vallée, on pouvait apercevoir River Falls.
– Jaloux de mon physique d'Apollon ! se rengorgea Gerald.
Kevin ricana et finit son pancake.
– Si vous en voulez, servez-vous, fit-il en s'asseyant sur une chaise haute.
Les deux garçons ne se le firent pas dire deux fois. Les pancakes de Mme Fisher étaient un pur délice.
– En tout cas, j'ai bien fait de ne pas appeler la police pour dénoncer la pauvre bigote, fit Gerald en tartinant généreusement son pancake de pâte chocolatée.
– Ouais, le shérif a arrêté les coupables. Je ne vois vraiment pas ce qu'elle viendrait foutre dans cette histoire. Surtout que le gamin des Enfants de Marie n'est même pas mort.
Luke ne réagit pas. Il n'était plus très fier de s'être laissé emporter par sa colère. Heureusement, la flic qu'il avait eue au téléphone n'avait pas eu l'air de faire grand cas de sa déposition. Il espérait surtout que personne ne remonte jusqu'à lui pour l'accuser de dénonciation calomnieuse.
– À croire que leur Dieu existe réellement.
Gerald revit la fille en train de pleurer dans les toilettes de la bibliothèque. Il s'en voulut d'avoir cru qu'elle pouvait être coupable. Non qu'il ait de l'estime pour ces gens-là, mais il avait suffisamment d'ego pour ne pas aimer l'image que cela lui renvoyait. Un être bourré de préjugés. Une idée en entraînant une autre, il lança :
– Vous pensez que cet avocat était le complice de ce Brown ?
– Sans l'ombre d'un doute. Pourquoi l'aurait-il tué, si ce n'est pour le faire taire ? s'imposa Kevin.
Gerald n'en savait trop rien, mais si Mme Fisher pensait que l'homme était innocent, il savait par expérience qu'elle avait souvent raison.
– Pour qu'il ne recommence plus, se hasarda-t-il.
Les rires goguenards de Luke et de Kevin éclatèrent dans la cuisine.
– Brown allait être condamné à mort. Pourquoi risquer la prison en le tuant ?
Gerald ne put qu'admettre la pertinence de la remarque.
– Mais cet avocat doit avoir un avocat. Il a dit quoi ?
Les deux amis haussèrent les épaules.
– Ils en ont rien dit à la radio, mais t'inquiète, on en saura plus ce soir, finit par répondre Luke.
Gerald avala une première bouchée de son pancake avec gourmandise.
– Ta mère est vraiment la reine des desserts !
– C'est clair. J'ai vraiment du mal à croire qu'elle a pu enfanter un crétin comme toi ! se moqua Luke.
Kevin lui fit un doigt d'honneur et sauta de sa chaise.
– Bon, je crois que je me sens prêt pour une petite partie. Qui m'aime me suive !
Ils avaient l'habitude de se chambrer à tour de bras, et aucun n'en prenait jamais ombrage.
– Je m'en prépare un dernier et je vous rejoins, répondit Gerald.
Kevin et Luke quittèrent la cuisine pour le confort de la salle home-video, où la Playstation 3 les attendait.
Gerald espérait secrètement que la mère de Kevin viendrait le rejoindre pour discuter. Mais les minutes passant, il dut se résoudre à aller retrouver ses camarades pour une partie de Dead Space.
Un noël à River Falls
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