47
Logan éteignit son ordinateur et, pour la énième fois de la journée, appela Hurley. Trois sonneries, puis la boîte vocale. Il raccrocha et serra les lèvres.
Depuis qu'elle était partie le vendredi soir, il n'avait eu aucune nouvelle. Juste un texto le lendemain pour lui assurer qu'elle était toujours en vie, n'avait pas eu d'accident de voiture, mais ne voulait toujours pas lui parler. Il lui avait laissé un stock de messages et lui avait même présenté de plates excuses. Mais rien n'y avait fait. Silence radio.
Il éteignit la petite lampe de bureau, et se leva en repensant à son subit accès de panique quand il avait imaginé qu'elle avait été kidnappée par un cinglé. Heureusement, Blake l'avait rassuré sur ce point. Il avait déjeuné avec elle le midi même à Seattle, en compagnie des autres experts du FBI. Elle n'avait pas parlé de leur dispute. « Ce n'est peut-être pas si grave », se dit-il. Qui peut savoir ce qui se passe dans la tête d'une femme ?
Il attrapa son blouson, baissa les stores et sortit de son bureau, qu'il referma à clé. Il était près de 20 heures. Il allait être en retard. Dans l'open space, il salua les agents de permanence de nuit, puis quitta le commissariat. L'air était glacial. Il s'engouffra dans sa Cherokee, mit le contact et poussa le chauffage à fond.
Sans musique, ruminant de sombres pensées, il roula près d'une demi-heure avant d'arriver au Chuck and Lara, un bowling qui faisait aussi office de restaurant, situé dans la grande zone commerciale à la périphérie de River Falls. Il n'avait pas le cœur à se distraire, mais une fois sur place, peut-être qu'il oublierait ses problèmes de couple et qu'il réussirait à passer une bonne soirée.
Il sourit en voyant la devanture étincelante, parée des couleurs de Noël, et la gigantesque quille de bowling habillée en père Noël qui trônait près de l'entrée. Quel kitsch !
Le restaurant était séparé des pistes de bowling par une immense baie vitrée. Il s'approcha de la table ronde où se trouvaient déjà deux de ses lieutenants et prit place à leur côté.
– Excusez-moi, je n'ai pas pu faire plus vite.
– Ne vous en faites pas. On n'est pas pressés, mais je dois dire que j'ai cru un instant que vous alliez vous défiler de peur de prendre encore une raclée, le taquina Heldfield.
Les trois hommes avaient pris l'habitude de faire un bowling une fois par mois. Un rituel sympathique qui permettait de décompresser, tout en renforçant leur confiance mutuelle.
– Tu plaisantes. La dernière fois, je ne me sentais pas très bien. Ce soir, cherchez même pas à me rattraper !
Heldfield rit de bon cœur, mais il eut l'impression que la bonne humeur de Logan n'était que de façade. Un problème de couple ?
Un homme corpulent, arborant une magnifique moustache, s'approcha d'eux en souriant.
– Bonsoir, shérif, bonsoir, lieutenants, fit Chuck Vance.
Les trois hommes saluèrent le patron du bowling.
– J'espère que la semaine que vous venez de passer ne vous a pas coupé l'appétit.
– Non, bien au contraire. Vous pouvez y aller sur les frites ! s'enthousiasma Morris.
Logan approuva de la tête. Chuck Vance était un chic type. Jamais il ne se mêlait de leurs affaires. À part leur offrir systématiquement les boissons, il ne faisait rien de répréhensible.
– Lara n'est pas là ? s'enquit Heldfield.
Tout comme son mari, elle portait fièrement son poids et promettait de cogner quiconque lui parlerait de régime.
– Non, elle a chopé une saloperie de grippe. À une semaine de Noël. Vraiment pas de bol.
– Vous lui souhaiterez un prompt rétablissement de notre part, dit Logan.
– Je n'y manquerai pas. Alors, qu'est-ce que vous prenez ? demanda Chuck en sortant son calepin.
Quelques instants plus tard, une serveuse déguisée en pin-up vint leur servir un cocktail.
– À quoi buvons-nous ? demanda Morris d'un air satisfait.
– Je propose qu'on lève nos verres à ta prochaine conquête. Il n'est pas bon de vivre seul ! se moqua Heldfield.
Du coin de l'œil, il étudia la réaction de Logan. Il ne fut pas déçu. Le shérif leva son verre mais n'avait pas souri à la remarque. Il y avait de l'eau dans le gaz entre lui et Hurley. Dommage, il aimait bien cette fille. Mais bon, River Falls ne manquait pas de beautés. « Un shérif est une proie de premier choix », se dit-il en observant quatre jeunes femmes en train de jouer au bowling de l'autre côté de la baie vitrée.
Un portable sonna. C'était celui de Logan. Il ne put cacher son sourire quand il vit le nom de Hurley s'afficher.
– Excusez-moi, je reviens.
Un peu à l'écart, il décrocha.
– Jessica ?
– Bonsoir, Mike, je suis sincèrement désolée.
Le son de sa voix était la chose la plus merveilleuse qu'il eût jamais entendue.
– Laisse tomber, c'est à moi de m'excuser. Mais tu sais comme je suis, « un gros ours impulsif »…
Il avait quitté la salle du restaurant et se tenait dans le couloir.
– Non, ne dis pas ça. C'est moi qui suis la seule fautive. J'aurais dû t'appeler, mais je ne sais pas ce qu'il m'a pris. J'ai vraiment pété les plombs. Je crois que je devrais aller consulter un psy.
Même si elle ne pouvait le voir, Logan approuva de la tête. C'était peut-être ce qu'elle avait de mieux à faire. Il avait toujours pensé que Hurley encaissait trop facilement les horreurs qu'ils voyaient dans leur travail. Par son impulsivité, Logan évacuait régulièrement ses montées d'angoisse, alors que Hurley ne montrait que très exceptionnellement des signes de lassitude. Il fallait bien qu'un jour elle craque.
– Bien sûr, tu ne dois pas garder ça pour toi, lui dit-il.
Hurley avait déjà suivi une longue thérapie pour être profileuse, comme le font les psychanalystes ou les psychiatres. Il n'y avait rien de mal à s'adresser à un spécialiste. Au contraire, il trouvait cela très sain, même si pour sa part il ne se sentait pas capable de se livrer à un inconnu.
– Je suppose que tu t'es fait un sang d'encre. Crois bien que je regrette, mais je n'étais pas en état de te parler. Il fallait que je reste seule.
– Je te l'ai dit. Il n'y a pas de problème. On en a vu d'autres. Repose-toi, dors et essaye de prendre du recul. Tout va bien.
– Je t'aime, Mike.
– Je t'aime, Jessica. À samedi.
– À samedi, répondit-elle avant de lui envoyer un baiser sonore.
Il sourit et raccrocha. Nom de Dieu, qu'est-ce que ça faisait du bien. Il l'avait vraiment dans la peau. Jamais il ne pourrait vivre sans elle.
Il retourna auprès de ses lieutenants. Heldfield nota tout de suite son changement de comportement. Les affaires avaient l'air de reprendre. C'était une bonne nouvelle. Il n'aurait pas aimé voir le shérif plongé dans les affres d'une séparation.
– Nous en étions où ? lança Logan, d'attaque pour le bowling.



Dans la nuit de Seattle, les eaux de Green Lake étaient d'un noir opaque. Debout dans le salon de son appartement, son portable à la main, Hurley observait d'un œil absent les amoureux se promener sur les berges du lac.
Elle se revoyait sans cesse dans les bras de Warren.
Elle s'était donnée sans aucune retenue à cet homme qu'elle connaissait à peine. Il aurait été facile de décharger sa culpabilité sur lui ou sur l'alcool. Mais c'était d'elle-même, sans aucune contrainte, qu'elle s'était rendue à son hôtel ; elle n'était même pas ivre quand elle s'était laissé déshabiller.
Elle se sentait complètement perdue. Elle avait la nausée. Pourquoi avait-elle agi ainsi ? La question tournait en boucle dans sa tête. Simple vengeance pour l'avoir abandonnée cinq années auparavant ? Non, elle n'était pas comme ça. N'était-elle plus amoureuse de Logan ? Warren correspondait-il mieux à son type d'homme ?
Elle était incapable de répondre à ces deux questions.
Elle qui avait toujours eu des idées très arrêtées sur la fidélité dans le couple, voilà qu'elle avait commis la pire des trahisons.
Dans la salle de bains, elle fit couler l'eau et se déshabilla. Devant le grand miroir mural, elle eut envie de s'arracher la peau, de changer de corps, de muer pour redevenir le papillon qu'elle avait toujours cru être.
Sans attendre que l'eau fût à la bonne hauteur, elle entra dans la baignoire. Immédiatement, la chaleur qui enveloppa son corps l'apaisa. Elle ferma les yeux et tenta de se calmer.
Il fallait qu'elle oublie ce qu'elle avait fait, comme si rien ne s'était passé.
Logan n'était pas obligé de savoir.
Un noël à River Falls
9782702149638_tp.html
9782702149638_toc.html
9782702149638_cop.html
9782702149638_fm01.html
9782702149638_fm02.html
9782702149638_fm03.html
9782702149638_fm04.html
9782702149638_p01.html
9782702149638_ch01.html
9782702149638_ch02.html
9782702149638_ch03.html
9782702149638_ch04.html
9782702149638_ch05.html
9782702149638_ch06.html
9782702149638_ch07.html
9782702149638_ch08.html
9782702149638_ch09.html
9782702149638_ch10.html
9782702149638_p02.html
9782702149638_ch11.html
9782702149638_p03.html
9782702149638_ch12.html
9782702149638_ch13.html
9782702149638_ch14.html
9782702149638_ch15.html
9782702149638_ch16.html
9782702149638_ch17.html
9782702149638_ch18.html
9782702149638_ch19.html
9782702149638_ch20.html
9782702149638_p04.html
9782702149638_ch21.html
9782702149638_p05.html
9782702149638_ch22.html
9782702149638_ch23.html
9782702149638_ch24.html
9782702149638_ch25.html
9782702149638_ch26.html
9782702149638_ch27.html
9782702149638_ch28.html
9782702149638_ch29.html
9782702149638_ch30.html
9782702149638_p06.html
9782702149638_ch31.html
9782702149638_p07.html
9782702149638_ch32.html
9782702149638_ch33.html
9782702149638_ch34.html
9782702149638_ch35.html
9782702149638_ch36.html
9782702149638_ch37.html
9782702149638_p08.html
9782702149638_ch38.html
9782702149638_p09.html
9782702149638_ch39.html
9782702149638_ch40.html
9782702149638_ch41.html
9782702149638_ch42.html
9782702149638_ch43.html
9782702149638_p10.html
9782702149638_ch44.html
9782702149638_p11.html
9782702149638_ch45.html
9782702149638_ch46.html
9782702149638_ch47.html
9782702149638_ch48.html
9782702149638_p12.html
9782702149638_ch49.html
9782702149638_p13.html
9782702149638_ch50.html
9782702149638_ch51.html
9782702149638_ch52.html
9782702149638_ch53.html
9782702149638_ch54.html
9782702149638_p14.html
9782702149638_ch55.html
9782702149638_p15.html
9782702149638_ch56.html
9782702149638_p16.html
9782702149638_ch57.html
9782702149638_p17.html
9782702149638_ch58.html
9782702149638_ap01.html