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Le radio-réveil s'alluma et on entendit retentir
la voix d'Alicia Keys. Gerald sortit la tête du lit. Il se sentait
en pleine forme. Il serait bien resté encore quelques heures de
plus sous la couette.
– Bien dormi ? demanda Katie en se lovant
contre lui.
– Ouais, fit-il en tendant la main vers la lampe
de chevet.
Il alluma la lumière et remercia les dieux
d'internet de lui avoir permis de trouver une fille comme Katie
Spinner. Trente et un ans, brune aux longs cheveux ondulés. Un
visage ressemblant à celui de Lindsay Lohan, si ce n'est que Katie
avait quelques kilos de plus que la starlette anorexique.
Gerald passa une main gourmande sur ses rondeurs
appétissantes.
– Tu es magnifique, fit-il en la regardant comme
la huitième merveille du monde.
Katie lui fit son petit sourire coquin et le
laissa faire. Elle savait bien que malgré ses quelques kilos en
trop, beaucoup de garçons la préféraient aux pom-pom girls et
autres bimbos décolorées qui sévissaient à l'université de River
Falls.
Ce n'était pas tout d'avoir le corps d'un
top-modèle, encore fallait-il avoir du charme et du caractère.
Katie était certaine de ne manquer d'aucun des deux.
– Tu n'es pas mal non plus, apprécia-t-elle.
Sportif du dimanche, Gerald était loin d'avoir la
stature d'un footballeur, mais au final, il se trouvait plutôt pas
mal. Une fois habillé. « La classe, on l'a ou on l'a
pas », aimait-il à se répéter en se regardant dans le miroir.
De toute façon, il savait bien que pour Katie, cela n'avait pas
tellement d'importance. Même si elle sélectionnait ses clients, le
principal était les deux cents dollars qu'elle touchait pour passer
la nuit avec lui.
Il lui fit un sourire et se leva. Il passa à la
douche et, comme chaque fois, se demanda à quoi il jouait. Il avait
déjà eu quelques conquêtes, mais soit elles étaient très laides,
soit très pénibles. « Ou bien les deux ! » se dit-il
en se souvenant de sa première petite amie.
Un quart d'heure plus tard, il retrouva Katie dans
la cuisine. Elle avait enfilé une simple chemise qui laissait voir
l'essentiel.
– On se revoit bientôt, susurra-t-elle en venant
se coller à lui.
– Bien sûr, je t'appelle.
Elle lui déposa un petit baiser sur les lèvres et
lui caressa la joue.
– Allez, fonce, tu vas être en retard.
Plutôt que de prendre l'ascenseur, Gerald
descendit les six étages à pied.
Un jour, il allait devoir se trouver une fille de
son âge. Sa relation avec Katie ne pouvait pas durer. Deux cents
dollars, ce n'était pas rien, et à aucun moment il n'avait ressenti
le grand frisson. Il ne doutait pas que les gémissements de Katie
étaient factices et qu'il ne serait jamais question d'amour avec
elle.
Il était tout juste 9 h 30. Il grimpa
dans son pick-up garé devant l'immeuble de standing, mit le contact
et alluma la radio. Le jingle du flash d'informations. Gerald
allait zapper quand la journaliste annonça que la police avait
communiqué de nouveaux éléments dans l'affaire Lewis Stark qui
innocentaient Paul Brown.
« Ça lui fait une belle jambe », se dit
Gerald, mal à l'aise en pensant à Brown.
À l'instar de ses amis, il n'avait pas eu, ne
serait-ce qu'une seule seconde, la moindre compassion envers lui.
Et pourtant, l'homme était innocent.
– … quant à Harry Miller, célèbre avocat,
défenseur des minorités, qui a mis fin aux jours de Paul Brown dans
sa cellule, la suspicion de complicité est définitivement écartée,
au grand soulagement de son avocat, qui voyait dans cette
accusation la plus grande erreur judiciaire de ce début de
millénaire. Il reste néanmoins emprisonné pour le meurtre de Brown,
que son avocat qualifie dorénavant de malheureux accident.
Gerald écouta le reste de l'intervention de la
journaliste, puis éteignit la radio et roula l'esprit perturbé par
cette nouvelle. Si ce n'était ni Paul Brown ni Harry Miller, cela
voulait dire que le tueur était toujours en liberté. Cela
n'augurait rien de bon. La police n'avait indiqué aucune nouvelle
piste, mais précisait qu'il n'y avait pas lieu de craindre de
nouveaux meurtres.
Comment pouvaient-ils en être si sûrs ?
« À moins qu'ils n'en sachent plus qu'ils ne voulaient
bien le dire. » Il en était arrivé aux mêmes conclusions que
la journaliste. En tout cas, une fois de plus la mère de Kevin
avait vu juste. Miller était allé trouver Brown pour le tuer et non
pour le faire taire. « Si seulement j'avais le quart de ses
facultés d'analyse ! »
L'image d'un des humains de Wall-E s'imposa à lui. Un tas de graisse amorphe,
un sourire de bienheureux constamment posé sur les lèvres.
« Peut-être était-ce vraiment là notre futur »,
songea-t-il en souriant de l'enchaînement de ses pensées.
La circulation était plutôt fluide. Il arriva très
vite en bordure de ville, puis à l'université. Le cours de
mathématiques appliquées débutait à 10 heures. Cette fois, il
ne serait pas en retard. Il fit une grimace en repensant à la
bigote qui lui avait fait rater le cours de Mandel, avant de
l'envoyer bouler quand il avait voulu l'aider. Soudain une pensée
lui traversa l'esprit : si ni Brown ni Miller n'étaient
coupables, peut-être était-ce tout simplement Nathaniel
Morrison ? Il finit son créneau et retira machinalement la clé
de contact, en suivant le fil de ses pensées. Après les événements
des deux dernières années, tout le monde était prêt à croire qu'un
nouveau prédateur sexuel rôdait dans la région. Rien de tel pour
être cru que de donner aux gens ce qu'ils avaient envie
d'entendre.
Nathaniel n'avait pas échappé à la mort, mais
l'avait provoquée ! comprit-il au terme de sa réflexion, alors
qu'il remontait l'allée menant aux bâtiments réservés aux cours. Il
n'en revenait pas d'avoir trouvé la solution tout seul – la
journaliste de la radio ne l'avait même pas évoquée comme hypothèse
plausible. Il avait dû oublier un truc. Impossible que la police
n'y ait pas pensé. Le shérif était tout sauf un abruti.
À moins que ce ne soit une astuce pour piéger Nathaniel. Le
laisser penser qu'on croyait à son innocence pour qu'il relâche son
attention et commette une erreur qui prouverait sa
culpabilité.
Plongé dans ses réflexions, Gerald continua à
marcher, passant sous les arbres centenaires sans prêter la moindre
attention aux autres étudiants. Oui, c'était tout à fait possible.
D'autant plus que dans cette version des faits, les pleurs de la
bigote prenaient une tout autre signification. Ils pouvaient être
effectivement liés à la mort de Lewis Stark.
Quand il l'avait trouvée en larmes, dans les
toilettes, c'était bien avant l'annonce de la mort du jeune lycéen.
Il aurait dû écouter Luke et appeler la police pour dire ce qu'il
avait vu. Il s'arrêta net et saisit son portable. Dix secondes sur
Google, le temps de trouver le numéro du commissariat, mais quand
il n'eut plus qu'à appuyer sur la touche d'appel, son instinct le
fit hésiter. Quelque chose clochait dans son raisonnement, mais il
était incapable de mettre le doigt dessus. Pourtant, tout semblait
logique. La bigote devait savoir des choses, à défaut d'être
complice. Peut-être sortait-elle avec Lewis. Nathaniel, ne
supportant pas que sa sœur ou sa cousine sorte avec un mec normal,
aurait tué le jeune homme ?
Fort de cette déduction, il se décida à appuyer
sur la touche. Durant les quelques secondes d'attente, l'image de
la mère de Kevin s'imposa à lui. Sa phrase fétiche retentit dans sa
tête : « Vous êtes tous tellement emplis de préjugés que
ça en devient épuisant de vous apprendre à penser par
vous-mêmes. »
– Sergent Cobb, commissariat de River Falls, que
puis-je pour vous ?
Gerald formula un « heuu » peu assuré,
et raccrocha aussitôt.
Et si tout comme Brown, la fille était
innocente ? Et si en la dénonçant, il la condamnait à une mort
certaine, tout comme Brown ?
« Merde, je suis vraiment qu'un gros
nul. »
Il était loin d'être encore un homme, même s'il
essayait de s'en donner les manières. Incapable de se décider, il
poussa un gros soupir. À qui en parler ? À ses
parents ? Ils n'avaient pas de mots assez durs contre la secte
des Enfants de Marie depuis que ces derniers avaient racheté le
manoir où avait sévi Jack Mitchell, l'un des pires serial killers
de toute l'histoire des États-Unis. Il se promit alors d'en toucher
deux mots à la mère de Kevin, en espérant qu'elle ne se moquerait
pas de lui.