12
Logan se réveilla en sueur. Il avait encore fait
un cauchemar. Toujours le même. Il s'efforça de ne plus y penser et
jeta un œil au réveil. 6 h 48. Dix minutes avant la
sonnerie. Il se retourna vers Hurley et se colla contre elle. Elle
dormait encore. Un sommeil nécessaire après leur folle nuit
d'amour.
Logan avait toujours pensé que le désir
s'effriterait avec le temps, et pourtant, jamais il n'avait été
aussi amoureux de Hurley. Il n'osait imaginer ce qu'il deviendrait
si elle venait à disparaître. Il repensa à Ray Snider, ce serial
killer qu'il avait arrêté cinq années auparavant et qui l'avait
menacé de faire tuer Hurley s'il ne mettait pas un terme à leur
relation amoureuse. Âgé de quarante ans, l'homme avait travaillé
comme greffier au tribunal de Seattle. C'est là qu'il était
secrètement tombé fou amoureux de Hurley. Généralement, il ne s'en
prenait qu'à des jeunes filles venues témoigner à la suite d'une
agression sexuelle. Il les espionnait durant des jours. Quand il
connaissait tout de leurs habitudes, il s'arrangeait pour que ses
victimes lui ouvrent leur porte sans méfiance. Une fois dans la
place, il les obligeait à écrire une lettre d'adieu sous la menace
d'une arme, puis les « suicidait » de façon plus ou moins
originale.
Douze femmes assassinées en neuf ans. Personne
pour s'en rendre compte. Hurley aurait dû être la treizième
victime. Mais les choses ne s'étaient pas passées comme Snider
l'avait prévu. Logan était intervenu à temps. Cependant, dans une
tentative désespérée, Snider avait tenté de tuer Hurley d'un coup
de couteau porté sous le sein droit, qui par chance n'avait pas été
aussi puissant que l'avait voulu Snider. L'intervention rapide des
urgences avait permis d'éviter le pire, et Hurley s'en était tirée
avec une cicatrice indélébile sous la poitrine. À cette
pensée, Logan sentit la colère monter en lui et comme mue par un
réflexe, sa main alla se poser sur la terrible cicatrice. Même si
des chirurgiens lui avaient assuré qu'une nouvelle opération
pourrait l'atténuer, Hurley n'avait pas donné suite. Ce n'était pas
en effaçant ses blessures qu'on les gommait de son esprit.
Et tout devrait rentrer dans l'ordre fin janvier.
Lorsque Snider serait exécuté.
Logan serait là pour le regarder mourir. Parce que
tel était le souhait des familles des victimes, qui avaient vu en
Logan un héros des temps modernes, mais aussi parce qu'il espérait
qu'après l'avoir vu mourir, il cesserait de faire des
cauchemars.
Hurley se retourna lentement vers lui et, de la
main, chercha son visage.
– Tu es réveillé ? murmura-t-elle d'une voix
douce.
– Oui.
Il approcha ses lèvres pour lui donner un tendre
baiser.
Trois quarts d'heure plus tard, ils sortaient de
la villa, accueillis par un vent glacial. Les réverbères étaient
encore allumés. L'aube n'avait pas éclairci l'horizon.
Ils se dépêchèrent de monter dans la Cherokee.
Logan mit aussitôt le contact, puis le chauffage à fond.
– Je me demande pourquoi les hommes ont fondé des
villes dans le Nord, dit-il en se frottant les mains.
– Ils sont venus pour bâtir des maisons et des
bateaux avec les arbres, pour les mines de fer, de cuivre…, énuméra
Hurley avec un petit sourire en coin.
Depuis que, au cours d'un repas, Freeman les
avaient surnommés les Booth et Brennam de River Falls, elle aimait
bien, de temps en temps, jouer ce rôle de femme incapable de
concevoir la vie sous un autre angle que celui de la
rationalité.
– Et tu te crois drôle ! ironisa Logan, qui
passa la première.
La Cherokee s'engagea sur la route et partit en
direction du centre de River Falls.
– Ouais, répliqua Hurley, qui savait que Logan
n'avait pas du tout apprécié la comparaison avec Booth.
Ils sortirent du quartier résidentiel. Le silence
s'installa dans l'habitacle. Logan savait que la matinée allait
être rude. Il espérait seulement que cette fois, Nathaniel leur
dirait toute la vérité sur les événements survenus dans la
cabane.
Ils arrivèrent vingt minutes plus tard sur
l'avenue Washington et tournèrent à droite pour arriver devant le
commissariat, où ils se garèrent. Logan regarda l'heure.
8 h 03. L'aube commençait tout juste à poindre. Peu de
voitures sur le parking du personnel. La plupart des agents
prenaient leur service à 9 heures.
Logan ouvrit la porte, laissant courtoisement
passer Hurley, qu'il dépassa pour s'arrêter à la réception.
– Vos amis du FBI sont déjà arrivés. Ils vous
attendent dans la salle de réunion, fit l'agent Tremp après les
salutations d'usage.
La veille, plutôt que de discuter au téléphone,
Logan leur avait envoyé un SMS les conviant à 8 heures au
commissariat pour une mise au point.
– Merci, Peter. Au fait, tu m'appelles dès que
l'avocat de Miller arrive.
– Vous pouvez compter sur moi.
Dans l'open space, les agents de nuit se
préparaient à partir. Ils prenaient le café en bavardant
tranquillement avec les premiers arrivés de la journée.
– Shérif, vous êtes sûr pour Miller ? lui
demanda la sergente Martinez.
Logan se souviendrait toute sa vie de la tête de
la jeune femme quand elle avait découvert les corps d'Amy et de
Lucy sur la grève du lac. Elle avait pris une sacrée assurance en
l'espace de quelques mois.
– Pourquoi ? fit-il en se rapprochant des
agents négligemment appuyés sur le bord des bureaux, leur café à la
main.
– Je ne sais pas, mais j'apprécie beaucoup cet
homme. J'ai du mal à croire qu'il pourrait être complice d'une
ordure pareille.
Si Logan admettait que la cause des homosexuels
était défendable, à ses yeux, Harry Miller était juste un gros
con.
– Il y a du nouveau dans l'affaire, mais je ne
peux pas vous en dire plus pour le moment, se résolut-il à
lâcher.
Les regards se firent curieux. Même Martinez n'osa
demander plus d'explications, mais elle ne put s'empêcher
d'ajouter :
– Vous verrez. Je suis certaine qu'il a seulement
voulu tuer un pédophile récidiviste.
Logan ne répondit pas et repartit en direction de
la salle de réunion.
– En tout cas, Miller ne pourra pas dire que tu
n'embauches que des homophobes, dit Hurley quand ils se furent
éloignés.
– Très drôle.
Dans la salle de réunion, les deux agents du FBI
parurent stupéfaits de voir Hurley derrière Logan.
– Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna
Blake.
– À ton avis ! répliqua Freeman avec un
zeste d'ironie.
Hurley s'avança et, s'asseyant sur le bord du
bureau, répliqua d'un ton badin :
– Je me suis dit qu'il manquait de femmes.
– Bon, ce n'est vraiment pas le problème,
intervint Logan. Je crois qu'il y a plus urgent à voir, n'est-ce
pas ?
Le ton était péremptoire. S'il y avait bien une
chose qu'il détestait, c'était qu'on parle de sa vie privée durant
le travail. Amis ou pas.
– OK, ne le prends pas comme ça, répliqua Freeman,
qui n'avait pas vraiment apprécié la façon dont les choses
s'étaient passées la veille.
Il restait persuadé que c'était à cause de la
conviction inébranlable de Logan que Nathaniel disait vrai qu'il
l'avait suivi sur cette voie. Et sans le vouloir, il en était
arrivé à pousser Nathaniel à désigner Paul Brown. Un cadavre à la
morgue, à présent.
– Vous avez les résultats des analyses
génétiques ?
Blake se racla la gorge et ouvrit son ordinateur
portable. Des diagrammes et des schémas totalement
incompréhensibles pour le commun des mortels s'affichèrent.
– Aucun de nos prélèvements effectués à la cabane
ne correspond à Brown. Comme tu as pu le constater lors de son
interpellation à son appartement, Brown fumait comme un pompier.
Or, on ne retrouve aucune trace de mégots récents sur les
lieux.
– Brown n'était pas sur les lieux du crime,
conclut Freeman en levant les mains au ciel en signe de constat
désolé.
Logan pinça les lèvres. S'il lui était resté le
moindre doute, voilà qui le levait définitivement. Il fit quelques
pas dans la salle de réunion en se passant la main sur ses joues
fraîchement rasées.
– OK, j'ai vraiment merdé, admit-il très
sincèrement. Je suppose que les analyses génétiques donneront le
même résultat avec Miller.
– Je le crains, répondit Blake. Si ce n'est que je
ne comprends pas pourquoi il ne veut pas donner son alibi pour la
soirée de dimanche.
Hurley et Logan en avaient discuté la veille au
soir, et étaient tombés d'accord sur une théorie.
– Il doit estimer qu'il n'a pas à prouver son
innocence, que c'est à nous de prouver sa culpabilité, exposa
Hurley. Miller a un sacré caractère et n'entend pas nous faciliter
la tâche, même si cela peut le faire paraître suspect.
– Possible, en tout cas, tant que le juge ne nous
aura pas délivré de mandat, on ne pourra pas aller fouiller chez
lui.
Après le meurtre de Brown, Logan avait demandé ce
mandat. Aussitôt, Miller avait hurlé au harcèlement homophobe de la
part de la police locale. Dans ces conditions, le juge avait
préféré se laisser le temps d'y voir plus clair. Logan suspectait
l'avocat de Miller, James Archer, un ténor du barreau, de ne pas
être étranger à cet atermoiement.
– Je vais aller interroger Miller, et j'ai bien
l'intention de découvrir s'il est coupable, d'une manière ou d'une
autre, du meurtre de Lewis Stark, dit Hurley en se
redressant.
Blake et Freeman froncèrent les sourcils.
– Tu sais que c'est un avocat très procédurier. Je
ne suis pas sûr que tu aies le droit de l'interroger, avança
Blake.
– Je sais, mais je pense que ça vaut le coup de
prendre le risque. Tu es toujours d'accord ? conclut-elle en
se tournant vers Logan.
– Oui.
S'il y avait une personne qui méritait sa
confiance, c'était bien Hurley. Et si elle était certaine que son
implication dans l'affaire pouvait l'aider, eh bien, cela valait la
peine d'essayer.
– On t'aura prévenue, dit Freeman, pas convaincu
du tout.
– Je veux juste lui parler de façon informelle.
Rien de plus.
– Ce que femme veut…, fit Blake, tout aussi
dubitatif quant aux résultats de la démarche.
Quelques instants plus tard, Hurley, un café dans
chaque main et accompagnée de Logan, se retrouvait à la porte des
cellules.
– Tu es certaine qu'il va vouloir te
parler ?
– Oui, mais il faut que tu me laisses seule avec
lui.
La dernière fois qu'il avait laissé faire ça, un
homme était mort d'une balle dans la tête.
– OK, mais je vais devoir te faire une fouille au
corps pour m'assurer que tu n'as pas d'arme cachée sur toi.
Hurley soupira d'un air navré.
– Allez, ouvre-moi, espèce d'idiot.
Un brouhaha diffus leur parvenait de l'autre bout
du commissariat. La relève de jour prenait lentement sa place, avec
une bonne humeur matinale caractéristique des jours de
décembre.
Logan espérait sincèrement que Hurley arriverait à
calmer Miller, s'il était réellement innocent du meurtre de Lewis
Stark.
Hurley entra dans la salle sur laquelle donnaient
quatre cellules à barreaux. Miller, torse nu, était en train de
faire des pompes au sol. Elle s'approcha, certaine que l'homme
l'avait entendue arriver. Il continua sa série jusqu'à la
fin.
– Jessica Hurley ? l'apostropha-t-il d'un ton
étonné alors qu'il se relevait.
Son torse était épilé, mettant en évidence des
pectoraux et des abdominaux parfaitement dessinés.
– En personne. Si je vous ouvre, vous me promettez
de ne pas me sauter dessus ? fit-elle en lui tendant un café à
travers les barreaux.
Miller le saisit puis recula de quelques
pas.
– Vous n'avez rien à faire ici. Ce n'est pas très
légal.
Mais le ton n'y était pas.
– Je crains que votre altercation en septembre
avec le shérif Logan n'ait en partie faussé son jugement sur votre
personne.
– Vous savez que je suis innocent du meurtre de
Lewis Stark.
– Vous n'avez pas répondu à ma question. Puis-je
entrer sans risque ?
Miller sourit à pleines dents.
– Qui pourrait vous refuser quelque chose ?
dit-il avant d'ajouter : Je vous le promets.
Hurley mit la clé dans la serrure et, pendant
qu'elle l'ouvrait, Miller remit son maillot de corps et attrapa sa
chemise.
– Je suis là à titre officieux, pour faire en
sorte que tout se passe au mieux pour tout le monde.
– Je n'ai rien à craindre de Logan. Je suis
innocent. Mon avocat aura vite fait de le prouver et de montrer
avec quel acharnement la police de River Falls traite les
homosexuels, répondit Miller en reboutonnant sa chemise.
Hurley vint s'asseoir sur le banc et but une
gorgée de son café.
– Écoutez, nous en avons déjà discuté la dernière
fois. Mike Logan n'est pas homophobe. Je suis persuadée que vous le
savez comme moi, au fond de vous.
Miller se souvenait très bien de la compagne du
shérif. C'était elle qui, dès le lendemain de l'altercation avec
son homme, l'avait appelé pour un déjeuner en ville. Ils avaient
mangé dans un très bon restaurant italien. L'avocat avait découvert
en Hurley une femme adorable, intelligente, attentive et ouverte.
Tout l'inverse de ce qu'il pensait du shérif.
– Un homophobe contrarié, je dirais, fit Miller en
venant s'asseoir à côté de la profileuse. Mais cette fois-ci, je
compte bien le démontrer !
Hurley fit une moue de contrariété.
– Le truc, c'est qu'il y a une faille dans votre
raisonnement.
Miller posa les lèvres sur sa tasse en plastique
et prit un air dégoûté, avant d'en avaler une petite gorgée.
– Infâme, fit-il, la mine renfrognée. Si vous
voulez m'empoisonner, je crois que c'est réussi.
– Vous ne m'avez pas écoutée. Vous pensez vous
défendre en arguant que ce meurtre était le meilleur remède contre
les pédophiles, qui plus est meurtriers.
– Quelque chose dans le genre, fit Miller, sûr de
lui.
– Alors j'ai le regret de vous apprendre que Brown
n'a ni violé ni tué Lewis Stark.
L'assurance tranquille de Miller s'effrita un
instant, avant qu'il ne reprenne sa posture naturelle.
– Vous ne m'aurez pas comme cela. Je connais bien
le cas de Paul Brown. J'étais à Seattle quand le procès a eu lieu.
Il a tripoté des fillettes de même pas huit ans. Je peux vous
assurer que ce type était capable du pire.
Si cela n'avait pas été aussi tragique, Hurley
aurait presque trouvé amusant l'aveuglement de ceux qui voulaient
que la réalité coïncide avec leurs souhaits.
– Vous venez de le dire : Brown n'est pas
homosexuel. C'est un pédophile. Alors dites-moi pourquoi il aurait
kidnappé deux garçons.
L'idée avait bien sûr traversé l'esprit de Miller.
Mais comme les médias assuraient que c'était Brown le responsable…
Et surtout, même s'il pensait que Logan était un homophobe
invétéré, il lui reconnaissait une compétence solide en matière
criminelle. Il l'avait démontré ces deux dernières années. Il
n'aurait pas arrêté Brown sans preuve. Ou peut-être que
si ?
– Il n'y a pas plus aveugle que celui que ne veut
pas voir, avoua-t-il, reconnaissant enfin qu'il s'était laissé
emporter par sa haine envers les pédophiles.
– Je ne saurais pas mieux le formuler.
Les conséquences de cette révélation firent leur
chemin dans l'esprit de l'avocat. Sa défense allait prendre un
sérieux coup dans l'aile. Ce n'était pas qu'il doutât d'être
innocenté par un jury populaire. Non, ce qu'il craignait, c'était
que sa crédibilité en pâtisse au sein de son organisation.
D'obédience largement démocrate, celle-ci estimait que l'on devait
donner à tout ancien condamné une chance de réhabilitation, s'il
s'en montrait digne.
– Maintenant vous allez me donner le nom de votre
alibi pour dimanche soir. Ça lèvera aussitôt tous les soupçons qui
pèsent sur vous.
Une vive réaction d'étonnement empourpra les joues
de l'avocat.
– C'est une plaisanterie ? Si Brown n'est pas
le tueur, pourquoi me poursuivre en tant que
complice ? !
– Parce que vous l'avez tué de sang-froid, et que
le shérif est en droit de penser que c'est peut-être l'inverse qui
s'est passé : à savoir que vous
avez tué Lewis Stark et que Brown était seulement votre complice
dans la préparation du kidnapping. Un homo qui viole des garçons,
ça, c'est crédible.
Une enclume lui serait tombée sur la tête qu'il
n'aurait pas été plus assommé. Il ne manquait plus que ça. Être
désigné comme l'ennemi public numéro 1 !
– Ce n'est pas possible. Vous n'avez pas le
droit.
Les choses allaient trop loin. Sans suspect
évident, le peuple réclamerait une tête, et si Brown était
totalement mis hors de cause, un homosexuel ferait le coupable
idéal !
– Le shérif Logan mène son enquête. Tant que vous
refuserez de donner le nom de votre alibi, vous serez le suspect
privilégié dans cette affaire.
Hurley était étonnée que Miller boive ainsi ses
paroles. Ne se rendait-il pas compte qu'il ne risquait pas
grand-chose si aucune preuve matérielle n'était trouvée contre
lui ?
– Je ne peux pas, j'ai fait une promesse.
Hurley aurait dû arrêter là. Mais comme mue par un
sentiment maternel envers son homme, elle voulut donner une leçon à
cet avocat, aussi sympathique fût-il.
– Et moi, je vous fais la promesse de n'en parler
à personne si je vous crois.
– À quoi ça servira ? fit Miller, peu
coopératif.
Il prit sa tasse et en but le jus qui avait tiédi,
sans même remarquer son goût insipide.
– Faites-moi confiance. Si j'affirme au shérif
Logan que vous êtes innocent, il fera un communiqué en ce sens,
dans l'heure qui suit.
Une éclaircie illumina l'horizon de ténèbres qui
avait empli le cerveau de Miller.
– Et pourquoi vous ferais-je
confiance ?
– Vous savez très bien que je n'ai pas le droit de
vous interroger sans la présence de votre avocat. Si je vous
trahis, vous aurez vite fait de salir ma réputation, et au FBI, on
n'aime pas trop les embrouilles.
C'était tellement vrai qu'elle se demanda soudain
pourquoi elle prenait tant de risques pour cet homme qu'elle ne
connaissait guère. Uniquement pour lui montrer qu'elle n'était pas
homophobe, et que par conséquent, Logan, non plus ?
– D'accord, mais si vous le répétez, je vous
promets que je commets mon deuxième meurtre en deux jours.
– Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais
en enfer.
Miller détailla la tenue de Hurley et son instinct
paranoïaque reprit le dessus.
– Vous voulez que je soulève mon pull pour
vérifier qu'il n'y a pas de micro, ou vous venez soudainement de
changer de bord ? plaisanta Hurley.
– Peut-être les deux, dit Miller en se détendant.
Approchez-vous.
Hurley s'exécuta et quand l'avocat lâcha le nom
dans le creux de son oreille, Hurley émit un petit rire.
– Vous vous moquez de moi ?
Mais vu la façon dont Miller la regardait, elle
fut certaine de sa bonne foi. Loin d'être moqueur, il semblait
extrêmement fébrile. « Il n'est jamais évident de lâcher son
plus gros secret », songea Hurley, compréhensive.
– Vous savez qu'avec ça vous pouvez faire la
révolution à River Falls !
Elle n'en revenait pas. C'était énorme. Comme
quoi, la nature humaine était sacrément hypocrite.
– Je sais, maintenant, vous comprenez pourquoi je
ne peux pas parler.
– Vous l'aimez tant que ça ?
– Non, mais j'ai toujours trouvé la situation très
excitante.
Hurley pouvait en convenir, même si ce n'était pas
du tout son genre.
– Dans ce cas, on va vous inculper pour le seul
meurtre de Paul Brown, reprit-elle.
C'est à ce moment-là qu'elle réalisa que durant
toute leur conversation, jamais il n'avait été fait cas de Paul
Brown, tué pour un crime qu'il n'avait pas commis.
– Vous n'éprouvez aucun remords pour ce que vous
avez fait ?
– Non, et en vérité c'était un accident.
Il lui raconta comment les choses s'étaient
passées. Elle était prête à le croire.
– Si vous aviez su qu'il n'avait pas tué Lewis
Stark, jamais vous n'auriez osé faire ça.
Ce n'était pas une question. Miller approuva de la
tête.
– Je sais que c'est mal de tuer un homme. Ne me
prenez pas pour ce que je ne suis pas, mais franchement, je
n'arrive pas à avoir de la peine pour ce type. Je suis persuadé
qu'il n'était pas guéri.
« Guérir, peut-être pas, mais on peut vivre
avec une maladie si on se soigne », se dit-elle. Mais pour le
coup, ce n'était apparemment pas le cas de Brown, dont l'ordinateur
avait révélé un nombre impressionnant de fichiers pédophiles. Le
plus étrange était qu'elle non plus n'arrivait pas à ressentir la
moindre pitié envers lui. Toucher à des enfants était l'un des
pires crimes des sociétés modernes. Peu nombreux étaient ceux
capables d'oublier leur émotion face à une telle horreur.
Hurley se leva, reprit le trousseau de clés et
sortit de la cellule, dont elle referma la porte derrière
elle.
Miller était resté assis. Il commençait à se
demander pourquoi il avait parlé, et s'il n'avait pas commis la
plus grosse erreur de sa vie, s'il excluait le meurtre de
Brown.
– Je n'en reviens toujours pas, fit Hurley.
« Pourvu qu'elle tienne sa promesse »,
se dit l'avocat.
Hurley secoua la tête et quitta la pièce en
tentant d'imaginer Miller en train d'embrasser le maire de River
Falls. Le citoyen modèle, le très vertueux mari, Clive
Nolden.