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Harry Miller finissait de déjeuner sous la coupole
du Twilight quand il fut dérangé par un bip de son iPhone. Il
grimaça un sourire confus à l'adresse de ses convives, et proféra
un voluptueux juron dans sa tête.
Les deux hommes qui lui faisaient face étaient en
train de lui expliquer qu'ils étaient victimes de harcèlement moral
au sein d'une des plus grandes sociétés de bâtiment de la région.
Miller avait toujours voulu se payer un de ces conglomérats,
repaire de rednecks et d'arriérés qui
puaient la bière et la haine.
– Excusez-moi, fit-il.
Il faillit en tomber de sa chaise quand il lut le
texto.
– Quelque chose ne va pas ? lui demanda l'un
de ses futurs clients.
– Oui, vous permettez que je m'absente ? Je
n'en ai pas pour longtemps.
Intrigués, les deux ouvriers, qui s'étaient mis
sur leur trente et un pour l'occasion, acquiescèrent, gênés.
Miller traversa la longue salle Art déco du plus
fameux restaurant de River Falls, et se posta dans un coin de
l'entrée pour téléphoner en toute tranquillité. Le maître d'hôtel
eut la discrétion de faire comme s'il n'existait pas et se perdit
dans l'inspection des papiers de la réception.
– Julia, tu es certaine de tes informations ?
s'exclama Miller quand il eut sa secrétaire au téléphone.
– Oui. Ils viennent de l'annoncer aux infos :
le type qui a tué les deux gamins serait un pédophile. Paul
Brown.
Miller serra les poings. Pourquoi ce tordu
était-il venu se réfugier dans sa ville ? Pourquoi ne
croupissait-il pas encore en prison ? Qui était le juge débile
qui avait libéré ce malade mental !
– Il y a eu un communiqué de la part du
shérif ? demanda Miller, qui faisait les cent pas dans le hall
de la réception.
Ses chaussures claquaient sur le parquet
ciré.
– Non, toujours pas. Mais la journaliste affirme,
témoignage de voisinage à l'appui, que c'est bien Paul Brown qui a
été arrêté vers 2 heures, par le shérif lui-même.
Pour que le shérif se déplace en personne, c'est
que l'affaire était liée à celle des meurtres de Lewis et de
l'autre garçon, annoncés sur le coup de midi. Il avait eu sa petite
idée sur le mobile, mais pas une seconde Miller n'aurait pensé à
une sordide affaire de pédophilie.
– OK. Merci de m'avoir prévenu, fit Miller, qui se
posta devant une large baie vitrée.
Bâti au sommet d'une des tours de downtown, le restaurant avait une vue imprenable
sur les montagnes au nord et sur Golden Hill à l'est.
– Je fonce là-bas. Je te rappelle.
S'il avait à cœur de défendre ces deux ouvriers,
il y avait des urgences qui exigeaient qu'il se montre à la hauteur
de sa réputation. Une idée germa en lui. Aussi folle soit-elle,
elle était la meilleure option pour tout le monde, il en était
convaincu. Il retourna dans la grande salle du restaurant et
s'excusa auprès de ses deux futurs clients.
– Des problèmes personnels. Je suis absolument
navré, mais je vous promets de vous rappeler en fin de journée.
Votre histoire m'intéresse. Vous pouvez compter sur moi.
Un des ouvriers sortit son portefeuille de la
poche de son pantalon. Miller apprécia le geste. Moins on est
fortuné, plus on est généreux.
– Vous plaisantez, c'est moi qui invite, et prenez
un café, je vous en prie.
Les deux ouvriers se consultèrent du regard, mal à
l'aise. Tout cela les dépassait. Jamais ils n'auraient osé porter
plainte, s'ils n'avaient pas retrouvé Grizzly pendu à une poutre de
l'auvent de leur pavillon. Heureusement, le vétérinaire leur avait
assuré qu'il n'avait pas souffert.
– Merci.
Miller leur fit un clin d'œil et quitta le jeune
couple homosexuel sans plus attendre.
Logan s'assit dans son fauteuil et se massa les
tempes. Un début de migraine. Cela faisait longtemps qu'il n'en
avait pas eu. Il espérait qu'elle ne prendrait pas des proportions
insupportables.
Il avait laissé Ascott et Morris en salle
d'interrogatoire avec Paul Brown. Il ne croyait pas qu'ils
parviendraient à le faire parler. De toute façon, cela importait
peu. Il ne doutait pas d'avoir bientôt plus de preuves matérielles
contre ce type qu'il n'en aurait besoin.
Il prit son téléphone et appela Blanchett qui
était restée à l'appartement de Brown.
– Votre ami du FBI est arrivé, dit-elle dès
qu'elle décrocha.
– Très bien. Vous avez trouvé des choses
intéressantes ?
Il avait envoyé Freeman et cinq agents en renfort
pour achever l'inspection des lieux.
– Rien de plus que ce que vous avez trouvé. Des
revues pornographiques et des DVD aux titres évocateurs.
– Avec des mineurs ?
Un léger blanc, puis une réponse gênée.
– Personne n'a osé regarder pour le moment.
Logan pouvait le comprendre, mais il fallait bien
que quelqu'un s'y colle. Plus il aurait de preuves montrant que
Brown continuait à s'exciter sur des enfants, moins le témoignage
de Nathaniel pourrait être remis en cause.
– Et vous attendez quoi, lieutenant ? fit-il
avec ironie.
Il imaginait le malaise de Blanchett à l'autre
bout du fil, mais c'était son devoir de la rappeler à
l'ordre.
– Bien sûr, on va vérifier, assura-t-elle d'une
voix troublée.
Logan crut entendre des rumeurs derrière
elle.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? reprit-il,
sentant qu'il n'allait pas aimer la réponse.
– Je vais voir.
Maîtrisant mal ses nerfs, Logan tapait du pied de
plus en plus vite.
« Si je tiens cette journée sans fumer, je
suis sauvé à jamais », se dit-il, comme une incantation
magique. Il entendait un brouhaha de voix, parmi lesquelles il
reconnaissait celles de ses agents, mais il ne parvenait pas à
déchiffrer ce qu'ils disaient.
– Allô ? fit-il.
– L'agent Freeman a réussi à pirater l'ordinateur
de Brown. Il a trouvé un fichier rempli d'images pédophiles,
répondit Blanchett d'une voix fébrile.
Logan ferma les yeux et poussa un long soupir.
Plus aucun doute possible, si tant est qu'il y en ait eu un.
– OK, vous pouvez laisser tomber pour le moment le
visionnage des DVD. Finissez l'inspection des lieux et on se voit
dès que vous rentrez.
Logan posa ses coudes sur son bureau et serra très
fort ses mains l'une contre l'autre. Il sentait la colère revenir
au galop. Si la règle d'or était de toujours séparer les émotions
des faits, dans cette affaire, Logan avait vraiment du mal à la
respecter. Deux malheureux garçons aux mains de ce taré. La peine
de mort était vraiment le minimum pour ce genre d'ordure.
Il vit à travers la porte vitrée le sergent Dover
venir vers lui. Logan se leva, sortit de son bureau et alla à sa
rencontre.
– Shérif, l'avocat de Brown est arrivé. Il demande
à lui parler.
– OK, je m'en charge.
Il remonta le couloir et trouva l'avocat dans
l'open space central. Dès qu'il reconnut l'homme, un sentiment de
dégoût le saisit.
– Harry Miller, fit-il en lui jetant son regard le
plus méprisant. C'est bizarre, mais je n'arrive pas à être
surpris.
– C'est bizarre, mais je n'en attendais pas moins
de vous.
Logan avait presque une tête de plus que lui, mais
il devait avouer que l'avocat avait une prestance qui le faisait
paraître plus grand.
– Suivez-moi, mais il faut que je vous prévienne
que nous venons de trouver chez lui un stock de photos à caractère
pédophile.
Il avait pris soin de parler haut et fort, afin
que tous les regards se braquent sur l'avocat.
– Écoutez, l'heure n'est pas encore au procès. Je
voudrais seulement m'entretenir avec mon client, répondit Miller
sans se démonter.
Logan, incapable de masquer son mépris, le mena
jusqu'à la salle d'interrogatoire. Le martèlement des chaussures de
Miller résonnait sur le sol.
Morris était devant la vitre sans tain. Ascott
était dans la salle en train de parler au prévenu.
– Vous pouvez entrer, dit Logan en désignant la
porte.
Miller eut un rictus.
– Je veux parler à mon client seul à seul et sans
contrôle. Je connais ses droits, shérif. À moins que vous ne
souhaitiez un non-lieu, je vous conseille de m'obéir.
Logan sentit une boule de haine se former dans son
ventre. Se faire donner des ordres par Miller ! Le pire était
qu'il avait raison.
– Il n'y a pas plus tranquille que nos cellules.
Au moins, vous serez assuré qu'on n'écoutera pas aux portes.
Miller regarda Brown à travers la vitre sans tain.
L'homme menotté avait l'air serein. Il écoutait Ascott avec
attention, sans montrer la moindre gêne.
– Vous pouvez m'indiquer où sont les
toilettes ?
– Morris, montre les commodités à l'avocat,
j'emmène notre « présumé innocent » en cellule, fit Logan
d'un ton sarcastique.
Il n'avait pas oublié leur altercation vieille de
trois mois, à un dîner de charité.
Homosexuel et ardent défenseur des minorités en
tout genre, Miller ne manquait pas de panache. Il avait osé traiter
Logan d'homophobe en public, sous le seul prétexte qu'il s'était
rallié à la position du maire, contre la tenue d'un référendum sur
le mariage gay. Logan n'avait jamais été un très bon orateur.
Encore moins sous le coup de la colère. Il n'avait pas su trouver
les mots pour s'expliquer. Sans l'intervention du maître de
cérémonie, Logan se demandait encore comment aurait fini la soirée.
Le seul fait de repenser à l'incident lui donnait envie de lui
mettre son poing dans la figure.
Il s'efforça de maîtriser ses émotions et entra
dans la salle d'interrogatoire.
– Laisse tomber, je le ramène en cellule. Son
avocat est là, fit-il à Ascott, à bout d'arguments.
Aussi docile qu'il puisse paraître, Brown n'avait
pas lâché un mot, insensible aux multiples tentatives du lieutenant
pour l'amadouer.
– Vous ne m'aurez pas, shérif, je suis innocent,
affirma Brown en se levant.
Toujours cet insupportable air moqueur.
– On a retrouvé un tas de fichiers pédophiles dans
ton ordinateur. Pas très malin. Rien que pour ça, tu risques le
paquet.
Brown cilla, mais se reprit aussitôt.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez. À moins
que vous ne les y ayez mis vous-mêmes pour me faire accuser.
Logan lui aurait bien expliqué que personne ne
croirait à une telle manipulation, mais il n'avait pas de temps à
perdre. Le procureur était un dur et saurait convaincre le jury,
preuves à l'appui, que cet homme méritait de mourir.
– Allez, ferme-la et contente-toi de me
suivre.
Il le raccompagna jusqu'aux cellules du
commissariat, et l'enferma dans celle du fond. Puis il attendit que
Morris revienne avec Miller pour s'éclipser.
Ils pouvaient se dire ce qu'ils voulaient. Rien
que le témoignage de Nathaniel et les fichiers informatiques
suffiraient à le proclamer coupable du meurtre de Lewis
Stark.
– Amusez-vous bien, fit-il en passant devant
l'avocat.
Miller saisit l'allusion et serra le poing. S'il
n'avait pas eu une mission bien plus importante, il lui aurait
volontiers envoyé une droite en pleine face.
– Vous n'imaginez pas à quel point, répondit-il
avec froideur.
Ascott conduisit maître Miller jusqu'à la cellule
de Brown. Celui-ci était assis sur un banc, le dos calé contre le
mur.
– Vous n'êtes pas maître Himes ? s'étonna le
prévenu.
– Il va arriver, ne vous en faites pas. Mais
sachez tout d'abord que tous vos frais seront pris en charge. Il
est hors de question qu'un homme qui a payé sa dette envers la
société soit accusé d'un double homicide qu'il n'a pas
commis.
Ascott se garda bien de lui dire que Nathaniel
était encore en vie. C'était au shérif de l'annoncer
publiquement.
– Vous n'avez pas d'armes sur vous ?
demanda-t-il.
Ascott aurait peut-être dû le fouiller, mais cela
le dégoûtait de poser ses mains sur cet avocat.
– Une kalachnikov dans mon caleçon, ironisa
Miller.
Brown émit un rire gras en croyant comprendre le
jeu de mots. Ascott ne releva pas et ouvrit la porte de la cellule.
Il s'approcha de Brown.
– Tendez vos mains.
Brown obéit docilement. Ascott en libéra une pour
attacher la menotte à l'un des barreaux du banc.
– Je reviens dans dix minutes, dit le lieutenant
en rangeant son trousseau de clés dans sa poche.
Il sortit de la cellule, puis emprunta le couloir
sur lequel donnaient les autres cellules et quitta les lieux en
fermant la lourde porte blindée derrière lui.
– Je connais votre visage. Vous travaillez avec
Himes ? demanda Brown, intrigué.
Il se savait innocent et commençait à se demander
si cet avocat ne pourrait pas lui faire gagner le pactole, en
arguant un acharnement judiciaire contre lui.
– Non, Himes ne m'a jamais appelé. Je me suis
présenté spontanément, dit Miller, qui savait que désormais son
temps était compté.
Himes allait arriver d'un moment à l'autre.
– Pourquoi m'aider, alors ?
– Je ne viens pas t'aider, fit Miller, qui en même
temps passa sa main dans son dos pour y attraper la crosse de son
pistolet. Je viens régler un problème.
Et il sortit l'arme qu'il pointa sur le front de
Brown.
– Un seul geste, un seul cri et tu es mort,
compris ?
Brown resta tétanisé, évitant de bouger son bras
libéré de toute entrave.
Miller sentait son cœur battre plus vite dans sa
poitrine sous l'effet de l'adrénaline. Quelle étonnante sensation
de toute-puissance ! Jamais il n'aurait imaginé que cela
puisse être aussi impressionnant.
– Qu'est-ce que tu es venu faire dans notre
ville ? Pourquoi n'es-tu pas resté à Seattle avec tous les
dégénérés de ton espèce ?
Ce ton froid, cassant. Brown le remit :
machin truc Miller, un des leaders des droits des homosexuels dans
l'État de Washington.
– Vous êtes gay. À quoi jouez-vous ?
s'étonna Brown.
L'homme était plus intrigué qu'apeuré. Himes
n'allait pas tarder. Jamais cet avocat n'aurait le cran de le tuer.
Il voulait seulement l'intimider, mais pourquoi ?
– C'est à cause de pervers comme toi que les
homosexuels sont pourchassés et montrés du doigt.
Combien de fois avait-il eu à subir les insultes
durant sa jeunesse ? Combien de fois avait-il pris des coups à
cause de sa différence ? Le jeune Miller avait très vite cessé
de les compter, et avait décidé de faire de sa vie un long
plaidoyer pour le respect de sa différence. Mais la pire des
attaques était ce sempiternel amalgame homosexualité-pédophilie.
C'était tellement méprisable qu'il en avait souvent pleuré de
rage.
Sa jeunesse envolée, son idéal était toujours
aussi prégnant, même si les moyens qu'il utilisait n'étaient pas
toujours des plus rigoureux. L'essentiel était de faire avancer la
cause. Le mariage gay était autorisé dans quelques États. Sa
représentation au cinéma avait dépassé le cadre de la comédie
foldingue. Bientôt, il n'en doutait pas, ils auraient le droit
d'adopter. Si ce n'est que chaque affaire de pédophilie touchant
des garçons renvoyait le débat sur le front de l'homosexualité. Une
confusion dont toutes les parties avaient conscience, mais qui
servait les intérêts politiques de ceux qui en usaient.
C'était le moment de l'utiliser à son tour.
– Je n'ai pas tué ces garçons, je n'ai touché que
des filles, je ne suis pas comme vous ! se défendit Brown, qui
ne comprenait pas bien les intentions de l'avocat.
Était-ce seulement une intimidation ou comptait-il
réellement le tuer sans pitié ?
Décidé à appuyer sur la détente, Miller ne croyait
pas un traître mot de cette pitoyable défense. Mais ses doigts
étaient comme paralysés. Incapables de la moindre pression.
« Tire, bon sang, tire ! »
hurla-t-il en lui-même.
Mais non. Il ne pouvait pas abattre froidement ce
type, aussi pourri soit-il.
La sueur coulait de son front. Ses yeux brûlaient.
Il devait le faire. Pour le bien de la cause.
« Tu ne peux pas le tuer ! »
Il entendit une voix qu'il aurait reconnue entre
mille. Celle de sa mère trop tôt disparue. C'est elle qui avait su
le protéger et le consoler durant toutes ces années de
souffrance.
– Je le dois, il le faut, marmonna-t-il à haute
voix.
Définitivement cinglé, comprit Brown. L'homme
allait le tuer et personne ne pourrait l'en empêcher.
Miller essaya une nouvelle fois de presser sur la
détente, mais toujours pas la moindre réaction de son index. Il
allait baisser l'arme quand Brown essaya de le désarmer de sa main
libre. Par un simple réflexe, ce que son cerveau l'avait empêché de
faire, ses muscles et ses tendons le firent d'eux-mêmes.
La détonation le surprit. Tout autant que la
quantité de sang qui jaillit contre le mur derrière Brown.
Miller regarda l'homme s'effondrer sur le côté.
Dans le même instant, la lourde porte menant aux cellules s'ouvrit
en grand. Ascott bondit dans le couloir pour découvrir une scène
sanglante.
– Lâchez votre arme. Je ne vous le dirai pas deux
fois, tonna-t-il en dégainant la sienne.
Miller, hypnotisé par le regard du mort, resta
sans réaction.
– Allez, ne faites pas de bêtises. Lâchez votre
arme ou je vous jure que je vais tirer.
« Laisse-toi faire, ne cherche pas la
bagarre. »
Encore la voix de sa mère. Miller reprit pied dans
la réalité et, sans un mot, baissa son bras et laissa tomber son
arme, qui toucha le sol avec un bruit mat.
Des pas précipités approchèrent. Logan et une
escouade de policiers investirent les lieux.
– Les mains en l'air ! intima Ascott, qui
n'avait pas quitté l'avocat des yeux.
– Que s'est-il passé ? demanda Logan.
Miller leva les deux mains en l'air et se retourna
lentement.
– J'ai fait ce qui aurait dû être fait, fit-il en
reprenant contenance.
Même s'il s'agissait d'un accident, il allait
plaider coupable pour meurtre. Il n'arrivait pas à croire qu'un
jury populaire l'enverrait en prison pour avoir éliminé un
pédophile doublé d'un meurtrier. Au contraire, il avait le grand
espoir de devenir un héros. Et de montrer aux yeux de tous qu'on
pouvait être homo et haïr les pédophiles.
Logan détesta le sourire de l'avocat. Il lui
aurait bien refait le portrait. Mais ce n'était vraiment pas le
moment.
– Harry Miller, vous êtes en état d'arrestation
pour le meurtre de votre complice. Vous avez le droit de demander
un avocat…
Logan continua à lui énoncer ses droits et sourit
à son tour. L'avocat prenait enfin conscience de ce qu'il allait
lui arriver.
– Mais je ne suis pas son complice ! hurla
Miller, prêt à suffoquer. Je suis innocent !
Aucun regard de compassion, ni de remerciement. Ne
comprenaient-ils donc pas ce qu'il venait de
faire ? !
– Menottez-le-moi et enfermez-le dans une autre
cellule. Sergent Lopez, appelez la morgue pour celui-là, reprit
Logan.
Le shérif s'en voulait de s'être fait avoir aussi
facilement, mais pour sa défense, jamais il n'aurait imaginé que
Miller pouvait être impliqué dans cet enlèvement. Les faits
venaient de prouver le contraire.
– Mais vous ne comprenez donc pas ? J'ai tué
cette ordure ! Je l'ai tué pour qu'il ne recommence
jamais ! s'égosillait Miller.
– Et surtout pour qu'il se taise à jamais,
répliqua Ascott.
Le lieutenant lui attrapa les bras sans ménagement
et lui menotta les poignets.
Jamais Miller ne s'était senti aussi déboussolé.
Même à la mort de sa mère, il avait trouvé matière à espérer,
sachant qu'elle serait toujours auprès de lui. Mais là !
Accusé de complicité de crime pédophile ! Ce n'était pas
possible. Si seulement il avait été hétéro, tout le monde l'aurait
félicité.
– Vous n'êtes qu'une bande d'homophobes. Je vous
jure que je ne me laisserai pas faire ! hurla-t-il.
Un violent coup de poing dans la poitrine lui
coupa le souffle et il tomba à genoux. Ascott se retourna vers
Logan en haussant les épaules.
– Désolé, c'est parti tout seul, s'excusa-t-il
sous le regard complaisant des autres policiers.
– Nous en discuterons plus tard. Allez, ce n'est
pas la foire ici. Que chacun retourne à son poste.
Les regards se baissèrent et tout le monde sortit,
à l'exception d'Ascott et du sergent Lopez, qui redressèrent Miller
sur ses jambes et l'obligèrent à sortir de la cellule pour
l'enfermer dans une autre.
– Vous me paierez ça, shérif. Je vous jure que
vous me paierez ça.
Logan garda son sang-froid. Que valaient ces
menaces alors qu'il vivait avec celles de Ray Snider au-dessus de
la tête ?
Il ne se passait pas une seule journée sans qu'il
ne se demande si le célèbre serial killer, qu'il avait arrêté cinq
ans auparavant, allait mettre sa menace à exécution et faire
assassiner Hurley. Chaque jour passé était un jour de gagné, se
disait-il en osant croire que ce n'était que du bluff.
Il reporta son regard sur le corps sans vie de
Brown, qui reposait dans une position inconfortable sur le banc. Il
n'éprouva aucune compassion. Il en aurait presque remercié Miller,
s'il ne lui avait pas paru évident que les deux hommes étaient
complices.
« Va falloir réinterroger le garçon »,
se dit-il, tout en sachant qu'il laisserait cette tâche délicate à
Blanchett et à Heldfield.
Pour sa part, il allait devoir préparer une
allocution télévisée et mettre un peu d'ordre dans sa version des
faits.