52
Habillé de son plus beau costume rehaussé d'un nœud papillon, Logan entra dans le restaurant. Le maître d'hôtel s'avança.
– Bonsoir, shérif, c'est un honneur de vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre, dit l'homme, un tantinet obséquieux.
Ils traversèrent un hall tout en longueur dont le luxe annonçait celui de la salle de restaurant. L'espace avait été agencé de telle sorte que malgré sa superficie, l'ensemble donnât une impression d'intimité feutrée. Les tables rondes, recouvertes de grandes nappes effleurant le sol, étaient garnies de couverts et de cristaux d'une sobriété de bon aloi, et l'agencement subtil des lumières mettait en valeur des toiles de maîtres que Logan estima être des originaux.
En ce vendredi soir, la salle était quasiment pleine. Au passage, Logan reconnut un certain nombre de personnalités de la ville, qui le saluèrent qui d'un clin d'œil, qui d'un hochement de tête. Depuis une sorte d'alcôve au fond de la salle, Hurley le regardait s'avancer.
– Je vous en prie, dit le maître d'hôtel en tirant la chaise pour permettre à Logan de s'asseoir.
Il prit place face à Hurley, et attendit que l'homme les eût laissés pour la complimenter.
– Tu es magnifique.
Comme lui, elle avait revêtu ses plus beaux atours : une robe noire au tissu soyeux dont le décolleté laissait deviner la naissance des seins, raffinée et sensuelle à la fois. Elle était passée chez le coiffeur et dans un salon de beauté. Une vraie star de Hollywood, pensa Logan, subjugué.
– Tu n'as pas mieux ? dit-elle, un peu déçue.
Il plissa les lèvres. Les compliments, ce n'était pas son fort.
– Tu m'as manqué, ajouta-t-il.
Hurley eut un petit rire de gorge absolument charmant.
– Tu ne changeras jamais, mais c'est pour ça que je t'aime. (Elle posa sa main sur la sienne. Elle adora le contact de sa peau.) Je veux que tu me promettes qu'on ne se disputera plus jamais.
– Je te le promets, mais à ton tour, je veux que tu me promettes de ne plus jamais me faire ça.
– Je te le promets, dit-elle en le regardant droit dans les yeux.
Même s'ils s'étaient longuement parlé au téléphone durant toute la semaine, ce ne fut qu'à ce moment-là que Logan se sentit réellement soulagé.
– C'est quand même bizarre notre relation, tu ne trouves pas ?
Hurley saisit la carte que lui avait remise le maître d'hôtel et répondit d'un ton badin.
– Pourquoi ? Tu crois que nous sommes le premier couple à affronter une crise ?
– Non, je pensais au fait que tu vives à Seattle et moi ici. Je me demande si, à terme, c'est viable.
Hurley leva les yeux de la carte.
– Ça veut dire quoi ? Tu veux que je vienne vivre avec toi ?
Ils en avaient déjà parlé. Elle ne serait jamais une femme au foyer.
– Non, je me disais que je n'étais pas obligé de me représenter aux prochaines élections.
– Tu reviendrais à Seattle ?
– Pourquoi pas ? Ça t'embêterait ?
Hurley n'en croyait pas ses oreilles. C'était la plus merveilleuse nouvelle qu'elle ait entendue depuis longtemps.
– Au contraire, j'en ai assez de passer mes nuits toute seule à Seattle, à attendre le week-end pour te voir. Mais on avait conclu un pacte. J'avais peur que tu le prennes mal.
Il n'avait pas vraiment envie de quitter River Falls, mais il ne voulait pas perdre Hurley.
– D'accord, je finis mon mandat et je reviens à Seattle.
Hurley sentit que c'était pour elle et non parce que son travail le lassait qu'il faisait ce choix. En d'autres temps, elle lui aurait répondu qu'il ne devait pas sacrifier sa carrière. Mais depuis qu'elle connaissait la cause de ses emportements, elle considérait que c'était en effet la meilleure chose à faire.
– Je ne veux pas te forcer la main, dit-elle néanmoins.
– Ne t'inquiète pas. Ça fait un petit moment que l'idée me trotte dans la tête. Cette semaine, j'ai compris que j'avais trop besoin de toi.
Aussi pataud qu'il soit parfois, c'était un amour. Elle mourait d'envie de lui révéler ce qu'elle lui réservait comme cadeau, mais le sommelier arriva et Hurley chassa cette idée. Un cadeau de Noël devait attendre le jour de Noël.
Ils commandèrent une bouteille de champagne pour fêter leurs retrouvailles. Ils en étaient à la fin de leur plat principal quand la conversation dévia sur le travail.
– J'ai appris pour Nathaniel, je trouve ça incroyable, dit Hurley.
– C'est son choix, on ne peut rien faire contre.
Nathaniel avait annoncé par l'intermédiaire de son avocat qu'il revenait sur sa déposition. Il avouait à présent qu'il avait menti au sujet de Lewis Stark et de lui-même. Aucun des deux n'était homosexuel. Il avait inventé cette histoire parce qu'il voulait salir la réputation de ce fils à papa, quitte à salir la sienne. Il avouait être fou amoureux de Bettany et l'avoir suivie jusqu'à la cabane. Là, il s'en était pris violemment à Lewis, quand le frère de Bettany était entré, une arme à la main. Il s'était battu avec lui, des coups de feu étaient partis, puis il avait perdu l'équilibre, trébuché, et s'était cogné la tête contre une table. Quand il avait repris connaissance, il ne se souvenait plus de rien et s'était enfui en courant.
– Je sais. Mais tu sais comme moi que c'est un pur mensonge, dit Hurley.
Elle était certaine que c'était Warren qui avait combiné cette version des faits pour se venger d'elle, qui ne l'avait pas rappelé depuis leur partie de jambes en l'air. Se souvenant de leurs ébats, elle fit la moue, et serra sa fourchette avec une rage silencieuse.
– Tu es trop sensible, Jessica, dit Logan, se méprenant sur sa réaction. Le plus important est que Nathaniel ne soit plus inculpé de meurtre.
– Tu parles ! Tu crois vraiment qu'il est sorti d'affaire ? Tu te rends compte de ce qu'il doit ressentir ? Renier ce qu'on est profondément, sentir que tout le monde est content de ce retour à la « normalité » !
Logan n'avait pas l'intention de revivre la soirée de la semaine précédente, d'autant moins qu'il était entièrement d'accord avec elle.
– J'ai discuté avec Warren. Je lui ai dit droit dans les yeux ce que j'en pensais. Il a fait le malin, fit-il en songeant à leur confrontation de l'après-midi.
Hurley sentit le sang quitter son visage. Était-il envisageable que Warren raconte tout à Logan ? Il fallait qu'elle lui parle et s'assure de son silence.
– Il m'a dit qu'il n'y croyait pas un seul instant. Mais c'est le souhait de Nathaniel de confirmer cette version élaborée par les parents de Lewis Stark, avec l'accord de Garth. Et c'est exactement ce qu'ils raconteront aux jurés de River Falls au cours du procès à venir.
– Transformer un crime homophobe en accident, c'est ça, son idée de la justice ? s'exclama Hurley.
Comment avait-elle pu céder aux avances de ce misérable type ?
– Écoute, Warren est bourré de défauts, le premier étant qu'il ne rêve que de te mettre dans son lit.
Hurley resta impassible. Savait-il ? Prêchait-il le faux pour connaître le vrai ? Jamais elle ne se pardonnerait cet écart.
– Mais en vérité, je ne crois pas qu'il soit d'accord avec cette thèse. En fait, j'ai fait ma petite enquête. Le sergent Nelson a écouté à la porte de la chambre de Nathaniel. Il a tout entendu. Warren a tenté de le dissuader d'accepter cette proposition, mais Nathaniel n'a pas voulu en démordre.
Hurley se sentit doublement soulagée. Logan ne savait rien et Warren n'était pas une ordure cynique.
– Il va falloir aider ce garçon. Le renvoyer dans sa secte n'est certainement pas la meilleure chose à faire, dit-elle.
– J'en ai bien conscience, mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? Nous n'avons aucun moyen de prouver que Lewis était homosexuel.
– L'autopsie n'a-t-elle pas démontré une… Tu vois ce que je veux dire ? dit-elle, pas très sûre du terme.
– Oui, répondit Logan. Quand je pensais encore que nous avions affaire à un pédophile, c'est la première chose que j'ai voulu savoir. Le légiste est formel, aucune intrusion anale, du moins récente. Lewis était sans aucun doute homo, mais il jouait clairement le rôle de l'homme.
Le serveur revint près de leur table, s'enquit de leur satisfaction, puis s'éclipsa en débarrassant les assiettes vides.
– Nous avons les seuls témoignages de Bettany, de son frère et de Nathaniel pour comprendre ce qu'il s'est réellement passé. À moins qu'ils n'aillent à l'encontre des maigres indices que nous avons, le jury ne pourra qu'entériner cette nouvelle version.
Ce n'était ni la première ni la dernière fois que la justice serait piétinée faute de preuves. Mais dans ce cas, c'était d'autant plus injuste que toutes les parties semblaient se mettre d'accord pour nier les droits de la victime : Lewis avait été assassiné uniquement parce qu'il était homosexuel !
– Nathaniel ne tiendra pas longtemps avant de refaire une tentative de suicide, dit-elle, effarée qu'il ait pu prendre une telle décision.
– Ce n'est pas sûr. Je suis allé le voir avant de finir ma journée. Il m'a plutôt rassuré. Sans avouer ouvertement qu'il mentait, il m'a dit avec ses mots à lui que c'était sa seule possibilité pour avancer, pour retourner auprès des siens sans se faire lyncher. Cependant, il veut faire comme sa cousine, reprendre des études à l'extérieur de leur communauté.
– Et alors, tu trouves ça bien comme solution ?
Il lui sourit, et ajouta :
– Tu sais, comme toi, j'ai eu peur que ce garçon fasse une bêtise. Alors après avoir vu Nathaniel, j'ai appelé… tu ne devineras jamais qui !
– Miller ? dit-elle à tout hasard.
Logan en était pour ses frais. C'était l'inconvénient de vivre avec une profileuse.
– Exact. Même si nous ne nous apprécions guère, je pense que c'est le mieux placé pour s'occuper de lui. Dans son langage d'avocat, il m'a clairement fait comprendre qu'il ne le laisserait pas tomber. Il comptait lui rendre visite avant qu'il ne retourne parmi les siens, ce week-end.
– À croire que tu n'es pas homophobe, dit-elle d'un ton malicieux.
– Eh oui. En revanche, plus je te regarde plus je me sens hétérophile, dit-il, heureux que la conversation ne se termine pas comme la fois précédente.
Elle lui fit un sourire enjôleur.
– On y va ?
– Je croyais que tu voulais un dessert ?
– Mon dessert, c'est toi, dit-elle avec un regard qui était une promesse.
Un noël à River Falls
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