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Habillé de son plus beau costume rehaussé d'un
nœud papillon, Logan entra dans le restaurant. Le maître d'hôtel
s'avança.
– Bonsoir, shérif, c'est un honneur de vous
recevoir. Si vous voulez bien me suivre, dit l'homme, un tantinet
obséquieux.
Ils traversèrent un hall tout en longueur dont le
luxe annonçait celui de la salle de restaurant. L'espace avait été
agencé de telle sorte que malgré sa superficie, l'ensemble donnât
une impression d'intimité feutrée. Les tables rondes, recouvertes
de grandes nappes effleurant le sol, étaient garnies de couverts et
de cristaux d'une sobriété de bon aloi, et l'agencement subtil des
lumières mettait en valeur des toiles de maîtres que Logan estima
être des originaux.
En ce vendredi soir, la salle était quasiment
pleine. Au passage, Logan reconnut un certain nombre de
personnalités de la ville, qui le saluèrent qui d'un clin d'œil,
qui d'un hochement de tête. Depuis une sorte d'alcôve au fond de la
salle, Hurley le regardait s'avancer.
– Je vous en prie, dit le maître d'hôtel en tirant
la chaise pour permettre à Logan de s'asseoir.
Il prit place face à Hurley, et attendit que
l'homme les eût laissés pour la complimenter.
– Tu es magnifique.
Comme lui, elle avait revêtu ses plus beaux
atours : une robe noire au tissu soyeux dont le décolleté
laissait deviner la naissance des seins, raffinée et sensuelle à la
fois. Elle était passée chez le coiffeur et dans un salon de
beauté. Une vraie star de Hollywood, pensa Logan, subjugué.
– Tu n'as pas mieux ? dit-elle, un peu
déçue.
Il plissa les lèvres. Les compliments, ce n'était
pas son fort.
– Tu m'as manqué, ajouta-t-il.
Hurley eut un petit rire de gorge absolument
charmant.
– Tu ne changeras jamais, mais c'est pour ça que
je t'aime. (Elle posa sa main sur la sienne. Elle adora le contact
de sa peau.) Je veux que tu me promettes qu'on ne se disputera plus
jamais.
– Je te le promets, mais à ton tour, je veux que
tu me promettes de ne plus jamais me faire ça.
– Je te le promets, dit-elle en le regardant droit
dans les yeux.
Même s'ils s'étaient longuement parlé au téléphone
durant toute la semaine, ce ne fut qu'à ce moment-là que Logan se
sentit réellement soulagé.
– C'est quand même bizarre notre relation, tu ne
trouves pas ?
Hurley saisit la carte que lui avait remise le
maître d'hôtel et répondit d'un ton badin.
– Pourquoi ? Tu crois que nous sommes le
premier couple à affronter une crise ?
– Non, je pensais au fait que tu vives à Seattle
et moi ici. Je me demande si, à terme, c'est viable.
Hurley leva les yeux de la carte.
– Ça veut dire quoi ? Tu veux que je vienne
vivre avec toi ?
Ils en avaient déjà parlé. Elle ne serait jamais
une femme au foyer.
– Non, je me disais que je n'étais pas obligé de
me représenter aux prochaines élections.
– Tu reviendrais à Seattle ?
– Pourquoi pas ? Ça t'embêterait ?
Hurley n'en croyait pas ses oreilles. C'était la
plus merveilleuse nouvelle qu'elle ait entendue depuis
longtemps.
– Au contraire, j'en ai assez de passer mes nuits
toute seule à Seattle, à attendre le week-end pour te voir. Mais on
avait conclu un pacte. J'avais peur que tu le prennes mal.
Il n'avait pas vraiment envie de quitter River
Falls, mais il ne voulait pas perdre Hurley.
– D'accord, je finis mon mandat et je reviens à
Seattle.
Hurley sentit que c'était pour elle et non parce
que son travail le lassait qu'il faisait ce choix. En d'autres
temps, elle lui aurait répondu qu'il ne devait pas sacrifier sa
carrière. Mais depuis qu'elle connaissait la cause de ses
emportements, elle considérait que c'était en effet la meilleure
chose à faire.
– Je ne veux pas te forcer la main, dit-elle
néanmoins.
– Ne t'inquiète pas. Ça fait un petit moment que
l'idée me trotte dans la tête. Cette semaine, j'ai compris que
j'avais trop besoin de toi.
Aussi pataud qu'il soit parfois, c'était un amour.
Elle mourait d'envie de lui révéler ce qu'elle lui réservait comme
cadeau, mais le sommelier arriva et Hurley chassa cette idée. Un
cadeau de Noël devait attendre le jour de Noël.
Ils commandèrent une bouteille de champagne pour
fêter leurs retrouvailles. Ils en étaient à la fin de leur plat
principal quand la conversation dévia sur le travail.
– J'ai appris pour Nathaniel, je trouve ça
incroyable, dit Hurley.
– C'est son choix, on ne peut rien faire
contre.
Nathaniel avait annoncé par l'intermédiaire de son
avocat qu'il revenait sur sa déposition. Il avouait à présent qu'il
avait menti au sujet de Lewis Stark et de lui-même. Aucun des deux
n'était homosexuel. Il avait inventé cette histoire parce qu'il
voulait salir la réputation de ce fils à papa, quitte à salir la
sienne. Il avouait être fou amoureux de Bettany et l'avoir suivie
jusqu'à la cabane. Là, il s'en était pris violemment à Lewis, quand
le frère de Bettany était entré, une arme à la main. Il s'était
battu avec lui, des coups de feu étaient partis, puis il avait
perdu l'équilibre, trébuché, et s'était cogné la tête contre une
table. Quand il avait repris connaissance, il ne se souvenait plus
de rien et s'était enfui en courant.
– Je sais. Mais tu sais comme moi que c'est un pur
mensonge, dit Hurley.
Elle était certaine que c'était Warren qui avait
combiné cette version des faits pour se venger d'elle, qui ne
l'avait pas rappelé depuis leur partie de jambes en l'air. Se
souvenant de leurs ébats, elle fit la moue, et serra sa fourchette
avec une rage silencieuse.
– Tu es trop sensible, Jessica, dit Logan, se
méprenant sur sa réaction. Le plus important est que Nathaniel ne
soit plus inculpé de meurtre.
– Tu parles ! Tu crois vraiment qu'il est
sorti d'affaire ? Tu te rends compte de ce qu'il doit
ressentir ? Renier ce qu'on est profondément, sentir que tout
le monde est content de ce retour à la
« normalité » !
Logan n'avait pas l'intention de revivre la soirée
de la semaine précédente, d'autant moins qu'il était entièrement
d'accord avec elle.
– J'ai discuté avec Warren. Je lui ai dit droit
dans les yeux ce que j'en pensais. Il a fait le malin, fit-il en
songeant à leur confrontation de l'après-midi.
Hurley sentit le sang quitter son visage. Était-il
envisageable que Warren raconte tout à Logan ? Il fallait
qu'elle lui parle et s'assure de son silence.
– Il m'a dit qu'il n'y croyait pas un seul
instant. Mais c'est le souhait de Nathaniel de confirmer cette
version élaborée par les parents de Lewis Stark, avec l'accord de
Garth. Et c'est exactement ce qu'ils raconteront aux jurés de River
Falls au cours du procès à venir.
– Transformer un crime homophobe en accident,
c'est ça, son idée de la justice ? s'exclama Hurley.
Comment avait-elle pu céder aux avances de ce
misérable type ?
– Écoute, Warren est bourré de défauts, le premier
étant qu'il ne rêve que de te mettre dans son lit.
Hurley resta impassible. Savait-il ?
Prêchait-il le faux pour connaître le vrai ? Jamais elle ne se
pardonnerait cet écart.
– Mais en vérité, je ne crois pas qu'il soit
d'accord avec cette thèse. En fait, j'ai fait ma petite enquête. Le
sergent Nelson a écouté à la porte de la chambre de Nathaniel. Il a
tout entendu. Warren a tenté de le dissuader d'accepter cette
proposition, mais Nathaniel n'a pas voulu en démordre.
Hurley se sentit doublement soulagée. Logan ne
savait rien et Warren n'était pas une ordure cynique.
– Il va falloir aider ce garçon. Le renvoyer dans
sa secte n'est certainement pas la meilleure chose à faire,
dit-elle.
– J'en ai bien conscience, mais qu'est-ce que tu
veux qu'on fasse ? Nous n'avons aucun moyen de prouver que
Lewis était homosexuel.
– L'autopsie n'a-t-elle pas démontré une… Tu vois
ce que je veux dire ? dit-elle, pas très sûre du terme.
– Oui, répondit Logan. Quand je pensais encore que
nous avions affaire à un pédophile, c'est la première chose que
j'ai voulu savoir. Le légiste est formel, aucune intrusion anale,
du moins récente. Lewis était sans aucun doute homo, mais il jouait
clairement le rôle de l'homme.
Le serveur revint près de leur table, s'enquit de
leur satisfaction, puis s'éclipsa en débarrassant les assiettes
vides.
– Nous avons les seuls témoignages de Bettany, de
son frère et de Nathaniel pour comprendre ce qu'il s'est réellement
passé. À moins qu'ils n'aillent à l'encontre des maigres
indices que nous avons, le jury ne pourra qu'entériner cette
nouvelle version.
Ce n'était ni la première ni la dernière fois que
la justice serait piétinée faute de preuves. Mais dans ce cas,
c'était d'autant plus injuste que toutes les parties semblaient se
mettre d'accord pour nier les droits de la victime : Lewis
avait été assassiné uniquement parce qu'il était
homosexuel !
– Nathaniel ne tiendra pas longtemps avant de
refaire une tentative de suicide, dit-elle, effarée qu'il ait pu
prendre une telle décision.
– Ce n'est pas sûr. Je suis allé le voir avant de
finir ma journée. Il m'a plutôt rassuré. Sans avouer ouvertement
qu'il mentait, il m'a dit avec ses mots à lui que c'était sa seule
possibilité pour avancer, pour retourner auprès des siens sans se
faire lyncher. Cependant, il veut faire comme sa cousine, reprendre
des études à l'extérieur de leur communauté.
– Et alors, tu trouves ça bien comme
solution ?
Il lui sourit, et ajouta :
– Tu sais, comme toi, j'ai eu peur que ce garçon
fasse une bêtise. Alors après avoir vu Nathaniel, j'ai appelé… tu
ne devineras jamais qui !
– Miller ? dit-elle à tout hasard.
Logan en était pour ses frais. C'était
l'inconvénient de vivre avec une profileuse.
– Exact. Même si nous ne nous apprécions guère, je
pense que c'est le mieux placé pour s'occuper de lui. Dans son
langage d'avocat, il m'a clairement fait comprendre qu'il ne le
laisserait pas tomber. Il comptait lui rendre visite avant qu'il ne
retourne parmi les siens, ce week-end.
– À croire que tu n'es pas homophobe,
dit-elle d'un ton malicieux.
– Eh oui. En revanche, plus je te regarde plus je
me sens hétérophile, dit-il, heureux que la conversation ne se
termine pas comme la fois précédente.
Elle lui fit un sourire enjôleur.
– On y va ?
– Je croyais que tu voulais un
dessert ?
– Mon dessert, c'est toi, dit-elle avec un regard
qui était une promesse.