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Margareth se pencha vers son cousin.
– Fais de beaux rêves.
Elle recula et suivit le sergent Nelson hors de la chambre, laissant Nathaniel avec ses parents et le docteur Nunn, les seuls dûment autorisés par le juge Burrough à voir l'adolescent.
– Merci beaucoup, dit-elle au sergent.
– Surtout, vous ne le dites à personne. Je vous fais confiance.
– Ne craignez rien.
Elle esquissa un faible sourire et reprit l'ascenseur. Elle sentait qu'elle ne pourrait pas longtemps retenir ses larmes. À la sortie de l'hôpital, complètement perdue, elle alla s'asseoir sur le banc de l'arrêt du bus. Elle connaissait la cause de la tentative de suicide de Nathaniel, mais ne pouvait en parler à personne, si ce n'est à son avocat. Or rien que le fait de penser à cet homme remplissait son cœur de colère.
Si seulement il y avait eu dans son entourage quelqu'un capable de l'entendre ! Malheureusement, elle connaissait très bien l'opinion des siens sur cette maladie : un signe du Malin. Grand-mère en particulier, par des sermons imagés et puissants, jetait l'anathème sur la société moderne, dont les manifestations les plus visibles de la décadence étaient la pornographie et l'homosexualité. Margareth aurait aimé pouvoir lui dire que Nathaniel n'était pas un monstre, mais elle ne pouvait prendre ce risque. C'était à Nathaniel d'en parler, pas à elle.
Le bus arriva. Elle y prit place et, l'esprit tourmenté par des pensées contradictoires, se laissa conduire jusqu'à l'arrêt Université. Là, l'âme confuse, elle se dirigea vers un des bars réservés aux étudiants.



– Regarde qui voilà ! s'exclama Luke, stupéfait par l'arrivée de Margareth.
Il était à peine 10 heures et quart. L'annulation d'un cours avait incité Luke et Gerald à aller boire une bière en attendant le suivant.
– À quoi elle joue, cette conne ? Tu crois qu'elle nous nargue ?
Ses parents lui avaient passé le savon de sa vie. La paire de claques servie par sa mère avait marqué ses joues durant une bonne heure.
– T'occupe, tu te souviens de ce qu'a dit le shérif, s'il lui arrive quoi que ce soit, il nous en tiendra pour responsables.
À l'inverse de Luke, il n'éprouvait aucune colère envers Margareth. S'ils s'étaient retrouvés au commissariat, c'était uniquement par la faute de Luke et de son désir de nuire à cette fille.
– Rien à foutre, c'est du pipeau. Il a rien contre nous, et tant qu'on la touche pas, j'ai quand même le droit de lui dire ce que je pense d'elle.
Gerald vit le barman servir à la fille une canette de jus d'orange.
– Tu as entendu les infos ? Son cousin a fait une tentative de suicide, je ne crois pas que ce soit le moment de l'emmerder.
Luke eut un rire ironique.
– Au moins, ça prouve qu'il a des remords, c'est déjà ça.
Comme ils étaient assis sur une banquette au fond de l'établissement, Margareth ne les avait toujours pas remarqués.
– Luke, il faut que je te dise un truc, dit Gerald très sérieusement.
– Arrête avec tes grands airs. C'est quoi le problème ?
– Tu peux être le roi des cons quand tu veux !
Luke lui opposa un doigt d'honneur.
– N'aie aucune pitié pour cette conne et sa communauté de maboules. Si tu savais ce qu'ils pensent de nous et de notre façon de vivre !
– Non, je n'en sais rien. D'ailleurs, je vais aller le lui demander.
L'idée avait jailli soudainement. Il s'en étonna lui-même.
– Pauvre mec ! Parfois tu me fais vraiment pitié, soupira Luke, qui finit sa bière d'un trait et attrapa son sac. Moi, je me casse. À plus.
Gerald le regarda partir et, à son soulagement, Luke sortit du bar sans faire d'esclandre, évitant de passer devant Margareth.
Gerald repensa à la conversation qu'il avait eue avec la mère de Kevin, qui le poussait à aller parler à cette fille. Mais il n'était pas très sûr d'avoir le courage de l'affronter. À cet instant, Margareth se retourna vers la salle et leurs regards se croisèrent. Elle baissa les yeux.
Gerald fut touché par son regard de chien battu. Il fit un effort sur lui-même, saisit sa bière d'une main, son sac de l'autre et la rejoignit.
– Excuse-moi, je peux m'incruster ?
Elle avait les yeux rougis et une mine à faire peur.
– Pourquoi ?
Il tira la chaise et s'installa.
– Parce que je te dois des excuses, mais je tiens tout de même à te dire que ce n'est pas moi qui ai appelé la police.
– Facile à dire, mais je ne vois pas qui ça serait d'autre.
L'amitié oblige à garder des secrets, mais Luke était allé trop loin. Gerald lui raconta ce qu'il s'était passé, et comment le shérif Logan leur avait fait la leçon.
– Mais bon, je ne veux pas me dédouaner, si je n'en avais pas parlé à Luke, jamais il n'aurait appelé la police.
– Tu veux mon absolution, je te la donne, dit Margareth d'un ton détaché.
Gerald aurait pu s'en aller. Il avait essayé de communiquer, mais elle ne semblait pas vouloir saisir la perche. Pourtant, il avait l'impression qu'elle souhaitait qu'il reste.
– Tu sais, tout le monde n'est pas d'accord avec ce que disent les journaux.
La presse faisait ses choux gras des aveux de Nathaniel, parlant de dérèglement comportemental lié à une éducation trop stricte et passéiste.
– Je le sais bien, mais ce n'est pas ça le problème, dit-elle dans un subit accès de colère.
Pourquoi restait-il ? Elle lui avait pardonné. Sa conscience ainsi soulagée, qu'attendait-il pour partir ?
– Alors c'est quoi ?
– Écoute, je ne sais pas ce que tu cherches, mais n'essaye pas de faire le gentil avec moi. Je sais très bien ce que tu penses de moi. Alors laisse-moi, s'il te plaît.
C'était un appel au secours. La dernière fois, elle lui avait hurlé dessus pour qu'il parte !
– J'ai parlé de toi à une amie. Elle m'a remis les idées en place. Elle m'a juste demandé depuis quand on jugeait les gens sans les connaître ou sur leur simple apparence.
Certes, Mme Fisher n'était pas vraiment une amie, mais il se sentait suffisamment mal à l'aise comme ça.
– Tu ne le savais pas avant ? ironisa Margareth.
– Si, mais tu vois ce que je veux dire, se défendit Gerald qui, pour se donner une contenance, but une gorgée de bière.
Margareth était à présent certaine qu'il s'agissait d'un pari entre lui et le copain qui venait de sortir. Une version moderne des Liaisons dangereuses. Peut-être croyait-il qu'elle n'avait pas lu le livre ?
– En fait, tu aimerais qu'on fasse connaissance ?
– Oui, je crois que c'est la seule façon de découvrir son prochain.
Le crétin ! Il essayait vraiment de lui faire la cour. Tout ça pour mieux l'humilier le moment venu… « Et si nous inversions les rôles… » Elle jouerait l'ingénue, et le moment venu, elle lui ferait payer tout ce qu'elle avait subi comme insultes et brimades depuis qu'elle était arrivée dans cette fichue ville.
– D'accord, qu'est-ce que tu veux savoir ?
Un noël à River Falls
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