56
– Je ne sais pas comment vous remercier, dit Margareth.
Callwin finit de lui poser du blush sur les joues et reposa ses pinceaux sur la tablette du lavabo.
– Tu plaisantes, ça me fait très plaisir. Regarde-toi.
Margareth se retourna et se trouva encore plus belle que la fois précédente. Elles avaient passé l'après-midi à faire du shopping pour trouver des vêtements à la mode. Callwin était particulièrement fière de ses choix.
– Ça me fait bizarre, j'ai l'impression d'être une vraie fille, dit Margareth.
Callwin lui sourit dans la glace. Elle avait gagné son pari. Il était évident que d'ici peu, Margareth quitterait sa communauté pour rejoindre la vraie vie.
– Et tu es même une très jolie fille. Je peux te dire que ton Gerald va faire des jaloux, ce soir.
– Je m'en moque. Je veux seulement lui plaire.
– Ne t'en fais pas pour ça, tu es superbe.
Margareth caressa son brushing d'une main délicate. Désormais, elle tâcherait de se coiffer comme ça le plus souvent possible.
– Allez, il est presque 7 heures. Il faut y aller, sinon ton prince charmant va t'attendre.
Margareth jeta un dernier regard dans le miroir et sortit de la salle de bains.
Callwin tendit son manteau à la jeune fille.
– Tiens. Il ne faudrait pas que tu attrapes froid.
Margareth l'enfila, et se jeta à l'eau.
– Je sais que vous ne voulez pas en parler, mais vous ne voulez vraiment pas revenir ? Grand-mère est d'accord. Elle ne vous en veut absolument pas. Je crois même que vous lui manquez.
Callwin eut un petit sourire triste…



Des hommes étaient venus la secourir alors qu'elle était effondrée dans la neige. Ils l'avaient ramenée au manoir et portée jusque dans son lit. Elle tremblait sans pouvoir s'arrêter. Miss Richardson était restée auprès d'elle jusqu'à ce qu'elle se calme. Alors, sans s'expliquer sur sa crise de panique, Callwin s'était levée et avait fait ses valises.
Personne ne lui avait posé de questions. Margareth lui avait rendu son smartphone et, sans un mot, Callwin avait quitté le manoir. Elle était montée dans sa voiture, et malgré un fort taux d'alcoolémie, elle avait pris la direction de River Falls.
Elle s'était enfermée dans une chambre d'hôtel trois jours durant.
Cela faisait si longtemps qu'elle refoulait le mal qui lui gangrenait l'âme, sans jamais trouver la force d'en parler. À quoi bon raviver les plaies du passé ? Mais celle-ci ne s'était jamais refermée. Elle avait failli téléphoner à Hurley, mais avait renoncé au dernier moment.
Elle maudit son père comme jamais.
Pour la première fois de sa vie, tout lui souriait. Elle avait un travail passionnant, la reconnaissance de ses pairs, des amies, et un homme qui l'aimait. Pourquoi fallait-il que des souvenirs vieux de plus de vingt ans viennent la submerger ? Des millions de bons souvenirs n'effaceront jamais un mauvais. Elle connaissait la chanson. Elle devait se faire aider. Pourquoi refusait-elle toute main tendue ? Parce qu'elle n'avait aucune confiance en l'humanité. Elle était persuadée que rien n'était gratuit en ce monde, que toute aide avait un prix. Mais lequel ?
– Je ne reviendrai pas, Margareth. Mais tu peux dire à ta grand-mère que, à moins qu'elle n'y voie une objection, je vais continuer à faire mes articles.
« Ne serait-ce que pour pouvoir payer tes vêtements et ton coiffeur ! » plaisanta-t-elle en son for intérieur.
En fait, elle n'avait pas attendu l'autorisation pour rédiger les articles de ces derniers jours. Elle connaissait maintenant suffisamment cette communauté, sans compter qu'elle ne manquait pas d'imagination, pour tenir jusqu'au Nouvel An sans avoir à remettre les pieds au manoir.
– Je crois que c'est le dernier de ses soucis. Vous devriez aller lui parler. Je ne sais pas ce qu'elle vous a dit, mais elle ne pensait pas à mal, j'en suis certaine.
– J'y songerai. Pour le moment, tu es ma seule préoccupation, fit-elle en lui passant le doigt sur le bout du nez.
– Vous savez, j'ai cru un moment que vous m'aviez oubliée.
– Une promesse est une promesse. Allez, il n'y a plus de temps à perdre. Ce soir est ta soirée.
Callwin n'avait pas oublié le rendez-vous galant de Margareth.
Elle était retournée au manoir en début d'après-midi et devant Miss Richardson, avait proposé à Margareth de passer la journée avec elle, jusqu'au lendemain. Miss Richardson avait donné sa bénédiction, après lui avoir fait promettre de ne pas faire de bêtises.



Elles allaient passer la porte de la chambre d'hôtel quand Callwin eut une illumination de dernière minute.
– Attends, je reviens.
Elle alla fouiller dans ses affaires et revint avec deux préservatifs.
Margareth devint écarlate.
– Je ne veux surtout pas t'inciter à la luxure, et te conseille même d'éviter de le faire le premier soir, mais on ne sait jamais. Si vous en arrivez là, promets-moi que vous vous en servirez.
– Je n'ai pas l'intention de le faire. Je veux dire, de coucher avec lui, bafouilla Margareth. De toute façon, vous venez me chercher dès que je vous appelle ?
Callwin lui mit les préservatifs dans la poche et la poussa dehors.
– Bien sûr, répondit-elle en claquant la porte.



Gerald regarda sa montre pour la centième fois. Il aurait dû s'en douter. Elle s'était moquée de lui.
Déjà, elle avait attendu la dernière minute pour le rappeler. Il avait passé tout le week-end à regarder l'écran de son téléphone, et tout le lundi à la maudire de l'avoir oublié. Il n'y croyait plus, quand, en début d'après-midi, elle l'avait enfin appelé. Il avait accepté aussitôt son invitation. Il en pinçait pour cette fille.
Un Hummer se gara sur le parking. Une beauté en sortit.
« Je ne le crois pas ! »
Elle était encore plus belle que la dernière fois. Elle lui rappelait une pom-pom girl qui le faisait craquer. S'il n'avait pas été certain qu'elle appartenait aux Enfants de Marie, il aurait pensé que ses deux meilleurs amis l'avaient piégé pour une caméra cachée.
– Salut, Margareth, tu vas bien ?
– Oui, excuse-moi pour le retard. Ma tante s'est trompée de route et on a dû faire demi-tour. Je suis désolée.
– Il n'y a pas de quoi. Alors, tu as choisi un film ?
Ils s'étaient donné rendez-vous devant le grand cinéma du centre commercial.
– En fait, je me disais qu'on pourrait manger d'abord et voir le film après ?
– Si tu veux. Ça te dit un McDo ?
Margareth y était allée une seule fois dans sa vie. Elle avait cru vomir. Tout avait un goût infect.
– Une pizzeria, plutôt.
– OK, va pour une pizza. Il y a un Pizza Hut à l'intérieur de la galerie.
Ils entrèrent dans l'immense mall, et sourirent en passant devant un père Noël qui prenait la pose avec des enfants intimidés sur ses genoux.
– Tu crois au père Noël ? demanda Gerald alors que Simon Beaver enchaînait les photos.
Margareth lui jeta un drôle de regard.
– Oui, je crois aussi à la petite souris et au croque-mitaine, répondit-elle d'un ton sérieux.
Gerald eut un petit rire. Il eut envie de lui prendre la main.
– Non, je voulais dire, est-ce que vous fêtez Noël comme tout le monde ? Le sapin, les chaussettes accrochées à la cheminée et tout le tralala.
Margareth préférait ça.
– Non, pas tout à fait. On fête la naissance de Jésus. Pas de chaussettes, ni de père Noël. En revanche, on décore des sapins.
– C'est quand même étrange de fêter la naissance de Jésus alors qu'il est né le 1er janvier, si on s'en réfère au calendrier, dit Gerald pour la taquiner.
– On ne sait pas quand il est né exactement. Est-ce vraiment important ?
Elle s'empressa d'ajouter :
– Avant que tu fasses ton malin, oui, je sais que les catholiques ont piqué cette date aux païens, qui célébraient le solstice d'hiver !
Elle lui avait enlevé les mots de la bouche. Ils allaient passer une délicieuse soirée.
– Tiens, c'est là. J'espère que tu as faim, leurs pizzas sont énormes.
– J'adore les pizzas.
Une heure plus tard, ils sortaient repus.
– Ça te dit vraiment un cinéma ? demanda Gerald.
Il se sentait bien. Ils venaient de parler à bâtons rompus. Ils avaient eu quelques fous rires, mais aussi des moments d'émotion. Il ne voulait pas prendre le risque de briser cet élan magique.
– En fait, je n'y tiens pas plus que ça. Si tu veux, on continue à parler.
Elle était aux anges. Elle se sentait légère, comme sur un nuage. Une merveilleuse sensation de plénitude.
Gerald s'enhardit et posa son bras autour de ses épaules. Margareth eut un léger moment de flottement et, se laissant aller, lui enlaça la taille.
– Ça te dit de faire un tour en voiture ? fit-il, se sentant enfin un homme.
– Oui, répondit Margareth en blottissant sa tête sur l'épaule de Gerald.
Elle avait le cœur qui battait à cent à l'heure. Tant de fois, elle avait imaginé cet instant. C'était aussi bien que dans ses rêves. Gerald était un beau garçon, élégant et attentionné. Amusant et ouvert d'esprit. Elle avait vingt ans. Elle avait bien fait d'attendre tout ce temps pour donner son cœur à un garçon. Gerald était le bon. Elle n'en doutait pas une seconde.



Voyant le jeune couple passer devant lui, Simon Beaver se souvint d'un Noël passé avec Stella. Une époque bénie. Il baissa les yeux et secoua la tête.
– Ça ne va pas ? s'inquiéta la mère de l'enfant qui se tenait sur les genoux du père Noël.
– Si si, tout va bien. Alors, comment tu t'appelles, mon bonhomme ?



– Il gèle, remarqua Gerald quand ils se retrouvèrent à l'extérieur du centre commercial.
Il serra encore plus fort Margareth contre lui. D'un pas vif, ils marchèrent jusqu'à son pick-up et s'y engouffrèrent, frigorifiés. Gerald mit le contact, poussa le chauffage à fond et lança son Best of slows.
– Tu me fais confiance pour la destination ?
Dans le clair-obscur de l'habitable, elle était carrément canon.
– Oui, je te fais confiance.
Il était à deux doigts de lui voler un baiser, mais il ne voulait pas tout gâcher.
Ils quittèrent le parking et se retrouvèrent sur la quatre-voies menant à River Falls. À la périphérie de la ville, Gerald bifurqua en direction de l'est. Il connaissait une petite route qui menait à un cul-de-sac sous les sapins, loin des regards indiscrets.
Moins d'un quart d'heure plus tard, il arrêtait le moteur, ne laissant que le chauffage et « Everybody's got to learn sometimes » des Korgies.
– Tu sais, je passe une très bonne soirée. Tu es vraiment une fille incroyable.
Margareth n'avait jamais entendu de mots aussi doux. Alors elle fit comme elle l'avait tant de fois imaginé. Elle approcha son visage du sien. Leurs bouches se rencontrèrent, leurs lèvres se soudèrent, leurs langues se cherchèrent.
Margareth eut une pensée furtive pour Callwin et ses préservatifs…
– Merde, fit Gerald.
Deux phares les éclairaient par-derrière.
Un noël à River Falls
9782702149638_tp.html
9782702149638_toc.html
9782702149638_cop.html
9782702149638_fm01.html
9782702149638_fm02.html
9782702149638_fm03.html
9782702149638_fm04.html
9782702149638_p01.html
9782702149638_ch01.html
9782702149638_ch02.html
9782702149638_ch03.html
9782702149638_ch04.html
9782702149638_ch05.html
9782702149638_ch06.html
9782702149638_ch07.html
9782702149638_ch08.html
9782702149638_ch09.html
9782702149638_ch10.html
9782702149638_p02.html
9782702149638_ch11.html
9782702149638_p03.html
9782702149638_ch12.html
9782702149638_ch13.html
9782702149638_ch14.html
9782702149638_ch15.html
9782702149638_ch16.html
9782702149638_ch17.html
9782702149638_ch18.html
9782702149638_ch19.html
9782702149638_ch20.html
9782702149638_p04.html
9782702149638_ch21.html
9782702149638_p05.html
9782702149638_ch22.html
9782702149638_ch23.html
9782702149638_ch24.html
9782702149638_ch25.html
9782702149638_ch26.html
9782702149638_ch27.html
9782702149638_ch28.html
9782702149638_ch29.html
9782702149638_ch30.html
9782702149638_p06.html
9782702149638_ch31.html
9782702149638_p07.html
9782702149638_ch32.html
9782702149638_ch33.html
9782702149638_ch34.html
9782702149638_ch35.html
9782702149638_ch36.html
9782702149638_ch37.html
9782702149638_p08.html
9782702149638_ch38.html
9782702149638_p09.html
9782702149638_ch39.html
9782702149638_ch40.html
9782702149638_ch41.html
9782702149638_ch42.html
9782702149638_ch43.html
9782702149638_p10.html
9782702149638_ch44.html
9782702149638_p11.html
9782702149638_ch45.html
9782702149638_ch46.html
9782702149638_ch47.html
9782702149638_ch48.html
9782702149638_p12.html
9782702149638_ch49.html
9782702149638_p13.html
9782702149638_ch50.html
9782702149638_ch51.html
9782702149638_ch52.html
9782702149638_ch53.html
9782702149638_ch54.html
9782702149638_p14.html
9782702149638_ch55.html
9782702149638_p15.html
9782702149638_ch56.html
9782702149638_p16.html
9782702149638_ch57.html
9782702149638_p17.html
9782702149638_ch58.html
9782702149638_ap01.html