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Warren en avait plus qu'assez de cette ville. Pourtant, il n'avait pas à se plaindre de son coup médiatique. En se portant volontaire pour défendre Nathaniel Morrison dans le seul but de pavoiser devant Jessica Hurley, il n'aurait jamais imaginé que cette affaire prendrait de telles proportions. « Le procès de l'homophobie », titraient la plupart des journaux de la côte Ouest. Des envoyés spéciaux des grands networks américains étaient même venus faire des directs et prendre le pouls de la population. À River Falls, les avis étaient très partagés. Les défenseurs de l'homosexualité d'un côté, les partisans d'une Amérique « morale et propre », de l'autre.
Répondant à de multiples interviews, il avait usé de son pouvoir de persuasion et de son charisme pour faire entrer dans la tête des gens que Nathaniel et Lewis étaient amants. Si un sondage effectué à Seattle montrait que les deux tiers des habitants étaient d'accord avec lui, un autre sorti le matin même indiquait que les trois quarts de la population de River Falls pensaient l'inverse.
« Si jamais il y a un procès, Nathaniel est foutu », pensait Warren, le regard perdu par-delà la fenêtre de la salle de réunion.
Il faisait un temps exécrable. Une tempête de neige était même annoncée pour le début de soirée.
La porte de la salle s'ouvrit enfin et Jenny Summers entra, sa mallette à la main. Bien que vêtue d'un élégant tailleur et coiffée par un professionnel réputé, elle n'éveilla aucun désir en Warren. « Une sorte de Sarah Palin en pire ! » se dit-il, fort peu impressionné par ses airs supérieurs.
– Bonjour, Stanley, vous allez bien ? dit-elle en souriant.
– Bonjour, Jenny, répondit Warren, qui se leva pour aller lui serrer la main. Que me vaut ce sourire ?
Ils s'étaient parlé très sèchement au téléphone, la veille au soir. Il avait été à deux doigts de l'insulter tant elle était aveuglée par l'enjeu de ce procès. Si Warren en avait l'habitude, les flashs faisaient tourner la tête de cette avocate, qui rêvait de quitter River Falls et d'être engagée par un prestigieux cabinet de la côte Ouest.
– Je viens de discuter avec les parents de Lewis et ceux de Bettany. Nous avons une proposition à vous faire.
Ce qui expliquait ce sourire de façade. Tout n'était pas perdu pour Nathaniel.
– Intéressant, mais je ne vois pas ce que vous avez à proposer, si ce n'est à admettre que mon client est innocent du meurtre dont on l'accuse.
Si elle percevait son soulagement, elle comprendrait qu'il n'avait aucune carte en main.
– Vous savez comme moi que vous n'avez aucun intérêt à aller à la confrontation dans un procès. Même si les mentalités ont changé dans les grandes villes, nous sommes à River Falls. Les anciennes habitudes ont la vie dure. Les gens ont toujours du mal à accepter l'homosexualité.
Warren fronça les sourcils. Summers n'était plus la même. Hier encore, elle ne faisait aucun cas de l'homosexualité de Nathaniel ou de celle de Lewis, et à présent elle prenait implicitement son parti.
– C'est vous qui le dites. Je n'ai pas peur d'un procès. Le juge Burrough est un homme d'une grande tolérance. Je ne doute pas qu'il réussisse à convaincre les jurés de l'innocence de mon client.
– N'en soyez pas si sûr. Burrough a bien l'intention d'être réélu juge. Il n'ira jamais contre l'avis général de la population.
– Qu'est-ce que vous me proposez ?
Summers posa sa mallette sur la grande table de la salle de réunion et en sortit une déposition qu'elle tendit à Warren. Elle l'avait elle-même écrite et corrigée après que Bettany se fut confiée à elle ; incapable de cacher la vérité plus longtemps, elle avait été sur le point de tout révéler aux médias.
– Garth Thompson est prêt à avouer le meurtre de Lewis, lâcha-t-elle, fière de son effet. Il déclare qu'il n'était pas très chaud pour laisser sa sœur sortir avec Lewis. Il les aurait suivis pour voir si tout se passait bien. Bettany n'a que seize ans. Un jury trouvera cela très crédible.
La déposition en main, Warren hocha la tête. Il n'en revenait pas.
– Il attendait tranquillement dans sa voiture quand il a vu Nathaniel sortir de la forêt et entrer en hurlant dans la cabane, continua Summers. Garth a pris son arme et est entré à sa suite pour venir en aide à sa sœur et à Lewis. Nathaniel s'est jeté sur lui. Ils se sont battus. Une première balle a brisé une vitre, une autre est partie, atteignant Lewis. Un simple accident et un délit de fuite.
Warren s'étonna d'un tel changement de ligne de défense. La veille encore, Summers s'en tenait à sa première déposition : un rendez-vous secret dans la cabane entre Bettany et son amoureux, puis l'intervention de Nathaniel, et pour finir l'amnésie.
« Un simple accident ? se dit Warren. Comme c'est pratique. Moi j'aurais dit un meurtre prémédité. »
Comme certains journaux de Seattle, il était persuadé que le frère était lié de près ou de loin à ce crime. Surtout depuis que Garth avait avoué, deux jours auparavant, dans le Daily River, qu'il allait de temps en temps à la cabane pour braconner, et que par conséquent, il n'était pas impossible qu'on y trouve ses empreintes, ainsi que celles d'autres chasseurs, d'ailleurs.
Summers lui sourit comme s'il s'agissait d'un simple jeu de l'esprit.
– Acceptez notre proposition, et votre client sera blanchi. Je vous le promets.
Warren frotta ses joues fraîchement rasées. Il aurait aimé comprendre ce changement d'attitude. Peut-être que Garth avait enfin pris conscience qu'il ne pouvait pas laisser croupir un innocent en prison ? Que toute faute méritait une punition ?
– Je suppose qu'il nous faudra donc revenir sur l'homosexualité annoncée de Lewis ?
– Effectivement. Mais si votre client veut continuer à dire qu'il était amoureux de Lewis et non de Bettany, comme nous en sommes persuadés, cela le regarde. Lui et sa conscience.
Warren adorait son métier d'avocat, et compte tenu de sa notoriété, il avait la chance de pouvoir choisir ses clients. Il ne prenait que ceux pour lesquels il avait un minimum d'estime, et avec lesquels il pensait pouvoir gagner. Il ne s'était jamais compromis et n'avait jamais bafoué la vérité. Aujourd'hui, pouvait-il agir autrement ? Allait-il prendre le risque d'aller au procès et de tout perdre ?
– De qui vient cette idée ? De vous ? De Garth, ou des parents de Lewis ?
Summers se rapprocha de lui et lui jeta un regard énigmatique.
– Pouvons-nous nous faire confiance ? Vous savez, si vous vous êtes senti agressé au cours de nos conversations, sachez que je ne faisais que défendre les intérêts de mes clients. Rien de personnel.
Ça, il voulait bien le croire. Elle était l'archétype de l'avocate prête à défendre tout et n'importe quoi pourvu qu'il y ait un beau chèque à la clé.
– Je n'en doute pas, dit-il avec un zeste d'ironie.
Summers recula et s'approcha de la fenêtre qui donnait sur le parc Lincoln.
– De moi. Je n'aimais pas l'idée d'envoyer un innocent en prison. J'ai convaincu Garth de dire toute la vérité, dit-elle fièrement.
Warren n'y crut pas une seconde. Que cherchait-elle ?
– Très bien. J'en parlerai à mon client. Vous aurez notre réponse dans l'après-midi.
Après tout, peut-être que l'essentiel était bien de blanchir Nathaniel, même au mépris de la vérité.
– Je suis heureuse que nous ayons pu parler calmement. Et pour sceller notre paix, je vous propose de déjeuner ensemble. Je tiens à vous prouver que je n'en avais pas personnellement contre vous.
Warren n'en revenait pas. Elle le draguait ! Ne voyait-elle pas qu'il était à des années-lumière de telles considérations ?
– Si vous le souhaitez, et puisque je dois repasser à mon hôtel, que diriez-vous du Lewis & Clark ?
– Parfait, le chef est un ami. Permettez que je vous invite.
– Avec plaisir, répondit-il de sa voix chaleureuse.
Intérieurement, il bouillait de colère. Cette femme était un véritable serpent. Un être à sang froid pour qui la vie d'un adolescent était quantité négligeable.
Cela raviva la blessure narcissique que lui avait infligée Hurley. Elle le snobait. Une semaine qu'il ne cessait de lui envoyer des messages. Pas de réponse. À quoi jouait-elle ? N'avait-elle pas compris que ce n'était pas juste une histoire de fesses ? Avait-elle oublié la volupté de leurs ébats ? Comment pouvait-elle faire comme si rien ne s'était passé entre eux ?
Il regarda Summers et n'y vit qu'une contrefaçon de bien piètre qualité. Mais puisqu'elle se croyait si forte, il allait lui montrer qui avait le pouvoir.
Une demi-heure plus tard, avec une fougue rageuse, il lui labourait les reins dans sa chambre d'hôtel.
Un noël à River Falls
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