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Freeman avait insisté pour participer à l'interrogatoire du garçon, mais avec la bénédiction de Logan, Hurley avait opposé une fin de non-recevoir. Trop d'erreurs de jugement et d'appréciation avaient été commises. Il n'était pas question que cela continue.
Tandis qu'elle avançait d'un pas vif dans le couloir du second étage de l'hôpital George-Washington, Hurley repensait à Freeman. Il aurait certainement nié en vouloir à Nathaniel de l'avoir induit en erreur. Hurley ne voulait pas prendre le risque que par son attitude, il bloque Nathaniel, que l'adolescent s'enferme dans le silence, ou pire, formule d'autres mensonges tout aussi crédibles que le premier. Elle voulait la vérité. Ici et maintenant.
– C'est terrible. En même temps, je n'aimerais pas que ce soit lui, mais dans ce cas, ça me laisse un tueur dans la nature, fit Logan.
Hurley avait accepté qu'il l'accompagne à condition qu'il ne dise pas un mot et qu'il la laisse mener l'interrogatoire.
– Si ce n'est pas lui, je suis certain qu'il connaît le tueur.
Pourquoi Nathaniel aurait-il menti, sinon ?
– On va voir ça tout de suite, répondit Logan, qui frappa deux coups à la porte de la chambre.
Un instant plus tard, M. Morrison vint ouvrir.
– Je vous attendais. On nous a avertis que l'homme qui avait kidnappé notre fils n'était pas Brown, lança-t-il, le regard mauvais.
Logan eut un sourire ironique et s'invita dans la chambre.
– Oui, un témoin l'a accusé à tort, dit-il en se rapprochant du lit.
Nathaniel baissa les yeux et devint rouge de confusion.
– Shérif, pouvez-vous accompagner M. et Mme Morrison en salle d'attente ? demanda Hurley d'un ton péremptoire.
– Il est fatigué, vous ne pouvez pas le laisser tranquille ? se plaignit Mme Morrison, assise près de son fils.
Logan lisait à livre ouvert sur son visage la colère rentrée de Hurley. Cela avait été plus fort que lui. Il ne pouvait pas se laisser accuser sans réagir. Une bêtise qui allait lui coûter sa place dans la chambre.
– Je dois lui parler, seule à seul. J'ai des choses très personnelles à lui dire, fit-elle sur le même ton, mais avec un geste conciliant à l'égard des parents.
– Je comprends, mais faites vite. Il est encore très secoué. Il a besoin de repos. Et vous direz à l'agent du FBI qu'il porte l'entière responsabilité du meurtre de Paul Brown. Nathaniel n'était pas certain que ce soit lui, précisa M. Morrison.
Cela ne correspondait pas du tout à la déclaration de Freeman. Logan n'imaginait pas un seul instant qu'il lui ait menti. C'étaient plutôt les paroles d'un père voulant protéger son enfant.
– Je n'en aurai pas pour longtemps. Faites-moi confiance, dit Hurley.
Les Morrison se regardèrent et la mère se leva pour rejoindre son mari.
– On est là, mon trésor, dit Mme Morrison sur le pas de la porte avant de sortir.
– Vous aussi, shérif.
Il avait espéré qu'elle l'oublie. Tant pis pour lui. M. Morrison lui jeta un drôle de regard mais n'insista pas et referma la porte sur eux.
– Je peux m'asseoir à côté de toi ? demanda Hurley.
Nathaniel leva un visage grimaçant avant de se mettre à pleurer abondamment.
– Je ne voulais pas, articula-t-il péniblement entre ses pleurs.
Hurley pinça les lèvres, sentant l'émotion l'envahir. Pauvre garçon. Que s'était-il vraiment passé dans cette cabane ? Et sans en attendre l'autorisation, elle alla s'asseoir à la place que venait de quitter la mère. Elle resta immobile et silencieuse un long moment, le temps que Nathaniel se calme.
– Je vous jure que je n'ai jamais voulu ça, fit-il, la voix rauque.
Hurley prit la petite bouteille d'eau posée sur la table de chevet et la lui tendit.
Parlait-il du meurtre de Brown ou de celui de Lewis ? « Pourvu qu'il ne se renferme pas dans sa coquille. »
– Pourquoi as-tu dit au shérif Logan que tu connaissais ton agresseur ?
Nathaniel baissa les yeux.
– Je pensais l'avoir reconnu, puis quand le Noir du FBI est venu et a fait défiler des portraits, j'ai reconnu l'homme à qui je pensais. Mais ce n'était pas lui. Je n'aurais rien dit si l'agent noir n'avait pas pensé que j'avais reconnu quelqu'un.
Étude attentive des moindres gestes et mimiques des victimes. Technique classique du FBI. Cela rassura Hurley sur la véracité de la version de Freeman.
– Même si ce n'était pas lui, je savais que c'était un pédophile. J'ai vu, un jour, une affichette sur un mur qui mettait en garde contre lui. C'est pour ça que je connaissais ce visage.
Hurley hocha la tête, compréhensive. Elle voyait tout à fait de quoi il parlait. De nombreux militants du « droit de savoir » affichaient sans vergogne les photos de tous les délinquants sexuels, en conditionnelle ou pas, qui habitaient dans leur ville.
Il y eut un long silence. Quand elle comprit qu'il n'en dirait pas davantage, Hurley prit la parole.
– Tu t'es dit que de toute façon il méritait d'être puni, n'est-ce pas ?
– C'est un pédophile. Il n'aurait jamais dû être relâché. Alors, lui ou un autre de son espèce…
Qu'en était-il de la rédemption ? Pour certains, on était redevable de ses actes toute sa vie. Sans possibilité de pardon. Une vision de la morale uniquement fondée sur l'affect. À l'inverse, Hurley croyait à la faiblesse humaine. Pour elle, chaque personne pouvait un jour céder à ses pulsions, de façon plus ou moins violente, sans pour autant être un monstre. La loi échelonnait d'ailleurs les peines en fonction de la gravité de l'acte.
– Tu crois en Dieu, Nathaniel ?
Elle vit que la question le prenait de court.
– Bien sûr. Mes parents sont membres des Enfants de Marie.
« Mes parents », nota Hurley. Pourquoi n'avait-il pas répondu tout simplement « je » ?
– Tu crois donc qu'il faut suivre les préceptes de la Bible ?
– Bien sûr. C'est ce que nous faisons tous, répondit-il avec une certaine vigueur.
« Nous ». Après tout, peut-être était-il vraiment croyant. À moins qu'il ne soit sur ses gardes.
– Tu peux me citer le neuvième commandement ?
Nathaniel la regarda avec étonnement. Une profane qui connaissait les Dix Commandements. Il avait toujours pensé que ceux de l'extérieur étaient incapables de les citer. Encore moins d'en connaître l'ordre.
– « Tu ne feras pas de faux témoignage », récita-t-il, se sentant pris au piège.
Était-ce un signe ? Ou était-ce le Malin ? La peur lui nouait les tripes. Pourquoi fallait-il que les épreuves de la vie soient si dures ? Allait-il vraiment finir en enfer ?
– Pourquoi es-tu allé à la cabane ?
Nathaniel ne la lâcha pas du regard. Ce serait simple de dire la vérité. Sa conscience serait enfin libérée. Mais il vivait depuis si longtemps dans le mensonge ; il était trop difficile de faire confiance. La souffrance était son lot quotidien. Son âme était maudite jusqu'à la fin des temps.
– J'ai tué Lewis.
À son grand étonnement, il éprouva un certain soulagement à prononcer ces mots. On allait enfin le punir pour un crime qu'il avait commis.
Hurley n'en crut pas ses oreilles. C'était trop facile, trop rapide.
– Pourquoi as-tu fait cela ? demanda-t-elle, attentive à la moindre réaction de Nathaniel.
– J'avais mes raisons, dit-il simplement. Maintenant que vous savez tout, vous pouvez sortir. Et s'il vous plaît, je ne veux plus voir mes parents.
Le garçon fragile avait laissé place à quelqu'un de beaucoup plus sûr de lui. Était-il victime de dédoublement de la personnalité ?
– Nathaniel, rien ne justifie la mort d'un homme. Sixième commandement. Si tu crois en Dieu, pourquoi as-tu désobéi à ce commandement ?
« Parce que je suis maudit ! » Il sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine. Il fallait que cette femme s'en aille. Il avait besoin d'être seul pour s'apitoyer sur son propre sort.
– Tu n'es pas un monstre, et tu ne dois laisser croire à personne que tu en es un.
Nathaniel ne pouvait s'empêcher de penser à grand-mère. Quand elle allait apprendre la nouvelle, elle allait en faire un infarctus. Pour elle, il se devait au moins de limiter les dégâts.
– Vous vous êtes trompée de commandement. Ce n'est pas le sixième que j'ai enfreint, mais le dixième.
« Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. »
Hurley fut prise d'une double émotion. La tristesse de voir une fois encore que l'amour pouvait mener au plus terrible des drames, mais aussi la fierté de constater qu'elle avait vu juste. Terrible dualité, qu'elle avait appris à gérer depuis longtemps.
– Bettany Thompson ? avança Hurley.
C'était la petite amie de Lewis ; elle était enfermée dans sa chambre depuis l'annonce de sa mort. Personne ne l'avait encore interrogée, lui avait assuré Logan.
– Oui, Lewis sortait avec elle, et moi je la voulais pour moi.
Il se sentit soudain soulagé d'un immense fardeau. Il espérait que le Seigneur lui en serait reconnaissant.
– Le jour où j'ai vu Lewis, j'ai tout de suite su que j'allais le tuer, ajouta-t-il d'un ton déterminé.
Hurley ne s'attendait pas à ça. En son for intérieur, elle espérait qu'il s'agissait d'un accident, d'une intimidation qui aurait mal tourné. Mais non, c'était un assassinat. Un acte prémédité, mûrement réfléchi. Le coup de folie pouvait amoindrir la peine. Tandis que la froide élaboration d'un meurtre vous envoyait directement à la potence.
– Comment cela s'est-il passé ?
Nathaniel but à la bouteille et, après s'être essuyé la bouche avec le revers de la main, il dit d'une voix neutre :
– Laissez-moi, s'il vous plaît. Vous avez ce que vous voulez, je ne parlerai plus qu'en présence de mon avocat.
Même s'il passait la quasi-totalité de son temps au sein de la communauté, il en connaissait suffisamment sur la société américaine pour savoir qu'un inculpé a le droit de garder le silence. Hurley ne comprenait pas son attitude. Il aurait dû s'expliquer, tenter d'amoindrir son geste. Mais non, il était redevenu distant.
– Nathaniel, crois-tu que tu dois être puni pour ce que tu as fait ?
Peut-être était-il persuadé qu'il méritait le châtiment suprême et devait en finir avec la vie. Peut-être ignorait-il qu'on n'envoie pas les enfants à la potence.
– S'il vous plaît, laissez-moi seul. Je vous en prie, faites que mes parents ne viennent plus me voir.
Hurley aurait aimé le ramener à de meilleures dispositions, mais le garçon était mineur. Elle craignait d'être accusée de harcèlement par son avocat si elle allait plus loin.
– D'accord, je m'en vais, mais d'une façon ou d'une autre, la vérité éclatera. Tu en as bien conscience ?
Nathaniel lui répondit par un sourire contraint, mais ne lâcha plus un mot. Hurley se leva, et lentement se dirigea vers la porte.
– Si tu veux me parler, n'hésite surtout pas à me demander : agent Jessica Hurley.
Nathaniel hocha la tête et la regarda sortir.
Logan était de l'autre côté de la porte. Il attendit que Hurley l'ait refermée pour lui poser la question :
– Alors, coupable ?
– Oui, la jalousie.
Logan eut un franc sourire.
– Décidément, tu es vraiment la plus forte.
Hurley trouva le compliment malvenu. Pourtant c'était exactement ce qu'elle pensait d'elle-même.
– Il va falloir annoncer aux parents la mise en examen de leur fils. Tu t'en charges ?
– Pas de problème, fit Logan, toujours aussi euphorique.
Il avait tellement craint d'avoir un nouveau prédateur sexuel sur les bras qu'il était incapable de toute modération.
– Il ne veut pas les voir. Tu t'arranges pour leur interdire l'accès à sa chambre.
– Pas de problème.
Il comprenait parfaitement. Pas évident d'avouer ses fautes à ses proches.
– Et il va falloir interroger la petite amie de Lewis, car rien ne dit qu'il ne nous ment pas une fois encore.
Logan ne l'avait pas envisagé une seule seconde. Sa bonne humeur retomba aussi sec.
– Tu crois qu'il t'a menti ?
Hurley n'avait pas encore eu le temps de faire le point, mais elle suivit son intuition :
– Non, il ne ment pas. Il est persuadé d'avoir tué Lewis. Reste à savoir si c'est la réalité. J'aimerais qu'un expert psychiatre l'analyse. Il est bizarre. Je suis persuadée qu'il a un grave trouble de la personnalité. Il y a quelque chose que je n'arrive pas à comprendre chez lui. Il me manque des éléments.
Qu'y avait-il à comprendre chez des cinglés qui pensaient que le progrès technique était l'œuvre de Satan ? pensa Logan.
– De toute façon, on va vite être fixés. Bettany Thompson n'a aucune raison de nous mentir. Bien au contraire, fit-il tout haut.
Confusément, Hurley souhaitait qu'elle démente la version de Nathaniel. Tout cela était trop simple. Elle sentait obscurément que cette affaire était beaucoup plus complexe.
Logan prit son portable et appela le commissariat pour qu'on lui envoie deux sergents pour faire la vigie devant la porte de la chambre. Il était peu probable que le garçon tente de s'enfuir compte tenu de ses aveux spontanés. Ce que craignait Logan, c'est qu'un nouveau justicier cherche à supprimer Nathaniel. Deux morts en deux jours, c'était amplement suffisant.



Cachée dans l'angle du couloir, Callwin jubilait. Elle attendit que la porte de l'ascenseur se soit refermée sur Hurley et Logan pour faire son apparition. Elle avait tout capté de leur conversation. Elle tenait son scoop. Néanmoins, il lui manquait un élément capital : qui était Bettany Thompson ?
Jusque-là, aucun média n'avait osé émettre l'hypothèse que la seconde victime du tueur soit justement le tueur. Entre eux, les journalistes ne parlaient que de ça, mais aucun ne voulait porter une accusation aussi grave sur un garçon peut-être innocent.
Elle n'avait aucune idée du temps qu'elle aurait avant que quelqu'un la surprenne.
Comme les journalistes étaient persona non grata dans l'hôpital, Callwin avait appelé un de ses anciens amants, un médecin qui y exerçait. Elle lui avait demandé un laissez-passer, ainsi que le numéro de la chambre de Nathaniel Morrison. L'homme avait refusé avant de se raviser quand elle l'avait menacé de raconter leur liaison à sa femme. À présent sur les lieux, elle se sentait tel un prédateur fondant sur sa proie. Le goût du sang était diablement attirant. Aussi choquant que cela puisse paraître, les affaires de meurtres étaient les plus excitantes pour les journalistes. Une sensation unique et inexplicable vous envahissait. Évidemment, elle ne pouvait parler de ça à personne sans risquer de passer pour une folle, pourtant elle ne pouvait nier sa fascination pour le morbide.
Sans frapper, elle entra dans la chambre de Nathaniel et vint aussitôt s'asseoir près de lui.
– Je me présente, Samatha Monroe. Je suis la directrice du département de recherche scientifique du FBI. Je viens vous annoncer que nous avons les preuves de votre culpabilité, dit-elle d'un ton sec. J'aurais besoin que vous me confirmiez certains détails.
– Non, je viens de tout raconter à une de vos collègues. Je n'ai plus rien à dire répondit-il, en ajoutant d'un air soupçonneux : Comment ça se fait que vous ne l'ayez pas croisée ?
Callwin lui jeta un sourire forcé. Elle l'aurait bien giflé pour son impudence.
– Montrez-moi votre insigne ou je fais appeler la police, reprit Nathaniel en attrapant le biper suspendu à la tête de son lit.
Un vrai caractère de tueur. Le gamin était loin d'être aussi stupide qu'elle l'avait présagé.
– OK, petit malin. Je suis journaliste, et si tu ne me parles pas maintenant, je peux t'assurer que je vais pondre un papier qui va te traîner dans la boue, toi et toute ta secte de tordus. Et si tu ne veux pas que j'associe tes parents, ou même votre vieille gourou à cette affaire, tu as intérêt à me dire qui est Bettany Thompson.
– Vous ne feriez pas ça !
Comment pouvait-on user de telles méthodes ? N'y avait-il aucune loi pour enfermer ce genre d'infame personnage ? Être journaliste donnait-il tous les droits, même celui de diffamer ?
– Et comment ! Je te laisse réfléchir dix secondes et je m'en vais te torcher ce papier.
Nathaniel n'hésita pas longtemps. Après tout, la police n'allait pas tarder à tout déballer à la presse, alors…
– C'est la petite amie de Lewis.
Callwin hocha la tête. La jalousie dont avait parlé Hurley.
– Maintenant, sortez. Si jamais vous parlez en mal de grand-mère, je vous promets que vous le regretterez.
Callwin n'avait jamais eu l'intention de mettre sa menace à exécution, aussi était-elle toute contente que son coup de bluff ait fonctionné sur ce bigot trop crédule.
– Mon Dieu que j'ai peur, se moqua Callwin en se levant.
Elle n'avait aucune estime pour ce genre de timbrés qui croyaient que le bonheur était de vivre au Moyen Âge. Et pourquoi pas à l'âge de pierre !
Sans un regard en arrière, elle passa la porte, espérant qu'elle serait la première arrivée au domicile de cette Bettany Thompson. Pour trouver l'adresse, elle passerait un coup de fil à son ancien patron du Daily River, et le tour serait joué.
Un noël à River Falls
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