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Simon Beaver avait de plus en plus froid. Sa
bouteille de whisky était presque vide. « Ça sent vraiment le
sapin ! » Le rire qui sortit de sa bouche fendilla ses
lèvres gercées. Toujours emmitouflé dans son costume de père Noël,
il grelottait, maudissant la neige qui venait de se remettre à
tomber. Une voiture accéléra en arrivant à son niveau. Un petit
enfant avait le nez collé à la vitre. Il crut reconnaître
Jonathan…
– Papa, tu es sûr que le père
Noël va venir ? demanda Jonathan, assis en tailleur devant le
sapin.
À six ans, il faisait la
fierté de son père.
– Bien sûr, tu as été très
sage toute l'année, tu ne crois pas qu'il
t'oublierait ?
L'enfant, réconforté, lui
jeta un regard qui l'émut au plus profond de son cœur. Assis sur le
canapé, Beaver serra Stella près de lui, et eut envie de
l'embrasser pour cet enfant qu'elle lui avait donné.
Jonathan était arrivé comme
un petit miracle.
Alors qu'il avait accepté
leur stérilité, qu'il avait décidé d'abandonner son rêve de devenir
auteur pour enfants, et qu'il avait surpris sa femme avec un de ses
meilleurs amis, elle était tombée enceinte.
Après cette annonce, Beaver
s'était bien gardé de dire à sa femme qu'il était au courant de son
infidélité. Elle accepta qu'ils le prénomment comme son défunt
petit frère. Même s'il n'y croyait pas vraiment, il avait
l'impression que l'âme de Jonathan s'était retrouvée dans le corps
de son fils.
– Il est temps d'aller te
coucher, mon trésor, dit Stella en se levant.
Beaver avait bien remarqué un
léger raidissement quand il avait passé son bras sur ses épaules.
Plus les années passaient, moins ils faisaient l'amour. Mais Beaver
s'en moquait. Il préférait de loin vivre avec une femme adultère
que de se séparer d'elle. Il aimait le foyer qu'ils formaient. Le
père, la mère et leur enfant. Un symbole christique que jamais il
ne briserait.
Quand Jonathan fut enfin
couché, Beaver rejoignit son épouse dans le salon pour installer
les jouets sous le sapin. Il la trouva les bras croisés, le regard
dur.
– Simon, pourquoi ne m'as-tu
rien dit ?
Le sourire de Beaver
s'évanouit. Il baissa les yeux et tenta de
s'expliquer.
– Je voulais t'en parler
après les fêtes. Je ne voulais pas tout gâcher.
– Tu as été viré il y a plus
d'un mois. Comment veux-tu que je te fasse
confiance ?
Ces mots étaient terribles et
injustes. Elle qui le trompait effrontément, comment osait-elle
parler de confiance ?
– Pardonne-moi, j'aurais dû
t'en parler.
N'importe quel homme lui
aurait jeté son infidélité à la figure, mais Beaver n'était pas
n'importe quel homme. Il était toujours cet enfant timide et plein
d'espoir qui rêvait d'un monde parfait. Il ferait tout pour ne pas
le perdre.
– Il n'y a pas que ça, Simon.
Regardons les choses en face. Ça ne peut plus durer entre nous. On
ne s'aime plus. Ouvre les yeux.
– Ne dis pas ça, moi je
t'aime comme au premier jour. Je t'en supplie, laisse-moi une
seconde chance. Je vais retrouver un travail. Attends au moins que
Jonathan soit plus grand. Je t'en supplie.
Depuis des années, Stella
pensait à quitter son mari, mais aussi immature soit-il, elle avait
une tendresse particulière pour lui, et ne s'était jamais résolue à
franchir le pas. D'autant moins depuis la naissance de Jonathan.
Elle avait elle-même assez souffert de voir ses parents divorcer.
Après tout, Simon avait peut-être raison. Elle pouvait attendre. De
toute manière, l'homme qu'elle fréquentait à présent n'était pas
près de quitter sa femme.
– D'accord, mais je ne veux
plus faire semblant. On dort ensemble, mais ne me demande plus de
faire l'amour avec toi.
Drôle de famille modèle, mais
c'était mieux que rien. Beaver remercia le Seigneur de ne pas lui
avoir tout enlevé, et parvint à sourire.
– Si c'est ton souhait,
dit-il, bien conscient d'être passé à un cheveu de la
catastrophe.