Beverly Hills, Roxbury Drive, 7 août 1962
Greenson ne prit pas le temps de s’asseoir dans le
fauteuil face au canapé sur lequel Wexler restait sans bouger. Déjà
il se lançait.
— Ses bandes, ses enregistrements, son dernier
solo, sa dernière séance, tu veux les entendre ?
Wexler grogna. Greenson lui confiait la voix de
Marilyn comme on livre un secret à un inconnu dans un bar, pour ne
plus y penser.
— En me les laissant pour que je les écoute hors
de sa présence, elle m’a dit : « J’ai une confiance absolue que
jamais vous ne révélerez à âme qui vive ce que je vous ai dit. »
Puis, en quittant mon bureau, elle m’a demandé de les effacer après
les avoir écoutées. Je n’ai pas pu les effacer. Ces bandes m’ont
bouleversé, continua Greenson, je ne sais pas ce que j’en ferai,
mais je les ai transcrites.
Greenson ne les effaça pas. Pas tout de suite. À
cause de la voix, plus que de ce qu’elle disait. Lui qui se voulait
un donneur de sens, cette voix l’avait transformé malgré lui en
preneur de son. Il les donna à son collègue pour qu’il les entende.
Seul. Ils pourraient en reparler ensemble, s’il voulait.
Dans la première bande, Wexler sursauta à ces mots
: « Je suis allée chez Joan Crawford. Elle m’a demandé d’attendre
le temps qu’elle fasse un lavement à sa fille. La petite criait
qu’elle ne voulait pas de lavement. Pas de lavement donné par sa
mère. Crawford était tellement furieuse qu’elle allait la frapper.
J’ai proposé de le faire moi-même. J’ai fait le lavement à ce petit
ange avec tant de douceur que cela l’a fait pouffer de rire. Joan
m’a jeté un regard aigre et m’a dit : “ Je ne crois pas qu’il
faille gâter les enfants. ” J’ai eu l’impression qu’elle avait
tendance à faire preuve de cruauté envers sa fille... Docteur, je
veux que vous m’aidiez à me débarrasser de Murray. Hier soir,
pendant qu’elle me faisait un lavement, je me suis dit : ma petite
dame, vous vous y prenez très bien, mais il faut que vous partiez.
Docteur, en vérité, elle et moi, nous ne nous aimons pas. Je ne
supporte pas l’insolence et l’irrespect qu’elle manifeste chaque
fois que je lui demande de faire quelque chose... Pendant que je
dictais cette histoire, je me suis un peu souvenue des lavements
qu’on me faisait quand j’étais petite. Ils appartiennent à la
catégorie des souvenirs refoulés, comme vous et le Dr Freud les
appelez. Je vais travailler là-dessus et vous remettre une autre
bande. »
Sur la deuxième bande, Marilyn ne parlait plus de
ça. Elle disait : « Hier, j’ai longtemps regardé mon image dans le
grand miroir en pied de ma salle de bains. J’étais coiffée et
maquillée mais nue. Qu’est-ce que j’ai vu? Mes seins commencent à
pendre un peu. Ma taille n’est pas mal. Mon cul est comme il doit
être. Le plus beau des plus beaux. Jambes, genoux, hanches, rien à
dire. Et mes pieds ne sont pas trop grands. OK, Marilyn, tu as tout
ce qu’il faut. »