Brentwood, Fifth Helena Drive, nuit du 4 au 5 août 1962
Si c’était un film noir, le plan d’ouverture cadrerait le vent. Rien d’autre. Le vent ployant la cime des eucalyptus. Venu du désert Mohave, il a franchi les lacs alcalins desséchés où la foudre a depuis toujours cristallisé le sable en baguettes de verre. Doux et chaud, il souffle depuis Ventura Boulevard. Il a caressé Beverly Hills, Sunset Boulevard, Santa Monica et frôle maintenant Brentwood, avant de se perdre un peu plus loin, vers la mer. La nuit du samedi au dimanche est aussi calme que les autres.

Vers trois heures du matin, Joannie Greenson entend le téléphone sonner dans la chambre de ses parents. Sentant une petite faim, elle va à la cuisine faire une razzia dans le réfrigérateur. « J’ai demandé à maman ce qui se passait, raconte-t-elle. Elle m’a répondu qu’il y avait un problème chez Marilyn. Je me suis contentée de faire : “ Oh ! ” puis je suis retournée me coucher. »
Peu avant l’aube. Le sergent Jack Clemmons est de faction au poste de police de Purdue Street. Le téléphone sonne. Au bout du fil un homme se présente :
— Dr Hyman Engelberg. Marilyn Monroe est morte. Elle s’est suicidée.
Clemmons croit à une plaisanterie et demande :
— Qui avez-vous dit que vous étiez?
— Je suis le Dr Hyman Engelberg, le médecin de Marilyn Monroe. Je me trouve chez elle. Elle vient de se suicider.
— J’arrive.

Si c’était un film, une révision de ce scénario aurait finalement centré la scène sur Ralph Greenson.

Sonnerie de téléphone sur un bref plan noir.
— LAPD, commissariat de West Los Angeles, Sergent Clemmons, j’écoute.
— Marilyn Monroe est morte d’une surdose.
— Que dites-vous ?
— Marilyn Monroe est morte. Elle s’est suicidée.
— Qui êtes-vous ?
— Son psychiatre, le Dr Greenson, ce n’est pas une plaisanterie.

En descendant San Vicente Boulevard, Clemmons demande par radio à une voiture de patrouille de le rejoindre au 12305 Fifth Helena Drive. Il parcourt les rues désertes jusqu’à Carmelina Avenue et tourne dans la courte impasse. Le numéro correspond au bout de la rue. Il entre dans la maison, pénètre dans une chambre, voit un corps en travers du lit, un drap rabattu sur la tête, ne laissant visible qu’une mèche de cheveux blond platine. À plat ventre « dans la position du soldat, la tête dans un oreiller, jambes allongées toutes droites », dira Clemmons. Il pense immédiatement qu’on a dû la placer ainsi, le téléphone près de la main, à plat ventre sur le cordon du combiné, en travers du matelas.

Marilyn, quelques semaines plus tôt, à New York, devant un magnétophone. En face d’elle, le journaliste W.J. Weatherby. « Sais-tu de qui j’ai toujours dépendu le plus? Non pas d’inconnus, ni de mes amis. Mais du téléphone ! C'est lui mon meilleur allié. J’adore appeler mes amis, surtout tard le soir, quand je n’arrive pas à dormir. J’ai souvent rêvé qu’on se donnait rendez-vous ainsi, dans un drugstore, au beau milieu de la nuit. »

Un homme à l’air distingué est assis, abattu, près du lit, tête baissée, menton dans les mains. C'est lui qui a téléphoné, dit-il. Un autre homme, debout près de la table de nuit, se présente comme le Dr Ralph Greenson, le psychiatre de Marilyn Monroe. Il ajoute : « Elle s’est suicidée. » Puis, montrant la table de nuit jonchée de boîtes de comprimés, il désigne un flacon vide de Nembutal et ajoute : « Elle en a pris tout le contenu. Lorsque je suis arrivé, j’ai vu de loin que Marilyn ne vivait plus. Elle gisait là, à plat ventre sur son lit, les épaules découvertes. En m’approchant, j’ai aperçu le téléphone serré dans sa main droite. Je présume qu’elle essayait d’appeler quand la mort l’a terrassée. C'était tout simplement incroyable, si banal. Fini à jamais. »

Le sergent Clemmons trouve curieuse cette hypothèse du Dr Greenson sachant que Mrs Murray était dans la maison. Arrivé plus tard sur les lieux, l’officier de police Robert E. Byron notera dans son rapport que c’est Greenson qui avait retiré de la main de Marilyn le téléphone que la rigor mortis avait emprisonné. Observant les deux médecins, le sergent remarque que le Dr Engelberg reste silencieux et que le psychiatre, qui parle pour les deux, se montre étrangement sur la défensive. Il semble le défier de l’accuser de quelque chose. Clemmons se demande ce qui ne va pas chez ce type qui n’a pas l’attitude qu’on attend dans une telle situation. Il voit dans ses yeux quelque chose de mauvais.
— Avez-vous tenté de la ranimer? demande-t-il.
— Non, il était trop tard. Nous sommes arrivés trop tard, répond Greenson.
— Savez-vous à quelle heure elle a pris les comprimés ?
— Non.
Clemmons interroge ensuite Eunice Murray.
— J’ai frappé, mais Marilyn n’a pas répondu, alors j’ai appelé son psychiatre, le Dr Greenson, qui n’habite pas très loin. Quand il est arrivé, elle ne lui a pas répondu non plus. Alors, il est sorti et il a regardé par la fenêtre de la chambre. Il a dû casser une fenêtre avec un tisonnier pour accéder à la chambre. Il a vu Marilyn couchée immobile sur le lit, et il lui a trouvé une mine bizarre. Il m’a dit : « Nous l’avons perdue », et puis, il appelé le Dr Engelberg.
En retournant dans la chambre, le sergent Clemmons demande aux médecins pourquoi ils ont attendu près de quatre heures pour appeler la police. Greenson répond :
— Il nous a fallu obtenir l’autorisation du service de presse du studio avant d’appeler quiconque.
— Le service de publicité?
— Oui, le service de publicité de la 20th Century Fox. Miss Monroe tournait un film.

Clemmons parle à divers journalistes : « C'est le meurtre le plus évident que j’aie jamais vu. »

Si c’était un film, un plan de l’ambulance portant le corps de Marilyn recouvert d’un plastique blanc serait suivi d’un fondu. Un écran noir, sur lequel apparaîtrait en lettres blanches : TROIS MOIS PLUS TÔT. le montage ne serait pas achevé et on verrait à l’écran le clap de l’assistant : QUELQUE CHOSE DOIT CRAQUER, et en sous-titre, MARILYN DERNIÈRE. Le film qui défilerait aurait la présence harassante des images de rêve, chargées d’un trop de réalité. Son éclairage et son grain posséderaient un rayonnement étrange, au-delà de ce que peut rendre une caméra... Avant, Marilyn ressemblait à un funambule ignorant du vide sous ses pieds; là, elle sait qu’elle peut tomber. Elle apparaît comme un fantôme. Le fantôme de l’héroïne de Sunset Boulevard, une Norma Desmond blonde.
Marilyn dernières séances
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