Environs de Londres, Engelfield Green, juillet
1956
Son professeur d’art dramatique, Michael Tchekhov,
lui avait appris quelque chose sur son jeu, sur le regard des
hommes quand elle jouait. Un jour, il lui faisait répéter
La Cerisaie lorsque soudain il
s’interrompit. Portant sa main devant ses yeux, il demanda à
Marilyn avec un doux sourire :
— Je peux te poser une question personnelle
?
— Tout ce que tu veux.
— Dis-moi franchement : est-ce que tu penses au
sexe quand tu joues cette scène?
— Pas du tout. Il n’y a rien de sexuel ni dans la
scène ni dans ma tête.
— Pas d’images d’étreintes ou de baisers?
— Non, je suis concentrée sur la scène.
— Je te crois. Tu dis toujours la vérité.
— À toi, oui.
Il s’approcha et dit :
— C'est très étrange. Quand tu jouais, je
ressentais des vibrations sexuelles émanant de toi, comme d’une
femme prise dans la passion. J’ai arrêté parce que je te sentais
trop préoccupée pour continuer.
À ces mots, elle se mit à pleurer.
— Ne t’inquiète pas. Tu es une femme qui dégage
des vibrations sexuelles, quoi que tu dises ou fasses. C'est ça que
vient chercher ton public sur l’écran. Tu vas gagner des fortunes
en restant simplement face à la caméra, et en ne jouant presque
pas.
— Je ne veux pas ça.
— Pourquoi pas? demanda-t-il gentiment.
— Parce que je veux être une artiste, pas une bête
de sexe. Je ne veux pas être vendue comme un aphrodisiaque sur
celluloïd. Regardez-moi et branlez-vous. Ça a été très bien comme
ça pendant des années, mais c’est fini. C'est de ce moment-là qu’a
commencé la bagarre avec la Fox.
« Look sexy ! (Sois
sexuelle!) Tout ce que tu as à faire, chère Marilyn, c’est être
sexy » : c’est le message que Laurence Olivier en habit rutilant de
Grand-Duc des Carpates adressa à Marilyn Monroe en commençant le
tournage du Prince et la danseuse aux
Pinewood Studios dans l’été 1956. Un conte de fées sans fée, où la
danseuse ne trouvait qu’un prince terrifié. Quand vers la fin du
tournage, en octobre, lors d’une première à l’Empire Theater de
Londres, elle fut présentée à la Reine d’Angleterre, au côté de
Joan Crawford, Brigitte Bardot et Anita Ekberg, Marilyn repensa à
cette scène imbécile du film. On la voyait prendre place pour faire
sa révérence au Grand-Duc à monocle. Une bretelle de sa robe
moulante craquait et dénudait presque son épaule et son sein.
Pour cette comédie en costumes, le premier film
produit par Marilyn Monroe Productions – et le seul, puisque
Quelque chose doit craquer, qu’elle
coproduisit en 1962 avec la Fox, ne vit jamais le jour – Marilyn
avait choisi Olivier, grand acteur shakespearien et metteur en
scène prestigieux. Il la considérait comme une idiote, inculte et
obsédée d’elle-même. Elle avait aussitôt repris ses ruses
habituelles pour ne pas jouer le rôle : retards, drogues,
absences.
« Je pense, racontera-t-elle ensuite, qu’Olivier
me haïssait. Même quand il me souriait, son regard était infect.
J’étais malade la moitié du temps, mais il ne me croyait pas ou
s’en foutait. Il me regardait comme s’il reniflait un tas de
poissons morts. Comme si j’avais la lèpre, ou quelque chose d’aussi
atroce. Je me sentais ridicule tout le temps. Il s’est approché de
moi comme on entre dans un mauvais lieu, et m’a dit d’être sexy,
d’une voix condescendante. Ça m’a tuée. Je me sentais mal avec lui.
J’étais systématiquement en retard et il m’en voulait à mort.
»
Depuis trois semaines, tout récemment mariée à
Arthur Miller et enceinte d’un enfant qu’elle perdra en août, la
star est en Angleterre pour tourner. Elle est arrivée à Londres par
un après-midi pluvieux de la mi-juillet. Elle se trouve au bord de
la dépression nerveuse. Rien ne va. Le film, le mariage, le corps
qui se dérobe et fatigue. Un jour, ouvert sur la table de la suite
à Parkside House, à Englefield Green où elle réside avec son mari,
elle trouve son carnet de notes. Elle lit : « Je n’aurais pas dû me
marier. Pas avec elle. Elle n’est qu’une femme-enfant, imprévisible
et lointaine. Abandonnée et égoïste. Ma vie et mes créations seront
mises en danger si je cède à son perpétuel chantage à la
souffrance. »
Marilyn téléphone pendant des heures à New York,
cherchant une aide auprès de Margaret Hohenberg. La psychanalyste
accourt et lui accorde quelques séances sur le plateau même où se
tourne le film. Marilyn lui parle de Miller : « Il croyait que
j’étais un ange, et maintenant, il se demande s’il n’a pas eu tort
de se marier avec moi. Sa première femme l’avait quitté, mais il
m’accuse d’avoir fait pire. Olivier commence à me traiter comme une
salope faiseuse d’ennuis et Arthur ne me défend pas. » Débordée par
les angoisses dépressives de sa patiente, et lasse de la tyrannique
demande d’amour qu’elle répétait depuis plus d’un an, Hohenberg ne
pouvait laisser trop longtemps en suspens sa pratique d’analyste à
New York. Elle cherche sur place une solution pour aider Marilyn à
faire face aux obligations du tournage.