Gaynesville, Floride, Collins Court Old Age
Home, 5 août 1962
Dans les rues d’une petite ville de Floride, une
petite vieille marche sur un trottoir éclaboussé de soleil. Gladys
Baker ne se souvient de rien. Ni du temps où elle travaillait dans
le cinéma ni de la fille qu’elle avait eue. Lorsqu’un psychiatre du
Rockhaven Sanitarium où elle était hospitalisée lui annonça que sa
fille était morte, elle n’eut aucune réaction. Elle ne se souvenait
plus de celle qui avait porté le nom de Norma Jeane, ni ne savait
qui était Marilyn Monroe. Mais un an après, par une sombre nuit,
elle s’évada du sanatorium en faisant une corde à nœuds de ses
draps de lit. Une bible et un manuel de la Christian Science sous le bras, elle arriva dans la
banlieue de Los Angeles. Un prêtre baptiste la trouva dans son
église et lui parla avant qu’elle soit ramenée à l’asile. « Marilyn
(selon le prêtre, elle ne dit pas : Norma Jeane) est partie. On me
l’a dit après que ça s’est passé. Il faut que les gens sachent que
je n’ai jamais voulu qu’elle soit actrice. Sa carrière ne lui a
fait que du mal. »
Norma Jeane avait été inscrite à l’état civil sous
le nom de l’ancien mari de sa mère. Sur l’acte de naissance, on
peut lire Mortensen ou Mortenson. Elle prit à vingt ans le nom de scène
sous lequel elle est morte et immortelle, mais garda le nom
officiel jusqu’à sept ans avant sa mort. Les noms se font écho dans
les chambres du destin. De Mortenson à Greenson, où furent la mort
et la vie? De Kathryn, la mère de Greenson à Marilyn, une histoire
d’amour parcourt les sons et les syllabes d’une bande qui se
répète.
Le père de Norma Jeane aurait pu être n’importe
lequel des amants qu’avait eus sa mère en 1925 après s’être séparée
de son deuxième mari. Le plus probable dans ce rôle est Raymond
Guthrie, qui s’était épris d’elle pendant quelques mois. Il
développait des films à la RKO. Gladys avait donné à sa fille son
premier prénom en hommage à une somptueuse actrice de l’époque,
Norma Talmadge. C'est à vingt ans que Norma Jeane Baker cessa de
porter le nom de sa mère et devint Marilyn Monroe.
Au cours de l’été 1946, Norma Jeane appela André
de Dienes pour lui demander de venir la rejoindre dans son
appartement. Elle avait une importante nouvelle à lui annoncer. Dès
son arrivée, elle lui déclara de but en blanc : « Devine quoi? J’ai
un nouveau nom ! » Elle le lui écrivit au crayon sur un bout de
papier, lentement, avec application : MARILYN MONROE. Elle accentua
les deux initiales d’une manière presque calligraphique. Après bien
des années, de Dienes n’oublia jamais sa stupéfaction tandis qu’il
se tenait là, derrière elle, l’observant en train d’écrire son nom.
Il y avait une beauté presque surnaturelle dans la manière dont
elle dessinait ces deux grands M majuscules. Ce nom ne devint son
nom légal qu’à vingt-neuf ans.