Santa Monica, Franklin Street, août 1960
Lors de sa séance de l’après-midi, Greenson fit observer à sa patiente qu’elle parlait peu de sa vie sexuelle.
— Vous savez, docteur, ma vie sexuelle, ma vie tout court, je la vois comme une suite de faux raccords. Un homme y entre, s’agite, me prend, me perd. Au plan suivant, on voit le même homme – ou parfois un autre – entrer une seconde fois, mais il ne porte pas le même sourire, les gestes ont changé, l’éclairage. Le verre qu’il tient était vide tout à l’heure et maintenant il est à demi plein. Nos regards se croisent à nouveau, mais ils sont différents. Le temps a passé sur l’image que nous donnons de nous, et pourtant nous y sommes encore pris. Nous rencontrant toujours pour la deuxième fois, nous croyons l’un et l’autre que c’est la première. Vous ne comprenez pas ce que je dis ? Moi non plus. Peut-être est-ce cela la réalité des rapports entre hommes et femmes. Nous nous effleurons et nous nous touchons par la distance de temps maintenue entre nous. »
Ecouter Marilyn avait depuis quelque temps amené Greenson à conclure que son problème n’était pas sexuel, qu’il s’agissait plutôt d’une sorte de désordre dans l’image d’elle-même. Il définissait un type de malades qu’il appelait les « patients écran », ceux qui par leurs défenses font écran au désir. Ils projettent une faim écran ou une sentimentalité écran par exemple. Ils manifestent une identité écran. Pour eux, se montrer et être vu constitue une expérience excitante ou effrayante, le plus souvent l’un et l’autre. « En langage ordinaire, écran veut dire filtrage, cache, masque, camouflage. En langage psychanalytique, cela désigne seulement l’activité de recouvrir la peine d’exister par une image de soi vivable. Non pas fausse, précisait-il, l’image que ces personnes projettent est vraie, mais elle les protège contre une autre vérité d’eux-mêmes, insoutenable. » Dans le cas de Marilyn, pensait-il, le mot écran signifiait plus littéralement l’écran du cinéma. Le psychanalyste revoyait aussi cette image transmise par toutes les chaînes de télévision cinq ans plus tôt : la photographie de Marilyn dans Sept ans de réflexion sur un écran de vingt mètres de haut s’abattant de haut en bas du Loew’s State Theater à New York. L'immense fleur blanche de chair et de robe soufflée avait flotté sur Broadway pendant les quinze jours précédant la première du film.
Greenson, qui ne la connaissait que par ses rôles, la voyait incarner la désirabilité la plus inaccessible, mais il se demandait si les icônes du désir avaient elles-mêmes un désir. Bien plus tard, il lira quelque part une phrase de Vladimir Nabokov sur la star : « Pour cette comédienne du sexe, le sexe n’était peut-être qu’une comédie. »
Après quelques mois de traitement, le psychanalyste considérait que la studieuse élève de l’Actors Studio, la studieuse patiente de Marianne Kris et la studieuse lectrice des écrivains de son temps, étaient des images écran que Marilyn donnait d’elle-même. L'apprentie intellectuelle new-yorkaise effaçait la peur d’être bête de la fille de Nebraska Avenue qui avait rêvé d’être une irréelle figure au ciel d’Hollywood.

Deuxième séance, le soir du même jour. Marilyn s’assied face à son psychanalyste.
— Lorsqu’on est célèbre, chacune de vos faiblesses est amplifiée au maximum. Le cinéma devrait se conduire à notre égard comme une mère dont l’enfant vient tout juste d’échapper à un accident de voiture. Mais au lieu de nous prendre contre lui et de nous consoler, le cinéma nous punit. Le cinéma, c’est toujours ça : prendre, encore prendre. On appelle ça des prises, justement, les séquences qu’on vous fait recommencer cent fois. Mais qui donne, qui reçoit, qui aime? Avez-vous remarqué, docteur, qu’à Hollywood où des millions et des milliards de dollars ont été gagnés, il n’existe pas de monuments, de musées? Personne n’a laissé quelque chose derrière soi. Tous ceux qui sont venus ici n’ont su faire qu’une chose, prendre, prendre ! Je ne participerai jamais à cette grande cavalcade américaine où les gens passent leur vie à se précipiter d’un endroit à l’autre, très vite et sans raison.
— Nous allons nous arrêter là.
— Ah, vous aussi, vous dites : « Coupez ! Prochaine prise ! Marilyn dernière ! »

En avril 1952, Marilyn avait dû se faire opérer de l’appendicite au Cedars of Lebanon Hospital. Quand le Dr Marcus Rabwin souleva le drap qui la recouvrait afin de procéder à l’opération, il découvrit, scotchée sur son ventre, une petite note manuscrite :
Cher Dr Rabwin,
Coupez le moins possible. Cela peut vous sembler futile, mais ce n’est vraiment pas de cela qu’il s’agit. Le fait que je sois une femme est important et compte beaucoup pour moi. Pour l’amour de Dieu, ne touchez pas à mes ovaires, docteur, et encore une fois, je vous prie, évitez le plus possible toute cicatrice. Je vous remercie de tout mon cœur.
Marilyn Monroe.
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