Los Angeles, Pico Boulevard, mai 1962
Le 10 mai, Greenson et sa femme s’étaient envolés enfin vers l’Europe pour quatre semaines. Cette disparition à un moment particulièrement critique pour Marilyn reste un mystère. À plusieurs confrères il raconta qu’il partait faire des interventions publiques ; à la Fox il déclara que sa femme était malade et devait se faire soigner dans une clinique suisse et à Marilyn qu’il s’agissait de la santé de sa belle-mère.
Quatre jours plus tard, après trois semaines de tournage où elle n’avait presque pas travaillé, Marilyn se leva trois heures avant de monter dans la limousine qui l’emportait à travers les rues désertes de Los Angeles en direction de Pico Boulevard. La Lincoln Continental noire descendit les collines basses de Brentwood en soulevant un énorme nuage de poussière visible depuis Century City. Pour atteindre le nouveau bungalow qui devait lui servir de loge, elle devait passer devant les bâtiments administratifs dominant le site du Studio. Au sommet d’un immeuble métallisé, les bureaux de direction occupaient une position stratégique et surveillaient facilement les allées et venues de leurs stars.

Parmi les notes brèves et tronquées des deux dernières années de sa vie, Marilyn a écrit dans un carnet rouge :
Ceci n’est pas un Journal, à qui je dirais et redirais jour après jour : « Cher Journal ». Un carnet, et des états de moi, aussi décousus et sales que mes vêtements entassés partout ici...
J’ai appris que les membres du service de sécurité de la Fox, dont plusieurs étaient de vieux copains, notaient mes heures d’arrivée et de départ dans des rapports confidentiels. Rage. Depuis, certains matins, je descends de voiture devant une petite entrée de service et j’envoie la limousine traverser la grille de l’entrée principale. Sans moi! Même les jours où je manque vraiment à l’appel, ma voiture aux vitres teintées arrive et s’arrête bien visiblement devant mon bungalow. Etre là ou pas, quelle différence? Et pour qui? Pourquoi? Quand je considère la petite durée de ma vie, l’éternité qui la précède et la suivra, ce petit espace que je remplis, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là. Pas de raison que je sois ici plutôt que là, à présent plutôt qu’un autre jour. Avec eux, les renards de la Fox, je vais jouer aux échecs. Les échecs, ça me connaît...

Marilyn, qui avait disparu de nouveau après le premier tour de manivelle de Quelque chose doit craquer, réapparut pour trois jours et demi de tournage début mai. Puis, le 17, elle quitta le studio en pleines prises de vues. Elle devait chanter deux jours plus tard au Madison Square Garden en l’honneur du président des Etats-Unis qui fêtait son quarante-cinquième et dernier anniversaire. Le comité exécutif de la Fox avait prié l’actrice de ne pas quitter le plateau pour se rendre à New York. Refusant la publicité invraisemblable qu’allait donner au film cette performance de l’une de ses plus grandes stars, le studio adressa à son avocat, Mickey Rudin, une lettre de deux pages la menaçant de renvoi. « Au cas où Miss Monroe s’absenterait, cet acte constituerait un manquement délibéré à ses obligations. Au cas où Miss Monroe reviendrait et où le tournage du film reprendrait, une telle reprise ne serait pas considérée comme constituant un renoncement de la Fox au droit de renvoyer Miss Monroe comme dûment stipulé dans son contrat. »
Henry Weinstein, lui, se rendit compte que Marilyn était décidée à aller à New York quoi qu’il arrive. « Ecoutez, on a là une fille qui sort vraiment de la rue, qui a été abandonnée par sa mère et dont le père a disparu. Une fille qui a vécu dans une misère noire. Et là, elle va chanter Happy Birthday pour le président des Etats-Unis. Elle est incapable de résister. » Il ne fut pas écouté.

C'est à la même époque que Norman Rosten envoya à Marilyn une bande magnétique d’une demi-heure où il lisait de la poésie pour une radio locale. Il savait qu’elle aimerait ces poèmes, mais surtout espérait qu’elle comprendrait qu’il pensait à elle. Elle était très seule et faisait face à une crise. Elle disait que c’était comme aux échecs, ce qu’ils appellent Zeitnot : la détresse de penser qu’on n’aura plus le temps de penser. Plus le temps de penser sa détresse. Il croyait que ces poèmes l’aideraient, qu’ils seraient ses délégués auprès d’elle. Quand il arriva à Hollywood peu de temps après, sa secrétaire lui dit qu’elle emportait sa bande partout avec elle dans son sac, comme une sorte de porte-bonheur. Elle venait d’acheter un nouveau magnétophone.
Un soir, elle voulut que Norman écoute ses poèmes avec elle. Elle allait tout préparer. Il arriverait tôt, Eunice ferait du café, et ils écouteraient ensemble. Etendue sur le lit, elle pourrait faire avancer ou reculer la bande par autant de REWIND qu’on voudrait, et comme ça, elle s’endormirait tandis que l’appareil s’arrêterait automatiquement. C'est-à-dire, bien sûr, ajouta-t-elle, s’il devait partir avant la fin. Lorsqu’il arriva, elle était en pyjama. Le café prêt. Ils burent et parlèrent de son travail, de ses projets, des siens. De sa femme et de sa fille. De son travail à Hollywood, et quand il quitterait Hollywood. Elle espérait que son film allait bien avancer. Elle se sentait anxieuse mais déterminée. Elle se mit au lit, Norman s’assit sur le plancher, à côté du magnétophone. Elle dit : « J’ai pris un somnifère juste avant ton arrivée. Je vais peut-être m’endormir tout en écoutant ta voix. OK? Et je vais peut-être m’éclipser avant la fin. »
Marilyn dernières séances
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