Santa Monica, Franklin Street, début avril
1962
Amis new-yorkais de Marilyn, le poète et écrivain
Norman Rosten et sa femme arrivèrent à Hollywood où ils avaient été
engagés pour un film. Marilyn leur téléphona aussitôt.
— C'est dimanche, allons chez mon psychanalyste.
Je veux vous présenter à lui. J’ai dit à sa femme que nous
arrivions.
Rosten hésitait.
— Est-ce qu’on peut?
— C'est un homme merveilleux, et sa famille aussi.
Vous les aimerez et ils vous aimeront.
— Qu’est-ce que nous ferons? Parler de toi ?
— D’accord, aussi longtemps que je n’écoute pas.
Je vous rappelle tout de suite.
Quelques minutes plus tard, elle leur annonça que
non seulement ils étaient invités mais qu’ils pourraient rester et
écouter de la musique de chambre :
— De la musique de chambre. Et pas dans une
chambre, dans un beau salon !
Les présentations furent un peu précieuses :
— Mon ami poète et sa femme, une personne chère.
Ils forment un merveilleux couple.
Greenson et Hildi furent accueillants, diserts,
naturels. Marilyn s’installa à l’écart, très naturelle elle aussi.
On eût dit qu’elle était chez elle. Les autres musiciens
arrivèrent. Ils formèrent un quatuor. Mozart fut joué par Greenson
en amateur dévoué et passionné masquant pas mal de fausses notes
par un entrain fougueux.
Après le concert, Norman rappela à Marilyn cette
soirée où ils avaient entendu un récital du pianiste russe Emil
Guilels, à New York trois ou quatre ans avant. Dans sa robe
tapageuse, elle s’était penchée vers son cavalier : « Détends-toi,
Norman, chuchota-t-elle avec son fameux petit rire, personne ne
sait qui tu es. » Ce souvenir lui revint et elle susurra d’un air
mélancolique et enjoué à la fois :
— Oui, c’est toujours comme ça. Quand tu écoutes
de la musique, personne ne sait qui tu es. Ils ne viendront pas te
chercher.
Rosten ne comprit pas cette dernière phrase. Il
prit le psychanalyste à part.
— Est-ce qu’elle va s’en sortir? Est-ce qu’elle
progresse ?
— La méthode que j’utilise pour la soigner peut
vous paraître étrange, mais je crois fermement que le traitement
doit s’adapter au malade, et non l’inverse. Marilyn n’est pas une
patiente analytique. Il lui faut une psychothérapie à la fois
analytique et qui la soutienne. Je lui ai permis de fréquenter ma
famille et de devenir notre amie parce que je sentais qu’elle avait
besoin dans sa vie actuelle d’une expérience qui supplée au manque
affectif dont elle a souffert depuis l’enfance. Vous pensez
peut-être que j’ai transgressé certaines règles, mais si j’ai de la
chance dans quelques années, peut-être Marilyn pourra faire une
vraie analyse. Elle n’est pas encore prête. Je me sens en droit de
vous le dire, parce qu’elle vous considère, Hedda et vous, comme
ses meilleurs amis, et quelqu’un doit pouvoir partager un peu mes
responsabilités. J’en ai parlé avec elle et c’est elle qui m’a
autorisé à vous en parler.
Quelque temps après, Hedda Rosten quittant Los
Angeles salua Marilyn.
— Tu me manqueras. Prends bien soin de toi.
Promets-moi que tu te reposeras avant de commencer le plus dur du
film.
Marilyn acquiesça :
— Je suis en bonne forme. Du moins physiquement,
sinon mentalement. Elle rit et se frappa le front. Tout est
là-dedans. Du moins c’est ce qu’ils disent.