New York, Actors Studio, West 44th Street, mai 1955
Los Angeles restait la ville du cinéma, avec ses psychanalystes gagnés par la fièvre des studios, contaminés par la passion des images. Lorsqu’elle vint s’établir à New York, Marilyn se lia et s’associa à Milton Greene dans une société de production indépendante. New York devint pour elle le lieu où elle cherchait un sens aux choses et aux êtres. La ville de la psychanalyse. Elle y rencontra Lee Strasberg qui lui enjoignit de « libérer son inconscient » et d’entreprendre une analyse. Elle demanda un nom de thérapeute à Greene. Il lui recommanda Margaret Herz Hohenberg, psychanalyste d’origine hongroise, une grosse femme austère à cheveux blancs retenus en nattes serrées. Elle avait fait sa médecine à Vienne, Budapest et Prague, puis s’était installée à New York juste avant la guerre. Elle traitait déjà Greene et continua de front son analyse et celle de Marilyn jusqu’à ce que celle-ci rompe avec l’une et l’autre en février 1957.
Outre l’injonction de Strasberg, qui considérait que tout acteur devait affronter sa vérité inconsciente sur un divan, sa demande d’analyse à Hohenberg était motivée par divers troubles : traumatismes d’enfance, manque d’estime de soi, besoin obsédant de l’approbation des autres, incapacité de maintenir des liens d’amitié ou d’amour, peur d’être abandonnée.
Marilyn venait ponctuellement à ses cinq séances par semaine à son cabinet, deux le matin et trois l’après-midi. Quand elle sortait du cabinet situé 93e Rue Est, c’était une sorte de rituel d’exorcisme : à peine poussée la porte de la rue, Marilyn s’arrêtait, portait la main à sa bouche et toussait jusqu’à se faire mal. Puis elle levait les yeux sur la rue, comme si elle avait rejeté loin en elle – ou au contraire au-dehors – les émotions que l’analyse avait mises au jour. Marilyn devint une adepte passionnée de la psychanalyse. Un jour, lors d’une conférence de presse, on lui demanda ce qu’elle cherchait dans son analyse. Elle répondit : « Je n’en parlerai pas, sauf pour dire que je crois en l’interprétation freudienne. J’espère pouvoir un jour faire un rapport éclairant sur les merveilles que les psychiatres peuvent réaliser pour vous. »
Selon un scénario qui allait se répéter, Hohenberg devint dès la fin de l’année plus qu’une thérapeute : elle réglait un litige entre sa patiente et son coiffeur, lui interdisait certaines fréquentations, la conseillait sur ses rôles. Les matins où elle n’allait pas chez sa psychanalyste, Marilyn se rendait à l’atelier de Strasberg, aux Malin Studios, et le soir, elle rejoignait son professeur pour des cours privés chez lui, 86e Rue Ouest. Auteur de ce qu’il appelait modestement la Méthode, Strasberg voulait faire apparaître ce qui avait été laissé de côté, ce qu’elle avait refoulé dans son passé. Libérer toutes les énergies enfouies au cours des années. C'était son jargon. Marilyn fut séduite par ce discours sur la nature humaine inconnue. Lee Strasberg et Margaret Hohenberg décidèrent de s’unir pour convertir un sombre fond dépressif en capacité de soutenir des relations amicales et professionnelles viables. Selon eux, son obsession de plaire à tous isolait en fait Marilyn et l’empêchait de travailler un vocabulaire technique pour renouveler son art. « J’ai eu des professeurs, dira-t-elle après cette double expérience, des gens que je pouvais admirer, mais personne à qui je pouvais ressembler. Je me suis toujours sentie une non-personne et ma seule manière d’être quelqu’un a été probablement d’être quelqu’un d’autre. C'est pour ça que j’ai voulu jouer et être actrice. »
« J’essaie de devenir une artiste, avait-elle dit lors de l’une des premières séances, avec Hohenberg, j’essaie d’être vraie, mais souvent des fenêtres s’ouvrent malgré moi sur mon vide. J’ai peur de devenir folle. J’essaie de faire sortir les parties vraies de moi-même, mais c’est trop difficile. Parfois, je pense que tout ce que je dois faire, c’est être vraie. Mais ça ne vient pas comme ça et je me dis que je suis une faussaire, quelqu’un qui sonne faux. Je désire faire de mon mieux depuis la seconde où la caméra se met en mouvement jusqu’à celle où elle s’arrête. A ce moment-là, je veux être parfaite. Lee dit toujours que je dois partir de moi-même. Je lui réponds : moi-même ? Qu’est-ce que c’est moi-même ? Qui ? Je ne suis pas si importante. Qui croit-il que je suis : Marilyn Monroe?»

Un jour, début février 1956, Marilyn arriva chez sa psychanalyste avec une grande enveloppe contenant des photos qu’avait faites Milton Greene. On les publia ensuite avec pour titre « La séance noire ». Elle posait en dessous noirs et bas résilles, ivre, les yeux mi-clos, la bouche dessinant un sourire triste. Les photos composaient un ensemble de tests pour le film en préparation sous la direction de Josuah Logan, Bus Stop. Elles étaient dures, noires. Marilyn y semblait défaite, fatiguée de sexe, usée par un manque venu de loin, qu’aucun corps n’apaiserait. Ni sûrement aucun mot. « Vous voulez regarder mes planches-contacts ? » demanda-t-elle à Hohenberg. La grosse dame grise les lui tendit sans rien dire après les avoir parcourues d’un regard effaré.
Marilyn dernières séances
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