Paris, Hôtel Lancaster, 5 août 1962
Le 5 août 1962, Billy Wilder était dans l’avion
entre New York et Paris quand éclata la nouvelle de la mort de
Marilyn Monroe. À la descente d’avion des reporters
l’encerclèrent.
— Que pensez-vous d’elle?
— Quelles sont les explications?
— Vous avez dit qu’elle avait un terrifiant impact
charnel, qu’elle aimait la caméra et qu’elle en avait peur?
— Est-ce une bonne actrice?
— Pensez-vous qu’elle ait craqué parce qu’elle ne
pouvait jouer son rôle dans son nouveau film?
Le metteur en scène demanda ce qu’elle avait
encore fait.
— Elle n’a rien fait, répondirent-ils, sans lui
dire qu’elle était morte.
Qu’est-ce qu’ils foutent à l’aéroport? Pourquoi
est-ce si urgent? se demanda Wilder, qui lâcha des propos très durs
sur Marilyn :
— Il lui arrive d’être la femme la plus méchante
d’Hollywood. C'est une femme en plastique, un beau produit Du Pont
de Nemours, avec une poitrine en granit et un cerveau en gruyère
plein de trous.
Lorsque, arrivant à son hôtel, Wilder vit les
journaux du soir : ÉDITION SPÉCIALE ! MARILYN MONROE EST MORTE ! il
pensa : ces salauds n’ont même pas eu le bon goût de me le dire
avant que je déballe ce que j’avais sur le cœur et j’ai dit
certaines choses que je n’aurais pas dites si j’avais su qu’elle
était morte. Marilyn ne méritait pas ça. Il y a dans ce monde des
timbrés épatants, comme Monroe. Et puis ils vont s’allonger sur des
divans de psychanalystes et ils en ressortent lugubres et coincés.
Il valait mieux pour elle rester tordue, ne pas chercher à marcher
droit. Elle avait deux pieds gauches, c’était son charme.
Des années plus tard, par un après-midi moite de
l’été 1998, El Niño déverse des torrents de pluie sur la
Californie. Billy Wilder, âgé de quatre-vingt-onze ans, accorde un
entretien dans son austère bureau dissimulé dans une petite rue de
Beverly Hills. L'interviewer lui demande ce qu’il avait pensé de
cette mort. « C'est bizarre qu’elle soit morte au moment du grand
scandale de sa vie. A savoir cette histoire avec Kennedy. Elle
couchait avec Kennedy, évidemment : elle couchait avec tout le
monde. Et lui aussi. J’ai même longtemps imaginé une scène d’un
film avec lui : il descendait à l’hôtel Century City – il y avait
une suite – et un hélicoptère d’Air Force One arrivait et se posait
sur le toit. Quand les filles voyaient qu’il allait atterrir, tout
le monde s’asseyait sur le bidet et faisait couler l’eau. Vous
voyez ce que je veux dire : elles se préparaient toutes dans
l’espoir d’être choisies. Quelques semaines avant sa mort, Marilyn
était allée à New York chanter au Président son interprétation de
Happy Birthday (version Strasberg,
freudienne, si vous voyez), et puis elle s’est tuée. Je l’ai
toujours vue incertaine d’elle-même, une sorte d’effroi d’être,
jusque dans sa démarche. Je me suis surpris à souhaiter être non
son amant mais son psychanalyste. Il est bien possible que moi non
plus je n’aurais pas pu l’aider, mais elle aurait été si jolie
étendue sur le divan. »
Billy Wilder, qui aimait détester Marilyn, songea
longtemps après sa disparition qu’elle était l’incarnation moderne
de l’actrice qui ne veut pas vieillir. Il pensait même en faire un
film en couleurs où il reprendrait ce thème de son chef-d’œuvre en
noir et blanc, Sunset Boulevard : une
actrice qui s’accroche à son image pour ne pas devenir folle ou
mourir. Il ne tournera pas ce film. À cause des images de
Quelque chose doit craquer, dit-il
après les avoir vues. Mais à la fin de sa carrière
cinématographique, en 1978, Wilder fit tout de même quelque chose
qui y ressemble : un film bouleversant sur une actrice recluse et
vieille dans une île grecque. Il l’appela Fedora.