Los Angeles, Sunset Strip, fin septembre
1960
En analyse depuis huit mois avec Greenson, Marilyn
avait été quittée par Montand. Elle voulait aimer, mais ne savait
pas qui. Elle téléphona à André de Dienes. Elle n’était qu’une
plainte. Il la taquina en lui proposant de venir chez lui où il
avait « le remède à tous les maux ». « Viens te renseigner sur mon
traitement miracle, tu oublieras tes soucis. » Elle ne vint pas ce
jour-là. Mais, quelques semaines plus tard, une dame étrangement
vêtue descendit d’un taxi à l’entrée de l’allée conduisant à la
maison dans les collines. Marilyn était tellement emmitouflée
qu’André ne la reconnut que quand elle s’approcha du garage où il
s’occupait à des travaux de jardinage. Elle portait un fichu sur la
tête, des lunettes noires, un jean, des sandales, un manteau. Quand
elle fut à trois mètres de lui, elle ôta ses lunettes et il la
reconnut enfin. Qu’était-il donc arrivé à sa ravissante Norma Jeane
qui riait tout le temps ? Comment pouvait-elle avoir l’air si
éteint, si malheureux? Elle lui annonça qu’elle était venue voir ce
qu’était son « remède à tous les maux ».
— Qu’est-ce qui ne va pas?
— Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.
— Tu as bu beaucoup de café hier?
— Non.
— Tu es fauchée?
— Non.
— Tu as beaucoup de soucis?
— Tout un tas. On m’escroque !
— C'est la première cause d’insomnie. Tu es en
colère, parce que tu te sens exploitée. Te sens-tu seule? Dis-moi
la vérité, Marilyn, l’absolue vérité!
Elle ne répondit rien.
— Quand as-tu fait l’amour pour la dernière fois?
Depuis combien de temps tu n’as pas eu d’orgasme?
— Des semaines et des semaines. M’en fous !
Après avoir fini de transplanter un arbuste, André
proposa de lui servir un cocktail. Elle allait accepter quand ils
furent interrompus par une autre visiteuse. L'agence de modèles
pour laquelle le photographe travaillait envoyait une jolie jeune
femme pour poser. À l’opposé de Marilyn méconnaissable, elle
portait des talons aiguilles et une robe moulante en soie rose. Sa
longue chevelure retombait avec élégance sur ses épaules. La fille
lui adressa son plus beau sourire et entra dans le long couloir de
la maison en imitant la célèbre démarche de Marilyn Monroe. Le
modèle, prêt à poser nue pour cinquante dollars, était plus sexy
que Marilyn. Epuisée, nerveuse et déprimée, elle est simplement
moche, pensa André. Marilyn détourna la tête pour éviter d’être
reconnue par la jeune femme et pendant qu’ils bavardaient, elle
s’éclipsa pour appeler un taxi. Elle s’enferma ensuite dans les
toilettes jusqu’à l’arrivée de la voiture, puis demanda à André de
faire en sorte que le modèle ne la voie pas sortir. Au moment de
grimper dans le taxi, elle se souvint : quel était « le remède à
tous les maux » ? Trop embarrassé pour en parler devant le
chauffeur, il lui demanda d’attendre un peu, courut dans son bureau
et griffonna quelques lignes sur un papier déchiré. Il le lui donna
quand le taxi démarrait. Marilyn lut : « Le sexe, mon sexe. » Elle
lâcha : « Le con ! Le vrai remède, c’est mourir. » Puis elle jeta
par la fenêtre le papier froissé qui vola quelques mètres dans la
poussière du soir sur la route en pente vers Sunset Strip.