Los Angeles, West Sunset Boulevard, janvier
1960
À l’extrême fin de sa vie, le Dr Greenson se
souvenait encore de ce jour où Marilyn Monroe l’avait fait venir en
urgence à son chevet. « Au commencement, nous nous regardions comme
des animaux si dissemblables qu’ils se tourneraient vite le dos,
constatant qu’ils n’ont rien à faire ensemble. Elle, si belle ; moi
plutôt ingrat. La blonde vaporeuse et le docteur des noirceurs,
quel couple... Aujourd’hui je vois que ce n’était que l’apparence :
j’étais une bête de scène, je me servais de la psychanalyse pour
satisfaire mon besoin de plaire, et elle une intellectuelle qui se
protégeait de la souffrance de penser par une voix d’enfant et une
bêtise affichée. »
Marilyn s’adressa à celui qui allait être son
dernier psychanalyste alors qu’elle devait commencer Let’s Make Love (Le
Milliardaire) sous la direction de George Cukor. Elle avait
Yves Montand pour partenaire et pour amant. Les difficultés qu’elle
rencontrait n’étaient qu’un nouvel épisode dans le pénible
accomplissement de son travail d’actrice à Hollywood. Le divan du
psychanalyste lui paraissait être un recours obligé dans les crises
lors de chaque tournage. Pour surmonter les troubles, inhibitions
et angoisses qui la paralysaient sur les plateaux, elle avait
commencé sa première cure cinq ans auparavant à New York. Elle
avait eu recours successivement aux soins de deux psychanalystes,
Margaret Hohenberg et Marianne Kris. À l’automne 1956, lors du
tournage du Prince et la danseuse sous
la direction de Laurence Olivier, elle avait même eu quelques
séances à Londres avec Anna, la propre fille de Freud.
En ce début de 1960, sa détresse était revenue
devant les caméras de la 20th Century Fox, qui l’avait mal payée et
maltraitée. Elle devait par contrat un dernier film. Le tournage du
Milliardaire ne parvenait pas à
démarrer. Marilyn avait du mal à jouer le personnage d’Amanda Dell,
une danseuse et chanteuse qui tombe amoureuse d’un milliardaire
sans savoir qui il est et en se moquant de l’argent et de la
renommée. Pendant que l’équipe attendait qu’elle s’éveille,
assommée de barbituriques, et arrive enfin sur le tournage avec
plusieurs heures de retard, sa doublure lumière, Evelyn Moriarty,
jouait le jeu. Elle prenait place sur le plateau pour permettre les
réglages, les tests de prises de vues et même les premières
répétitions de texte avec les autres acteurs. Au début des prises,
Montand avait confié à Marilyn sa propre peur de ne pas y arriver
et cette angoisse commune les rapprocha très vite. Le film
n’avançait pas, bloqué par les récritures du scénario et les
hésitations de la production. Une atmosphère de désastre planait
sur le studio paralysé par le laisser-aller élégant et distrait du
metteur en scène. Bien qu’elle ne soit pas seule en cause dans les
retards pris, la production mit Marilyn en demeure de faire quelque
chose pour ne pas compromettre l’achèvement du film.
Elle n’avait pas d’analyste attitré à Los Angeles.
Elle appela à l’aide le Dr Marianne Kris, qui la suivait depuis
trois ans à New York. Kris donna le nom de Ralph R. Greenson, l’un
des thérapeutes les plus en vue à Hollywood, non sans lui avoir
demandé s’il se chargerait d’un cas difficile. « Une femme en
désarroi total, menacée d’autodestruction par son abus des drogues
et des médicaments. Sous une anxiété paroxystique, elle révèle une
personnalité fragile », avait précisé Kris. Le Dr Greenson accepta
de devenir le quatrième psychanalyste de Marilyn Monroe.
La première séance eut lieu au Beverly Hills
Hotel. Pour des raisons de discrétion et d’état physique de
l’actrice, l’entretien se déroula dans le bungalow tendu de
moquette vert pomme qu’elle occupait. Le psychanalyste n’avait pas
réussi à la faire venir à son cabinet. Le premier contact fut bref.
Après quelques questions portant plus sur son état médical que son
passé psychique, Greenson lui proposa de la recevoir par la suite à
son cabinet, non loin de l’hôtel. Durant les presque six mois du
tournage, Marilyn quittera le plateau tous les après-midi pour se
rendre à Beverly Hills chez son analyste, North Roxbury Drive, à
mi-chemin entre le studio de la Fox sur Pico Boulevard et l’hôtel
sur Sunset.
L'architecture du Beverly Hills Hotel est comme
ses clients. Façade rose, avenante, fausse. Structure délabrée,
néo-quelque chose, désaxée. Couleurs criardes des films colorisés.
Marilyn partageait avec son mari, Arthur Miller, le bungalow n° 21.
Yves Montand occupait le n° 20 avec sa femme, Simone Signoret. La
Fox payait les notes des acteurs logés dans cette résidence style
Mediterranean revival des films
d’avant-guerre. Marilyn riait de ce mot : revival. Comme si quelque chose pouvait jamais
revivre. Comme si on pouvait reconstruire ce qui n’avait pas
existé. Pourtant, elle faisait venir régulièrement en avion de San
Diego une vieille dame qui, trente ans auparavant sur les plateaux
de la MGM, avait décoloré les cheveux de la star des Années folles,
Jean Harlow. Elle envoyait chercher Pearl Porterfield en limousine
et l’accueillait avec champagne et caviar. La coloriste employait
la vieille technique de l’eau oxygénée et Marilyn n’en voulait pas
d’autre. Elle aimait surtout entendre les récits sur la star, sa
vie brûlée, sa mort froide. Peut-être les histoires étaient-elles
aussi fausses que le platinum de ses cheveux et que la coiffeuse
elle-même. On était dans le cinéma, et Marilyn se regardait sur
l’écran aux souvenirs.