Beverly Hills Hotel, derniers jours d’avril 1960
Le soir commence d’envelopper le bungalow d’une nuée rose. Le journaliste français Georges Belmont est venu parler avec Marilyn de retour pour quelques jours à Los Angeles. Parler de tout, de rien, de la mort, finalement. De sa voix de petite fille lasse elle tient un discours tendu et abandonné à la fois, entrecoupé de longs silences.
— Bien sûr, j’y pense. Souvent même. Quelquefois, il m’arrive de me dire que j’aime mieux penser à la mort qu’à la vie. C'est tellement plus simple, la mort, en un sens. Vous ne trouvez pas ? On y entre, et on sait qu’on a presque toutes les chances de ne trouver personne de l’autre côté de la porte. Tandis que dans la vie il y a toujours les autres, ou quelqu’un d’autre. Et quand vous entrez, ce n’est jamais par votre faute. Quant à en sortir... Vous connaissez un moyen de vous sortir des autres?
— Parlez-moi de votre enfance.
— Je n’ai jamais vécu avec ma mère. On a dit le contraire, mais cela seul est vrai. Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, j’ai toujours vécu en pension chez des gens. Quand elle venait me voir chez les gens où elle m’avait placée – je n’avais pas deux semaines – jamais elle ne souriait, ne me parlait, ne me touchait. Ma mère avait des... troubles mentaux. Elle est morte maintenant.
Cela faisait deux mensonges en deux phrases, mais cela, l’interviewer ne le savait pas. D’abord, Norma Jeane avait vécu quelques mois avec sa mère, vers huit ans, dans un petit appartement situé sur Afton Place, près des studios d’Hollywood, avant qu’elle soit longuement internée. Une seconde fois, alors qu’elle avait vingt ans et se lançait dans le cinéma, Marilyn hébergea sa mère quelques semaines dans un petit logement sur Nebraska Avenue. Et puis, Gladys Baker était encore vivante au moment de l’entretien. Démente, mais vivante, elle survivra vingt-deux ans à sa fille. En 1951, lorsque fut diffusée par les Studios à des fins de publicité la légende d’une Marilyn orpheline, l’actrice reçut de Gladys une lettre : «S'il te plaît, chère enfant, j’aimerais recevoir une lettre de toi. Les choses ici m’ennuient terriblement, et je voudrais m’échapper au plus vite. J’aimerais avoir une enfant qui m’aime, et ne me déteste pas. » La lettre était signée : « Mère, avec amour. » « Mère ». Pas « Ta mère », ni « Maman ». Mère. Ce que Gladys n’avait jamais pu être. Ce que Marilyn ne sera jamais.
Après l’entretien, Marilyn remercia Belmont et dit qu’elle était contente d’avoir pu parler et qu’elle était toujours plus effrayée d’avoir à répondre aux journalistes. Elle avait apprécié d’être traitée non comme une star mais comme une personne humaine. Ce soir-là, elle se rendit dans Beverly Hills à une party donnée par l’agent littéraire influent d’Hollywood, Irving Lazar. Elle croisa Greenson et sa femme, qui la saluèrent avec chaleur. Puis elle aperçut les visages connus de John Huston et David O'Selznick, et parla longuement avec un inconnu d’une soixantaine d’années qui venait de s’installer à Hollywood dans Brentwood Heights. L'homme lui raconta ses plaisirs californiens. Aller vers le nord-ouest, au-delà de San Fernando, marcher dans les collines vert et bleu couvertes de jacarandas qui font écran au désert Mojave et y chercher des espèces rares pour compléter son livre sur les Lépidoptères de la Californie. Sillonner les autoroutes de Los Angeles dans sa Ford Impala et arpenter les hypermarchés : « surtout la nuit, pour les néons », avait-il ajouté. Il lui dit aussi qu’il avait écrit un roman, Lolita, que Stanley Kubrick allait porter à l’écran pour Universal. Vladimir Nabokov essayait de s’adapter aux exigences d’un scénario.
— Et vous, que faites-vous ? avait-il demandé à la blonde qui buvait coupe sur coupe pour se donner le cœur de parler ou de se taire jusqu’à la fin de la soirée.
I’am in pictures, avait-elle répondu, ce qui veut dire : Je joue dans des films, mais aussi : Je suis dans les images.
— Moi aussi, répondit l’homme avec malice, mais je ne suis qu’une doublure.
Quelques semaines plus tard, dans Le Milliardaire, Marilyn imposa à Cukor de faire précéder son numéro de chant My Heart Belongs to Daddy par ces mots : « Mon nom est Lolita et je ne suis pas censée jouer avec des garçons. »
Marilyn dernières séances
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